Sans pitié ★☆☆☆

Un caïd est en prison. Il prend sous son aile un jeune codétenu qui y a été infiltré par la police. Mais le caïd a vent de la manœuvre. Plutôt que de démasquer la taupe, il en fait son bras droit à sa sortie de prison.

Difficile de présenter la complexe mécanique de Sans pitié sans en dévoiler une partie de l’horlogerie. Les cinq lignes du résumé que je viens d’en faire en révèlent déjà une bonne moitié. Mais, amateurs des intrigues à double fond et allergiques aux spoilers, soyez rassurés : il en reste encore une bonne moitié à découvrir.

J’adore les films compliqués. Les films qui exigent du spectateur une attention de chaque instant. Les films dont tous les détails comptent. Les films qui nous mènent en bateau avant de nous laisser estomaqués devant leur révélation finale. L’Arnaqueur (1961) de Robert Rossen ou Engrenages (1987) de David Mamet constituent pour moi les modèles indépassable de ces films à double fond. Usual suspects (1995) mérite aussi sa place dans ce panthéon. Mêlant à son tour l’arnaque au crime, Martin Scorsese réalisait en 2006 un polar nerveux, Les Inflitrés, inspiré d’un film hong-kongais Internal Affairs.

Ce sont exactement les mêmes recettes qu’un réalisateur coréen, dont c’est le premier film sorti en Occident, utilise. C’est ce qui fait sa qualité. C’est ce qui m’inspire certaines réserves et, au final, une seule étoile.

Car, les amateurs du genre – et j’en suis – en auront pour leur argent. Jae-Ho, le caïd au rire sardonique, et Hyun-su, le jeune flic surdoué, se livrent au jeu du chat et de la souris sans qu’on sache, jusqu’à la dernière séance, qui des deux deux arnaquera l’autre. La situation se complique par les interventions d’un troisième protagoniste : l’inspectrice de police Cheon qui pilote Hyun-su avec une mâle détermination et un cynisme consommé.

Pour autant, le plaisir qu’on prend à regarder ce film laisse étonnamment peu de traces. Sans pitié s’oublie (très) vite, ce qui est le signe des mauvais crus. Parce que les recettes qu’ils utilisent sont éculés. Parce que ses rebondissements sont trop nombreux et finalement trop artificiels pour marquer vraiment.

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Le Caire confidentiel ★☆☆☆

Au Caire, en janvier 2011, une chanteuse est assassinée dans un hôtel de luxe. L’inspecteur Noureddine mène l’enquête.

Un film noir arabe. Le Caire confidentiel, c’est L.A. Confidential à la sauce égyptienne. Tous les ingrédients sont réunis : un crime sordide dans un monde interlope, des élites corrompues, des jolies pépés, un détective taiseux… Le cinéma américain a filmé mille et une fois de telles intrigues et en a fait quelques chefs d’œuvres inoubliables.

Le seul intérêt du film de Tarik Saleh est d’utiliser ces éléments dans un lieu et à une époque où on n’a pas l’habitude de les voir déployer. Le film noir est une façon surprenante de traiter les printemps arabes. Pour documenter la corruption rampante et la soif de démocratie, Le Caire confidentiel n’utilise pas la voie du documentaire mais celle du polar. C’est ce qui donne à ce film tout son sel. Mais le sel ne suffit pas à faire un plat. Et faute d’ingrédients suffisamment roboratifs, Le Caire confidentiel se résume à n’être qu’une simple curiosité cinématographique.

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The Last Girl – Celle qui a tous les dons ★★★☆

Une épidémie a dévasté le monde, transformant l’immense majorité de l’humanité en zombies cannibales et laissant une poignée de militaires et de scientifiques tentant de survivre en recherchant un vaccin. Ces derniers placent tous leurs espoirs dans les enfants de la seconde génération, nés de zombies, mais possédant encore à la différence de leurs parents, une intelligence cognitive. La jeune Melanie semble être la plus douée. Mais  son institutrice (Gemma Arterton) et la directrice du programme de recherche (Glenn Close) divergent sur le sort à lui réserver.

Les zombies ont décidément la côte. Après la grosse machinerie hollywoodienne World War Z, après la parodie hilarante Shaun of the Dead, après l’indépassable 28 jours plus tard, après la série à succès Walking Dead, avant le dessin animé Zombillénium, nous vient d’Outre-manche l’adaptation du roman à succès de M. R. Carey Celle qui a tous les dons.

Difficile de faire du neuf avec du vieux. Pourtant The Last Girl y parvient.
Grâce à une idée très maline : créer entre les humains luttant pour la survie et les zombies menaçants une catégorie intermédiaire, celle d’enfants mi-humains mi-zombies. Les premières scènes du film sont à ce titre exceptionnelles qui plongent le spectateur dans un univers incompréhensible. Tant pis pour vous, cher lecteur, qui êtes en train de lire cette critique et qui saurez déjà que ces enfants qu’on réveille au son du clairon, qu’on bâillonne sur une chaise roulante et que l’on conduit dans une salle de classe sont en fait de dangereux carnivores prêts à se ruer vers leur enseignant si son odeur humaine, trop humaine, vient à chatouiller leurs narines.

La suite du film est hélas plus convenue, qui reprend les recettes traditionnelles du genre. The Last Girl emprunte alors les voies bien balisées du survival movie, racontant l’histoire d’une petite bande d’humains désespérés cherchant à zigzaguer entre des zombies qu’un bruit suspect ou une odeur inhabituelle risque de sortir de leur torpeur.

The Last Girl a un dernier atout, à mes yeux décisif : Gemma Arterton. Même en treillis militaire, en pull troué, le maquillage défait et les traits tirés, elle garde ce charme fou et cet accent merveilleusement britannique qui me font chavirer.

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Visages villages ★★★☆

Deux artistes en goguette : Agnès Varda et JR sillonnent la France. Caché derrière ses lunettes noires, il prend des photos dont il fait d’immenses tirages qu’il colle sur les surfaces les plus improbables : un mur de village, une falaise, un amoncellement de containers… Diminuée par l’âge, elle n’a plus vraiment bon pied ni bon œil, mais l’accompagne dans ses déambulations artistiques.

Je connaissais Agnès Varda, pour Cléo de 5 à 7, Sans toit ni loi et Jacquot de Nantes (bouleversant hommage à son mari Jacques Demy). Je ne connaissais pas JR – deux initiales qui pour ma génération évoquent plus Dallas que la photographie contemporaine. Et je me méfiais de ce docu dont le pitch me semblait à la fois trop artificiel – réunir deux artistes susceptibles d’attirer deux générations de spectateurs – et trop flou – les envoyer sur les routes de France sans projet préétabli.

Mes réticences ont été confortées par les premières images du film. Un dialogue se noue entre Agnès Varda et JR. Avec une fausse spontanéité, des paroles très écrites, mais d’une rare niaiserie, sont échangées : il lui parle gentiment comme à une vieille mamie qu’on ménage, elle lui répond avec une malice surjouée sur le mode j’ai-beau-être-vieille-je-ne-suis-pas-encore-gâteuse.

Dernier défaut qui aurait pu être rédhibitoire : les saynètes se succèdent au risque de la répétition, dans le Nord, près de Sisteron, sur les falaises de la Manche, avec à chaque fois, des rencontres, des photos, un collage…

Et pourtant, le charme prend lentement. Sans se pousser du col, JR mène à bien son projet à la fois simple et ambitieux : aller à la rencontre des gens et éveiller en eux une conscience artistique, créer du beau là où on ne l’imagine pas. Et la gentillesse de sa muse, loin d’exaspérer, finit par attendrir. Visages villages est un film sur le regard. Un regard toujours bienveillant sur les gens et les choses. Un regard qui traque le beau et le met en scène. Jusqu’à une scène finale qui nous mène, à notre corps défendant, jusqu’aux bords des larmes.

Qu’on me permette en guise de conclusion ou de post-scriptum une réflexion égocentrique et prétentieuse. Je ne suis pas très sensible au « beau ». Les coups de foudre esthétiques ne sont pas mon genre. J’aime Les Demoiselles d’Avignon ou Carré blanc sur fond blanc non pas pour leur soi-disant beauté, mais pour leur place dans l’histoire de l’art. Aussi je suis d’autant plus étonné de l’émotion que suscitent chez moi des œuvres qui n’appellent pas à ma raison.  D’autant plus étonné et d’autant plus ravi.

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Les Hommes du feu ★★★☆

C’est l’été dans le Sud de la France. Le vent se lève, les incendies menacent. Philippe (Roschdy Zem) se dévoue corps et âme à la caserne de pompiers qu’il dirige au point d’y avoir sacrifié sa vie de famille et l’éducation de sa fille. Ses hommes lui obéissent au doigt et à l’oeil. Cette belle concorde sera-t-il mise à mal par l’arrivée de Bénédicte (Emilie Dequenne) ?

La vie d’une caserne de police au quotidien. Les Hommes du feu reprend les mêmes recettes que Polisse : documenter un microcosme. Pierre Jolivet le fait avec une application presque tâcheronne. Il accumule les vignettes qui permettent de passer en revue tous les aspects du travail en SDIS : la lutte contre les incendies de forêt bien sûr, mais aussi l’intervention dans les banlieues dites sensibles sous les insultes des « cailleras », l’accouchement en urgence d’une parturiente, les troisièmes mi-temps bien arrosées et les vies familiales sacrifiées. On imagine que Pierre Jolivet s’est longuement documenté. On imagine volontiers aussi que son film à la gloire de ces hommes du feu sera systématiquement diffusé dans les casernes et y connaîtra une belle postérité.

Une accumulation d’histoires ne fait pas un film. On sent que les scénaristes ont beaucoup hésité : la menace de la fermeture de la brigade pour d’obscures raisons administratives ? la recherche d’un pyromane ? une enquête administrative interne provoquée par la négligence d’un pompier ? En fait, le fil du film, c’est Bénédicte, cette jeune pompier (pompière ?) qui, tel un chien dans un jeu de quilles, déboule dans un milieu exclusivement masculin et volontiers misogyne. Elle s’y fera accepter à force de persévérance.

Les Hommes du feu est à tel point lesté de bons sentiments qu’il menace de se noyer sous leurs poids. C’est un film positif, presque naïf, tout entier à la gloire des Services d’incendie et de secours. Pourquoi alors trois étoiles ? Parce que Les Hommes du feu m’a touché. Parce que je suis un irréductible fidèle du cinéma de Pierre Jolivet que je suis depuis qu’il est passé de l’autre côté de la caméra (il avait entamé avec son frère Marc une carrière d’acteur dans les années soixante-dix) : Force majeure, Simple mortel, En plein cœur, Ma petite entreprise… Un cinéma français qui s’assume : sans chichiter comme les soi-disants héritiers de la nouvelle garde prétendent le faire, sans loucher vers Hollywood dont ce cinéma-là n’aura jamais les budgets, qui raconte une histoire et lui donne vie grâce à une direction d’acteurs impeccable. Un cinéma que j’aime.

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À la recherche des femmes chefs ★☆☆☆

Pourquoi y a-t-il aussi peu de femmes chefs ? Pourquoi des hommes, barbus et tatoués de préférence, tel le chef danois René Redzepi, trustent-ils les premières places de tous les classements gastronomiques alors que partout sur la planète, des zones les plus reculées jusqu’à nos sociétés postmodernes, les femmes sont encore trop souvent reléguées à leurs fourneaux ?

Tandis que les documentaires sur la haute gastronomie se multiplient ces dernières années, surfant sur la mode des Top Chef et Cie – documentaires qui tous prennent pour héros des chefs masculins : le chef d’El Bulli, celui de Noma ou les Bras à Laguiole – il n’était pas sans intérêt de se pencher sur ce paradoxe : pourquoi parmi les 616 tables étoilées en France en 2017 n’y en a-t-il que 3 % qui soient tenues par des femmes ?

Le documentaire de Vérane Frediani révèle un monde profondément machiste où les rares femmes ne doivent leur réussite qu’à la reprise d’un héritage paternel : ainsi de Anne-Sophie Pic à Valence, de Sophie Bise à Talloires ou de Hélène Darroze à Paris. Il révèle que cette sous-représentation s’explique par des causes propres au monde de la gastronomie et par d’autres propres aux femmes elles-mêmes.
En cuisine, la tâche est rude et la discipline de fer. Les femmes qui veulent s’y faire accepter doivent gommer leur féminité. Et si l’on sort de la cuisine, la célébrité s’acquiert grâce à des réseaux que les femmes, nous dit Vérane Frediani, répugnent à faire fonctionner en raison de leur manque de confiance en elles.

À la recherche des femmes chefs explore le monde entier, de la Chine au Chili, en passant par le Royaume-Uni, les États-Unis et la Lituanie. Ce voyage au long cours ouvre des horizons mais nuit à l’unité du propos. Le dernier quart du film frôle d’ailleurs le hors sujet, présentant une expérience bolivienne intéressante mais hors sujet d’émancipation des femmes par l’éducation culinaire.

Telle n’est pas toutefois la tare essentielle de ce documentaire. Le principal reproche qu’on lui adressera est le suivant. Pour dénoncer une discrimination de genre, il reprend à son compte des catégories genrées. Il explique l’absence des femmes de la direction des tables étoilées par leur supposée absence d’ambition, par leur réticence à se pousser du col, par leur incapacité à s’organiser en réseaux. Autant de  soi-disant attributs féminins qui expliquent moins cette discrimination qu’ils ne la justifient et ne l’entretiennent.

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Mad Max: Fury Road ★☆☆☆

Après Mad Max (1979), Mad Max II – le défi (1981) et Mad Max – Au delà du dôme du tonnerre (1985), il a fallu attendre trente ans la sortie de Mad Max: Fury Road.
Dit autrement : les trois quarts de l’audience juvénile de la salle où j’étais allé le voir en 2015 n’étaient pas nés à la sortie des premiers épisodes !
Si les vrombissements post-apocalyptiques des bolides customisés et le perfecto de Mel Gibson ont bercé mon enfance, sur quel ressort cet opus tardif joue-t-il chez un public nourri entretemps de mille autres références ?

Deux longues heures ne m’auront pas donné la réponse à cette question.
George Miller nous livre un spectacle visuel gratuit.
Gratuit ? pas tant que ça. Le moindre plan est si sophistiqué qu’il a probablement coûté à lui seul le PIB du Swaziland.

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La Loi du marché ★★★☆

On réagira différemment selon ses opinions politiques à La Loi du marché présenté à Cannes en 2015 et couronné par le César du meilleur film.

Si on penche à droite, on trouvera bien caricaturale la charge contre l’entreprise accusée de tous les maux.

Si on penche à gauche, on sera ému aux larmes par ce portrait sans concession d’un homme qui lutte contre un système qui bafoue sa dignité.

Mais, où qu’on se situe, on ne pourra qu’être impressionné par la maîtrise du réalisateur et par le jeu des acteurs, Vincent Lindon en tête qui a amplement mérité la Palme.

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Ex Machina ★☆☆☆

Ex Machina avait tout pour plaire.
Un réalisateur talentueux, Axel Garland, scénariste à succès (The Beach, 28 Days Later, Never let me go) qui passe pour la première fois derrière la caméra.
Un film de genre : la Sci-fi sans extra-terrestres aux oreilles vertes et combats intergalactiques
Un sujet métaphysique qui louche du côté de Blade Runner et de A.I. : l’intelligence artificielle et son impossible humanité.

Hélas j’avoue m’être copieusement ennuyé devant ce huis-clos étouffant, bavard et fumeux.
La faute au film trop touffu ? la faute à moi qui n’y ai rien compris et qui, à la lecture de l’article de Whatculture.com suis en train de mesurer ce à côté de quoi je suis passé ! À lire évidemment après avoir vu le film – le risque étant que vous n’y compreniez rien (si si ! soyez solidaire et évitez-moi de me sentir très bête).

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La Porte d’Anna ★★★☆

Produit par mon ami Henri Magalon « La Porte d’Anna » est un documentaire tourné à la fondation Vallée dans le Val-de-Marne. Cet établissement pédopsychiatrique accueille des adolescents autistes et psychotiques.

Les premières images sont rudes tant ces patients, dont certains ne maîtrisent même pas le langage, semblent lourdement affectés. Leur retard fait peur. Leur violence effraie.

Mais, avec douceur, la caméra de Patrick Dumont et François Hebrard nous les rend familier. On s’attache à ce petit groupe. On suit leurs progrès sinon leur guérison que l’on sait impossible.

Et surtout on reste pantois d’admiration devant la patience et le dévouement du personnel soignant. Sans doute face à la caméra s’efforçait-il de faire bonne figure. Il n’en donne pas moins l’image d’un service public de la santé admirable d’humanité et de professionnalisme.

Reste un grand absent : les parents.

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