Gaspard (Félix Moati) se rend au mariage de son père (Johan Heldenbergh) qui dirige un zoo dans le Limousin. Il demande à Laura (Laetitia Dosch) de l’accompagner et de se faire passer pour sa petite amie. Il y retrouve sa sœur Coline (Christa Théret) qui vit en symbiose avec les animaux et son frère Virgil (Guillaume Gouix) qui porte à bout de bras l’entreprise familiale menacée de faillite.
Gaspard… commence comme Ce qui nous lie, le dernier Klapisch : un fils prodigue revient au foyer après une longue absence pour y retrouver sa sœur et son frère. La ressemblance est d’autant plus troublante que Félix Moati et Pio Marmai portent le même collier de barbe et présentent les mêmes syndromes adulescents. Mais la ressemblance s’arrête là. Le troisième film d’Antony Cordier, un réalisateur peu prolixe dont j’avais adoré en son temps Sueurs froides (2005), préfère au réalisme un peu planplan du dernier Klapisch l’univers décalé de Wes Anderson – comme le remarque pertinemment le critique de Télérama. Comme dans La Famille Tenebaum ou La Vie aquatique, Gaspard… met en scène une famille gentiment dysfonctionnelle, loufoquement branquignole : la mère est morte sous les dents d’un tigre – quoique les circonstances exactes de son décès varient selon celui qui les raconte – le père compulsivement infidèle ne parvient pas à convaincre la vétérinaire de l’exploitation (Marina Foïs) de la sincérité de son attachement, la sœur qui se prend pour un ours nourrit pour Gaspard une attraction incestueuse, le frère est en passe d’épouser une tatoueuse professionnelle…
Le seul personnage un tant soit peu équilibré de cette réjouissante ménagerie est Laura l’intruse. Équilibrée, elle ne l’est pourtant pas tant que cela si l’on en croit le prologue qui la voit embarquée par des altermondialistes qui s’enchaînent sur une voie ferré pour y empêcher le passage de je-ne-sais- quel convoi. Jolie comme un cœur, d’une rafraichissante spontanéité, Laetitia Dosch confirme le succès de Jeune femme – qui devrait lui valoir le 2 mars prochain le César du meilleur espoir féminin.
Comme chez Wes Anderson, l’inéluctable sortie de l’enfance est le thème principal du film d’Antony Cordier. Gaspard et sa famille doivent sortir de l’Éden originel et vivre enfin une vie d’adulte loin de ce zoo enchanteur. La décrépitude de l’entreprise familiale, vidée de ses visiteurs, menacée par une bande de chiens sauvages qui s’attaquent aux bêtes dès la nuit tombée, les y contraint. C’est pour Coline que le choc est le plus rude qui porte depuis l’enfance une peau d’ours qui fait fuir ses soupirants par son odeur pestilentielle (dommage que le film ne soit pas projeté en odorama). C’est pour Gaspard que l’épreuve est la plus facile, lui qui déjà s’était tenu à distance depuis plusieurs années de cet environnement, lui qui y a introduit avec Laura un corps étranger, lui dont on sait dès la première scène qu’il en repartira avec elle, le veinard.
Un concentré de bonheur, de liberté,d’humour, de fantaisie. Ca fait un bien fou! Ce film est un conte drôle, décapant, irrévérencieux où tout se fait (ou presque) , tout se montre, tout se dit. L’action se passe dans un zoo mais le monde y est inversé car ce sont les humains qui constituent la curiosité de l’établissement. Une famille déjantée atteinte du syndrome de Peter Pan: immature émotionnellement, inapte à s’intégrer au monde extérieur, idolâtrant la figure paternelle à la sexualité compulsive. Voilà la part animale de notre être qui s’impose sans qu’il n’y ait rien de malsain et sans regression aucune. Je n’ai pas vu personnellement d’inceste entre le frère et la soeur mais au contraire une complicité absolue. L’humour est toujours de la partie. Notamment dans ces scènes olfactives, où les humains ( à l’instar des animaux ) se sentent mutuellement ou transpirent des odeurs particulières (la peau d’ours de la jeune soeur: Coline). La scène où Gaspard paie pour sentir le jarret de son amie Laura, la scène où elle l’autorise à aller plus haut , dans son entre-jambe, la scène où Coline fait l’amour avec un grand gaillard dans une benne contenant des fruits et légumes écrasés destinés à la nourriture des animaux. J’ai aimé ces descriptions sensorielles comme celles du toucher: la terre, les racines, le poil animal, la peau humaine. C’est renouer avec une partie de nous-mêmes. Oui, nous sommes aussi des animaux!