Élisa est à l’âge de tous les commencements. Elle est sur le point de quitter la maison familiale, une ferme perdue dans les montagnes du Vercors, pour poursuivre ses études à Montpellier en colocation avec sa meilleure amie. Mais Élisa a une sœur aînée, Manon, lourdement handicapée. Et quand leur mère abandonne le foyer, Élisa se sent obligée de seconder son père dans l’attention de chaque instant que Manon exige.
Marche ou crève filme une réalité rarement dite : celle de ces milliers de parents asservis au handicap de leur enfant, condamnés à la répétition harassante, sans espoir de rémission, des mêmes gestes, des mêmes soins, celle de ces parents dont l’amour infini et inconditionnel qu’ils portent à leur enfant est lentement érodé par la fatigue et la colère, celle du choix impossible entre une « vraie » vie libérée de cette contrainte, qu’on aurait aimé choisir, et celle toute d’altruisme et de désintéressement que le destin leur a imposée et dont ils ne peuvent s’affranchir sauf à passer aux yeux des autres et à leurs propres yeux pour le pire des monstres.
Marche ou crève est un film dont on peine à se remettre, qu’on ait soi-même vécu pareille situation ou qu’on l’imagine. Il le fait sans voyeurisme ni sentimentalisme en trouvant le ton juste pour traiter un sujet propice à tous les dérapages.
Car ses personnages ne sont jamais manichéens. Manon, la sœur handicapée, n’est ni adorable ni détestable : elle est simplement une jeune femme lourdement dépendante qui nécessite une présence permanente. Le père, interprété par Cédric Kahn, aussi bon devant que derrière la caméra, est aussi admirable par le dévouement qu’il manifeste à sa fille que critiquable pour avoir transformé sa vie en sacerdoce masochiste.
Celle qui résume le mieux ces contradictions est Élisa, la sœur cadette. Diane Rouxel l’interprète dont le visage hyperboréen (cheveux blonds presque blancs, yeux bleus pâles un peu bridés) mangeait déjà l’affiche de Volontaire où elle jouait le rôle d’un vaillant petit soldat. La jeune fille déborde d’amour pour sa sœur et vit comme une culpabilité l’urgence du désir de voler de ses propres ailes, de découvrir d’autres lieux, d’autres gens… Marche ou crève est l’histoire de son accomplissement, un coming of age movie sans mièvrerie.