The Raft ★★☆☆

En 1973, l’anthropologue mexicain Santiago Genovés décide de réaliser une ambitieuse expérimentation. Pour étudier les mécanismes de la violence, la façon dont elle naît au sein d’un groupe, se contient ou dégénère, il place six femmes et cinq hommes à bord d’un radeau au milieu de l’Atlantique entre les Canaries et le Yucatán. Pour attiser les tensions, il les choisit de pays, de conditions et de religions différentes, apparie des blondes appétissantes et un prêtre angolais.
Quarante trois ans après les faits, le réalisateur suédois réunit les survivants, les interrogent sur cette expérience hors du commun et entremêlent ces interviews d’images d’archives.

The Raft lève le voile sur une expérience aujourd’hui oubliée dont on se demande – même si The Loft et Koh Lanta sont passés par là – si elle aurait reçu aujourd’hui les autorisations pour être menée à bien. Imaginez : onze personnes sans expérience de la navigation placés sur une boîte de conserve, sans moteur ni navire suiveur, dans le seul but de les regarder s’étriper.

Mais rien ne se passe comme prévu. Au lieu de se sauter à la gorge, les membres de l’expédition sympathisent et se soutiennent. Comment d’ailleurs aurait-il pu en être autrement ? Comment imaginer que onze jeunes gens en pleine santé, ayant fait acte de candidature, connaissant par avance la durée et la condition de leur isolement, puissent reproduire le comportement par exemple de passagers kidnappés dans un détournement d’avions ou de prisonniers torturés dans une prison insalubre, sans doute moins capables de résilience ?

La seule violence qui s’exprimera à bord de l’Acali sera celle de Santiago Genovés lui-même, embarqué avec ses cobayes, qui essaie par tous les moyens, même les plus retors, de les monter les uns contre les autres, afin que « quelque chose se passe » durant cette croisière trop tranquille. Il n’y parviendra pas. Pire : après avoir destitué la capitaine suédoise, il réussira simplement à se mettre le reste de l’équipage à dos et sera contraint à l’isolement.

La seule chose que l’expérience démontre est le poids, presque caricatural, des origines nationales. Chacun des passagers de l’Acali se comporte ainsi qu’on l’imagine de la part des ressortissants des pays dont ils sont originaires. La Suédoise a la rigueur toute scandinave de ceux qui ne rigolent pas avec les règlements. L’Afro-américaine se braque contre toute forme de discrimination. Le Japonais, timide et médiocrement anglophone, trouve que toutes les femmes ont de gros seins. Quant aux deux Françaises, elles sont les plus jolies filles du bateau !

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Le Silence des autres ★★★☆

En 1977, deux ans après la mort du Caudillo, la jeune démocratie espagnole vote une loi d’amnistie générale qui exonère de leurs responsabilités les auteurs de crimes commis sous le franquisme. Entre l’oubli et la justice, l’Espagne post-franquiste choisit l’oubli. Entre la repentance et la réconciliation, elle préfère la réconciliation.
Mais la mémoire a la vie dure. En 2010 plusieurs victimes du franquisme et leurs ayants-droits décident de se regrouper Maria Martin a vu disparaître en 1936 sa mère, froidement exécutée durant la Guerre civile, et se bat pour retrouver ses restes. José Maria Galante est un étudiant torturé sous le franquisme dans les geôles de la DGS qui vit aujourd’hui à une encablure de son tortionnaire, lequel n’a jamais été poursuivi. Cécilia est une fille mère dont l’enfant lui a été volé à la maternité pour être confié à une famille respectable tandis qu’on lui prétendait qu’il était décédé.
Faute de pouvoir saisir la justice espagnole, ces victimes décident de se porter partie civile en Argentine au nom de la loi de justice universelle. Un juge d’instruction est désigné. Le Silence des autres raconte son enquête.

Récemment distingué par le Goya du meilleur documentaire, Le Silence des autres est une œuvre aussi déchirante qu’intelligente. Elle lève le voile sur les crimes du franquisme et sur le combat courageux d’une poignée de victimes qui entendent les dénoncer.
Non sans manichéisme, il nous présente le « pacte d’oubli » scellé en 1977 comme une décisions haïssable. C’est oublier le dilemme qui se pose aux sociétés post-totalitaires qui tentent, au lendemain d’une page traumatisante de leur histoire, de restaurer le vivre-ensemble. Instruire de longs procès qui risquent de rouvrir des plaies qu’on veut cicatriser ? ou aller de l’avant en tournant le dos au passé ? C’est aussi oublier les termes dans lesquels se pose la fin d’une dictature : sans la promesse d’une amnistie, les autorités ne seront guère incitées à quitter le pouvoir.

Mais, comme le montre l’Histoire, sous toutes les latitudes, quelles que soient les circonstances, plus ou moins pacifiques, dans lesquelles s’est opérée la transition, le désir de justice finit tôt ou tard par s’exprimer.
C’est ce qui se passe en Espagne, souvent présentée comme l’exemple d’une société réconciliée sur une amnésie.

Le Silence des autres est profondément émouvant qui suit des gens de peu, souvent au crépuscule de leur vie, hantés par un « passé qui ne passe pas ». La plus touchante est peut-être Asunción, une octogénaire fluette mais toujours élégante, qu’on découvre à l’aéroport de Madrid, au moment d’embarquer pour l’Argentine où elle ira témoigner, un peu dépassée par l’intérêt médiatique que son action suscite. Les plus traumatisantes sont ces mères qui combattent pour retrouver leurs bébés disparus – pendant et même après la dictature franquiste – dont on regrette qu’on n’en sache pas plus sur le succès ou l’insuccès de leur combat.

Le Silence des autres est aussi profondément instructif sur les stratégies juridiques déployées au service de ce « travail de mémoire ». L’une est l’abrogation de la loi d’amnistie de 1977, hélas bloquée par les forces conservatrices espagnoles – le parti populaire de Aznar et de Rajoy n’a pas le beau rôle. L’autre est le détour par un pays ayant adopté une loi de compétence universelle permettant de poursuivre, en tous temps et en tous lieux, les auteurs de crimes imprescriptibles. On imagine aisément les difficultés diplomatiques que soulève la mise en œuvre de cette compétence universelle. On se souvient de l’imbroglio juridico-diplomatique causé par l’arrestation d’Augusto Pinochet en 1998 au Royaume-Uni. On connaît les difficultés soulevées par la mise en œuvre de la loi belge de 1993 qui, si elle a permis la mise en cause de Sharon, de Bush senior et de Cheney, fut promptement abrogée. On constate, à suivre les efforts inlassables de la juge argentine et des victimes espagnoles, que les voies de la justice sont laborieuses et que les accusés vieillissants, tel Pinochet au Chili, mourront avant d’être jugés.

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Pearl ★☆☆☆

Léa Pearl (Julia Föry, vainqueur en 2016 des Arnold’s Classic) est bodybuildeuse. Elle est candidate au concours de Miss Heaven. Son coach Al (Peter Mullan révélé par Ken Loach) veille sur elle comme le lait sur le feu, vérifiant son régime, supervisant ses entraînements.
Rien ne doit venir perturber la concentration de la championne quand son passé fait brutalement irruption. Son ancien compagnon (Ariel Worthalter, le père de l’héroïne de Girl) déboule avec Joseph, leur fils de quatre ans.

Première assistante de Eugène Green, Mathieu Amalric, Noémie Lvovsky ou Bertrand Bonello, Elsa Amiel choisit pour son premier long métrage de filmer un milieu rarement montré. Celui du bodybuilding. Féminin qui plus est. Ce monde suscite parfois une curiosité malsaine. Les corps des bodybuilders donnent à voir des muscles hypertrophiés, presque monstrueux. Celui des bodybuildeuses nourrit un fantasme paradoxal : peut-on être à la fois féminine et musclée ?

En 2014, dans Bodybuilder, un petit film remarquable mais hélas passé inaperçu, Roschdy Zem avait mis en scène un bodybuilder et son fils perdu de vue. C’est la même veine qu’exploite Pearl en mettant face à face une bodybuildeuse et son fils. Cette rencontre est l’occasion de répondre aux questions que le sujet pose : la délicate conciliation entre le métier de bodybuildeuse et l’état de mère. Dans Bodybuilder, la paternité était interrogée par un scénario riche en rebondissements. Le scénario de Pearl n’a pas une telle subtilité. Une fois que l’héroïne se retrouve avec son fils, il fait du surplace jusqu’à une conclusion convenue.

Pearl est captivant dans sa première demie-heure qui nous fait découvrir les coulisses d’un monde inconnu, mais décevant dans ses deux tiers suivants. Il aurait fait un excellent court métrage.

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L’Intervention ★★☆☆

Le 3 février 1976, des militants indépendantistes prennent en otage un bus de ramassage scolaire et ses occupants à Djibouti qui était alors un territoire français ultramarin. Ils forcent le conducteur à les amener à la frontière avec la Somalie. Le bus y est immobilisé tandis qu’une assistante sociale accepte de se constituer otage pour s’occuper des enfants.
Le lendemain, un groupe de tireurs d’élite de la gendarmerie nationale commandé par le lieutenant Prouteau prend d’assaut le bus, élimine les ravisseurs et riposte au feu des Somaliens postés de l’autre côté de la frontière.

Réalisateur en 2015 d’un premier film passé inaperçu, Fred Grivois est allé tourné au Maroc cette reconstitution historique. Il veut l’inscrire dans l’histoire avec un grand H : histoire de la décolonisation française de ce dernier confetti d’Empire, histoire d’une époque où les deux Supergrands se livraient en Afrique une guerre par procuration, histoire de la naissance du GIGN qui allait bientôt se spécialiser dans la libération d’otages.

Il prend quelques libertés avec les faits réels : ainsi du personnage de l’espion de la CIA ou de celui d’Olga Kurylenko qui interprète une belle institutrice. Mais peu importe que le film ne soit jamais aussi maladroit que lorsqu’il essaie de se donner une envergure qu’il n’a pas : le public visé n’a pas fait sa thèse d’État sur « l’équation sécuritaire de la Corne de l’Afrique » (poke Sonia Le Gouriellec).

Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. L’Intervention remplit sans se forcer son contrat. Même si on connaît par avance son issue, on suit cette prise d’otages sans regarder sa montre et on s’attache à chaque membre du commando, le petit jeu consistant à prédire celui qui y restera, à son sympathique commandant (comment peut-on être myope et tireur d’élite ?) et à la jolie maîtresse qu’il va sauver.
Manifestement, la recette, pourtant efficace, n’a pas trouvé son public : au bout de deux semaines L’Intervention a déjà quasiment disparu des écrans.

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Alita: Battle Angel ★☆☆☆

Dans un vingt-sixième siècle  post-apocalyptique, l’humanité se divise en deux zones aux frontières infranchissables. À quelques milliers de mètres au-dessus de la terre, Zalem, cité inaccessible, est dit-on peuplée d’humains vivant dans un luxe inouï. En dessous d’elle, Iron City est une décharge, construite autour des rebuts déversés par Zalem, qui rassemble la lie de l’humanité, des cyborgs, des assassins et des chasseurs de prime.
Alita (Rosa Salazar) est un droïde reconfiguré par le docteur Ido (Christophe Waltz), un génie en cybernétique, qui lui a donné l’apparence de sa défunte fille. Le physique fluet de la jeune femme ne doit pas faire illusion : Alita est un droïde de dernière génération, doté de l’instinct d’une guerrière. Les maîtres d’Iron City, Chiren (Jennifer Connelly) et Vector (Mahershala Ali), veulent s’en emparer.

Longtemps, les superhéros ont été exclusivement masculins : Superman, Batman, Harry Potter… Et progressivement, les filles ont occupé le haut de l’affiche : Katnis Everdeen, l’héroïne des Hunger Games, Wonderwoman, Tris, l’héroïne de Divergente… La brindille Alita s’inscrit dans cette généalogie, héroïne avec qui les jeunes adolescentes mal dans leur peau du monde entier pourront aisément s’identifier : « J’ai quinze ans, des yeux globuleux et une poitrine de planche à pain ; mais j’ai l’âme d’une guerrière »

James Cameron est de retour. Après Avatar, voici Alita (décidément il aime bien les a) adapté du célèbre manga Gumm de Yukito Kishiro. La recette est la même : de la science-fiction, des effets spéciaux et beaucoup de dollars. Deux cents millions. Le PIB des Îles Marshall. S’il a délégué à Robert Rodriguez (Desperado, Une nuit en enfer, Spy Kids) la réalisation, la patte du maître canadien est bien visible.

Le public en aura pour son argent avec un délire d’effets visuels, qu’il s’agisse du corps bionique d’Alita, des vues de Iron City ou des cruelles parties de Motorball qui s’y jouent. Il ne sera guère surpris par un scénario qui louche du côté d’Elysium, de Rollerball et de Blade Runner. Alita voit, comme de bien entendu, s’affronter des gentils et des méchants et se termine par l’annonce d’un deuxième volet – à condition que les résultats au box-office du premier le permettent.

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Vice ★★★☆

Dick Cheney fut pendant huit ans le vice-président de George W. Bush. L’homme, secret et taciturne, est entouré d’un épais mystère. On lui prête la responsabilité de la « Guerre contre la terreur » après le 11-septembre : invasion de l’Afghanistan en 2001, de l’Irak en 2003. La fiction soigneusement documentée de Adam McKay lève le voile sur cet inconnu.

Vice est un régal, un vrai jeu de massacres qui dézingue l’un des hommes politiques américains les plus haïs des États-Unis, du moins dans le camp démocrate – dont on sait qu’il n’est pas nécessairement majoritaire outre-Atlantique. Comme cette sensibilité politique-là est largement représentée à Hollywood, il n’est pas étonnant que Vice y fasse sensation, engrangeant pas moins de huit nominations aux Oscars – et dont il serait injuste qu’il ne reparte pas au moins avec celui du meilleur acteur pour Christian Bale méconnaissable.

Adam McKay, le réalisateur, s’est fait un nom en signant dans les années 2000 plusieurs comédies déjantées avec Will Ferrell (Présentateur vedette, Ricky Bobby, Frangins malgré eux) avant de donner un tour plus sérieux à sa carrière. Nommé cinq fois aux Oscars 2016, The Big Short racontait la crise des subprime avec un mélange unique d’humour et de sérieux. C’est la même recette que Adam McKay utilise dans Vice où il retrouve Christian Bale (Dick Cheney) et Steve Carell (Donald Rumsfeld). Will Ferrell aurait fait un très bon George W. qu’il a imité plusieurs fois dans le Saturday Night Live ; mais le rôle est échu à Sam Rockwell qui en fait un idiot goguenard hanté par l’écrasante figure paternelle.

Vice est une vraie réussite cinématographique qui maintient le rythme de la narration durant plus de deux heures sans une seconde d’ennui, en multipliant les ruptures de ton. Il a le culot d’imaginer en son mitan une fin alternative (que se serait-il passé si Cheney avait abandonné la politique après l’élection de Clinton ?) ou un face-à-face shakespearien entre Dick et son épouse Lynne, véritable Lady Macbeth, au moment d’accepter le poste de vice-président, une charge purement symbolique qui n’a d’intérêt que si le président accepte de déléguer à son titulaire des pouvoirs.

Pour autant, Vice a deux défauts. Le premier est de faire la part trop belle aux événements qui précèdent le 11-septembre. Certes, on apprend comment Cheney a commencé sa carrière auprès de Rumsfeld, comment il est devenu Chef de cabinet de Gérald Ford, représentant du Wyoming et  ministre de la défense de George H. Bush. Mais, on passe trop vite sur la façon dont Cheney a réussi à transformer le 11-septembre en « opportunité » : opportunité de faire la guerre en Afghanistan d’abord, puis en Irak ensuite quand bien même la possession par le régime de Saddam d’armes de destruction massive et ses liens avec Al Qaeda relevaient plus du fantasme que de la réalité.

Le second est plus gênant. Il est annoncé dès le titre. On comprend qu’il y sera question de vice et de vice-président. Car le portrait de Cheney est à charge. À charge quasi-exclusivement – si ce n’est peut-être pour évoquer sa relation à sa fille lesbienne. Et c’est ce manque de nuance qui lèse le film. Manque de nuance dans la description d’un homme chargé de tous les maux de la terre : terne, ambitieux, calculateur, sans scrupule…. Manque de nuance dans la description d’une administration dont Cheney n’était pas le seul à tirer les ficelles. À force de décrire Cheney comme un « super-vilain », Vice le prive de crédibilité et d’humanité.

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La Dernière Folie de Claire Darling ★☆☆☆

La septantaine bien entamée, Claire Darling (Catherine Deneuve) habite une belle demeure dans un charmant village de l’Oise. Un beau matin, elle se réveille hantée par une prémonition : elle mourra le soir même. Du coup, dans un élan de folie, elle décide d’organiser un vide-grenier pour brader toutes ses possessions matérielles.
Une brocanteuse, amie de la famille (Laure Calamy) s’alarme et prévient Marie, la fille de Claire Darling (Chiara Mastroianni).

César du premier film en 2004 avec Depuis qu’Otar est parti, Julie Bertuccelli alterne documentaires engagés (La Cour de Babel) et fictions dramatiques (L’Arbre). La Dernière Folie de Claire Darling ressortit clairement de la seconde catégorie. Il s’agit de l’adaptation d’un court roman de Lynda Rutledge dont l’action se déroule le 31 décembre 1999 au Texas.

Julie Bertuccelli s’en est très librement inspirée. Le dernier vide-grenier de Faith Bass Darling racontait la vie de la riche veuve à partir des objets qu’elle mettait à l’encan : un revolver, une alliance, une pendule, une bible… Rien de tel dans La Dernière Folie… qui se construit plutôt autour de flash-back où l’on voit Alice Taglioni interpréter une Catherine Deneuve plus jeune et pas vraiment heureuse, entourée d’un mari qu’elle n’aime pas (Olivier Rabourdin), d’une fille en pleine révolte adolescente et d’un fils dont on apprendra bien vite le sort funeste. Elle trouve son seul réconfort dans la compagnie d’un prêtre. On dirait du Bernanos en moins austère, du Chabrol sans enquêteurs.

La Dernière Folie de Claire Darling est un film étonnant sinon bancal. Deux films s’y percutent. L’un est lumineux qui a pour héros Catherine Deneuve, Mamie Nova gentiment amnésique qui embrasse comme du bon pain tous ceux qu’elle croise à son vide-grenier. L’autre est plus amer qui montre une Alice Taglioni en grande bourgeoise superficielle et déprimée.

Qu’est-ce que la réalisatrice a voulu nous dire ? Que ces deux femmes n’en font qu’une ? Qu’une grande bourgeoise neurasthénique peut devenir une gentille patriarche ? Qu’il est toujours temps de se réconcilier avec la vie jusqu’au jour de sa mort ?

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Tout ce qu’il me reste de la révolution ★★☆☆

Angèle (Judith Davis) est une militante en colère. Tout l’afflige et lui nuit dans le monde d’aujourd’hui : la ville embouteillée, les distributeurs automatiques qui ont remplacé les bistros, les discours vides de sens.
Cette militante née est née dans une famille de militants. Mais après les déceptions du mitterrandisme et la chute du Mur, ses membres ont renoncé à l’engagement. Sa mère (Mireille Perrier) a disparu à la campagne. Sa sœur aînée (Mélanie Bestel) a épousé un jeune loup de la steppe managériale dont elle a eu tôt fait d’embrasser le mode de vie. Son père (Simon Bakhouche), chez qui Angèle se réinstalle après avoir perdu son travail, vit dans la nostalgie d’un temps perdu. Seule Angèle et sa fidèle amie Léonor (Claire Dumas) ont encore la foi du charbonnier.

La génération X, née après le baby boom, n’a pas eu de chance. Post soixante-huitarde, elle a connu le déclin des idéologies qui avaient bercé ses parents : communisme, maoïsme, tiers-mondisme, féminisme… Les luttes se sont diffractées, l’espoir d’un Grand Soir a régressé, l’engagement militant s’est fracassé sur le mur des égoïsmes et de l’ironie cynique. La génération X a hérité d’un second legs dont elle se serait bien passé : la crise du marché du travail, la montée du chômage, la difficulté à trouver sa place dans un monde qui ne l’a pas attendue.

Judith Davis porte à l’écran la pièce qu’elle avait montée avec le collectif L’Avantage du doute. Les mêmes acteurs l’entourent (notamment l’étonnante Claire Dumas à qui on aimerait promettre une belle carrière), auxquels se rajoutent des visages plus connus : Malik Zidi et Mireille Perrier. Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes évoquait déjà la trace laissée par l’engagement militant de ses parents : mais le film, sorti en 1993, racontait l’année 1958. Sorti l’an dernier, assassiné par la critique et boudé par les spectateurs, Les Affamés, mettait lui en scène des jeunes pleins d’imagination pour trouver coûte que coûte leur place dans la société.

Tout ce qu’il me reste… a sa façon bien à lui de traiter de sujets importants : le militantisme, la – saine – révolte face aux inégalités du monde, les difficultés de la mobilisation collective. Il le fait avec une ironie qui n’est pas sans rappeler Au nom des gens : Angèle (Judith Davis) est une cousine de Bahia (Sara Forestier) dont elle partage l’énergie et la capacité de mobilisation.

Le film semblait bien lancé dans sa première moitié. Il s’affadit dans sa seconde quand les questionnements politiques de l’héroïne se replient sur des névroses personnelles. On se serait bien passé du coup de foudre, aussi charmant soit-il, qu’elle vit avec un séduisant instituteur et de ses retrouvailles sans paroles avec sa mère. Un peu Rosa Luxembourg, un peu Bridget Jones, c’est dans le premier de ces deux rôles qu’on préfère Judith Davis.

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Arctic ★★★☆

Un homme (Mads Mikkelsen) tente de survivre seul dans la carlingue de l’avion qui s’est écrasé au nord du cercle arctique. Un hélicoptère venu le secourir connaît le même sort funeste. Son pilote perd la vie dans l’accident ; mais sa co-pilote, grièvement blessée, en réchappe. Pour la sauver d’une mort inéluctable, une seule option : gagner immédiatement une station saisonnière à plusieurs journées de marche au nord.

Arctic est un survival movie sans concession. Comme Robert Redford, qui luttait dans All is Lost (2013) sur un voilier menacé de naufrage, aucun flashback, aucun dialogue ne vient éclairer la psychologie du héros. Il est tout entier dans les gestes quotidiens qu’il répète : pêcher des ombles dans un trou d’eau, dessiner un SOS sur l’inlandsis dans l’espoir qu’un aéronef puisse le voir, émettre à intervalles réguliers sur le poste de radio… À la différence de Tom Hanks dans l’insupportable Seul au monde (Cast away), il n’y a pas d’avant, pas d’après.

Comme dans La Montagne entre nous (2017) avec Kate Winslet et Idris Elba, les survivants sont bientôt deux. Mais, ici, il n’est pas question d’histoire d’amour. La co-pilote thaïe qui tombe du ciel est inanimée, mourante. C’est un corps inerte qui pose au survivant un dilemme : la laisser mourir ou tenter de la sauver au péril de sa propre vie.

C’est bien sûr la seconde option qu’il choisit, entreprenant un périple épique à travers les montagnes qu’on imagine celles du nord du Groenland. Rien ne lui est épargné : les montagnes infranchissables, le froid polaire, les ours affamés… On ne dira rien de l’issue de sa longue marche qui, jusqu’au tout dernier plan, reste en suspens. Ce suspens est d’ailleurs assez efficace ; car les deux options (ils meurent / ils survivent) sont l’une comme l’autre concevables. Comme All is Lost, Arctic est un film suffisamment confidentiel pour se payer le luxe d’une fin malheureuse.

La peau tannée, les muscles secs, Mads Mikkelsen est de tous les plans. Du Danemark, son pays natal, à Hollywood, l’acteur tisse une carrière étonnante, alternant blockbusters (Casino royale, Rogue One, Hannibal) et les films d’auteur (Royal Affair, Le Guerrier silencieux, Michael Kohlhaas). Le film repose sur ses épaules. Ça tombe bien : elles sont sacrément robustes.

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Une intime conviction ★★☆☆

En 2000, Suzanne Viguier disparaît brutalement sans laisser de traces. Elle avait un amant (Philippe Urchan) et était sur le point de divorcer. Les soupçons se portent vite sur son mari (Laurent Lucas). Mais un premier procès devant la cour d’assises de Toulouse l’innocente. Fait rare : le ministère public fait appel. Un second procès va se tenir devant la cour d’assises d’Albi. Juré lors du premier procès, Nora (Marina Foïs) est persuadée de l’innocence de Viguier. Elle va convaincre le ténor du barreau, Me Dupond-Moretti (Olivier Gourmet) d’assurer sa défense.

Deux films en un. Une intime conviction est d’abord un film de procès comme le cinéma hollywoodien, depuis le film noir des années quarante, nous a habitués à en montrer. Il commence à l’ouverture du procès d’Albi et se conclut au prononcé de son verdict dont on ne dira rien – même si un clic sur Wikipédia vous permettra d’en connaître le sens. Pendant une heure cinquante, avec les juges et les jurés, les avocats de la défense et ceux des parties civiles, on cherche la vérité : qu’est-il arrivé à Suzanne Viguier le dimanche 27 février 2000 ? a-t-elle pris la poudre d’escampette pour fuir un quotidien étouffant ? s’est-elle disputée avec son mari qui refusait qu’elle le quitte ? a-t-elle été assassinée par son amant qu’elle ne voulait pas pour autant épouser ?

Mais Une intime conviction n’est pas que cela. En inventant de toutes pièces le personnage fictionnel de Nora, le réalisateur Antoine Raimbault a voulu l’entraîner dans une autre direction : c’est le film d’une obsession. Nora est obsédée par ce procès. Au point d’y abandonner son fils, qu’elle élève seule, son travail, dans un restaurant toulousain, son amant, qui pourtant déborde de tendresse pour elle. Sa vie se résume à ce seul objectif : faire innocenter Viguier que l’opinion publique, manipulée par les rumeurs distillées par Olivier Durandet, l’amant manipulateur, a dores et déjà condamné. Au risque parfois pour Nora d’utiliser les mêmes méthodes que celles de son ennemi.

Une intime conviction est servi par une interprétation impeccable. Olivier Gourmet est, comme d’habitude, magistral. Il réussit à incarner Dupond-Moretti, dont la silhouette et les mimiques sont désormais bien connues, sans le caricaturer. Après Le Grand Bain et Gaspard va au mariage, Marina Foïs, retrouve le haut de l’affiche qu’elle a déjà plusieurs fois occupé ces dernières années dans L’Atelier et Irréprochable. Un mot sur les seconds rôles : Laurent Lucas n’a pas la tâche facile pour donner de l’épaisseur, sans quasiment prononcer un mot, à un accusé qui peine à se rendre sympathique. Philippe Uchand a la beauferie rondouillarde du méchant de comédie. Et la jeune Armande Boulanger joue avec grâce la fille Viguier, écrasée depuis dix ans par un drame trop lourd pour elle.

Alors pourquoi deux étoiles seulement ? Parce que, malgré ses qualités, Une intime conviction ne parvient pas à se hisser au-dessus du lot, du tout venant (télé)visuel, par la faute de son scénario sans surprise, de sa mise en scène conventionnelle et de son dénouement attendu.

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