Depuis l’âge de dix ans, Khatera a été violée par son père. De cet inceste, pas moins de six enfants ont été conçus. Le premier est abandonné par son père dans le désert. Khatera avorte des quatre suivants. Le dernier naît à terme.
En 2014, âgée de vingt-trois ans, Khatera témoigne à la télévision afghane des violences qu’elle subit. Son père est arrêté. La réalisatrice Sahra Mani la filme pendant trois ans avec sa mère et sa fille. Khatera est encore enceinte. Elle va accoucher.
A Thousand Girls Like Me ne documente pas le sort des enfants victimes d’inceste en Afghanistan. Mais il suit pendant trois années une victime qui a eu le courage de briser la loi du silence. Si les violences qu’elle a subies sont terribles, leur révélation publique n’améliore guère son sort. Elle se heurte à un appareil judiciaire inerte, corrompu et patriarcal qui met en doute sa parole et la traite plus en coupable qu’en victime. Les tests ADN sont rares et chers en Afghanistan et tardent à démontrer la paternité de son enfant. Les oncles de Khatera défendent leur frère et harcèlent Khatera. Fille mère, sans travail, sans emploi, elle peine à trouver un logement, est contrainte à d’incessants déménagements dès que ses voisins découvrent son identité et est condamnée à passer ses journées dans des pièces minuscules avec la seule compagnie de sa mère et de ses enfants turbulents.
Il est des sujets qui bâillonnent la critique. A Thousand Girls Like Me est de ceux-là. Le sort de Khatera est si effroyable qu’on aurait mauvaise conscience de dire du mal du documentaire qui en est tiré, dont on imagine sans peine les difficultés qu’il a rencontrées pour être tourné et monté. Que sa réalisation ne brille pas par sa virtuosité n’a guère d’importance. Le drame qu’il relate est si déchirant, le courage déployé par la souriante Khatera sur le long chemin de la reconnaissance de ses droits si admirable que A Thousand Girls Like Me mérite en tout état de cause d’être vu.