À la fin du dix-huitième siècle, en dépit des obstacles opposés à son sexe, Marianne (Noémie Merlant) exerce la profession de peintre. Elle enseigne son art à quelques étudiantes. Un tableau lui rappelle des souvenirs.
Quelques années plus tôt, une comtesse (Valeria Golino) l’avait fait venir sur une île bretonne battue par les vents. La mission de Marianne : faire le portrait de la fille de la comtesse, Héloïse (Adèle Haenel), pour l’envoyer à un riche Milanais qui envisage d’épouser la jeune fille. Mais Héloïse, qui répugne à ce mariage, refuse de se laisser peindre. Sophie (Luàna Bajrami), la servante, veille à l’entretien de la maison.
Portrait de la jeune fille en feu n’arrive pas vierge sur les écrans. Sélectionné à Cannes, il a raté de justesse la Palme, se voyant, on ne comprend guère pourquoi, attribuer un Prix du scénario qui sonne comme un lot de consolation. Il est l’œuvre de Céline Sciamma, dont chacune des œuvres de sa trop rare filmographie ont été des succès : Naissance des pieuvres, Tomboy, Bande de filles… Céline Sciamma découvrit Adèle Haenel en 2007 et vécut en couple avec elle pendant dix ans, formant un des couples les plus glamours du cinéma français et lestant leurs retrouvailles d’un parfum de soufre (on se demande ce que la nouvelle conjointe de l’actrice en a pensé).
La barre est donc placée très haut. Et on redoute, un temps, que le film ne parvienne à la franchir. Il prend son temps pour se mettre en place. Il s’installe dans une certaine froideur : des personnages réduits au strict minimum, des dialogues laconiques, pas de musique.
Et tout s’embrase avec l’apparition de Héloïse après vingt minutes. Elle est filmée de dos, encapuchonnée, marchant à grands pas dans la lande. Sa capuche tombe révélant sa folle coiffure blonde – qui contraste avec la noirceur des cheveux de Marianne. Elle se dirige droit vers le bord de la falaise d’où sa sœur aînée s’est suicidée. Veut-elle elle aussi mourir ? Non, elle veut courir après être restée trop longtemps cloîtrée.
Cette scène donne le la. Elle place la relation entre Marianne et Héloïse sous le signe de l’incandescence mais en pose d’ores et déjà les limites. Les jeunes femmes vont se séduire et s’aimer ; mais, conscientes des règles que leur temps leur fixe, elles ne pourront en transgresser les interdits.
Cette fatalité donne au film la tonalité d’une tragédie grecque. Le mythe d’Orphée et d’Euridyce est convoqué. La métaphore est lourdement soulignée : Marianne, tel Orphée, est allée chercher sa bien-aimée aux Enfers (où la guettait la perspective sans joie d’une union qu’elle n’avait pas approuvée) mais au moment de l’en libérer se retourne (en peignant le portrait qui scellera ce mariage) et la condamne.
Portrait de la jeune fille en feu réussit avec une infinie delicatesse à filmer simultanément les deux temps d’une histoire d’amour : l’excitation d’une passion naissante et la mélancolie d’une passion passée. Ces deux temps sont scandés par deux interludes musicaux déchirants, les seuls moments où ce film volontiers janséniste s’autorise de telles fioritures : un choeur polyphonique de femmes et L’été de Vivaldi.
Portrait de la jeune fille en feu est un film profondément joyeux qui raconte la parenthèse enchantée que vivent Marianne et Héloïse, le temps de l’absence de la comtesse, en compagnie de Sophie dont l’état justifie que les barrières de classe cèdent (Héloïse fera la cuisine tandis que Sophie s’adonnera à la broderie, un loisir de dame). C’est en même temps un film terriblement triste sur la marque indélébile que laisse, en chacun d’entre nous, et sans doute en Céline Sciamma qui filme sa muse, la nostalgie d’un amour révolu. C’est un film aussi intelligent que sensible, aussi délicat qu’envoûtant.