Bastien Régnier a vingt ans. Il a grandi dans l’Oise. Il a deux passions dans la vie : le Laser Quest et le Front national. La Cravate le suit pendant la campagne présidentielle 2017.
Approcher la « bête immonde ». Nous faire comprendre de l’intérieur les motifs d’un engagement à l’extrême-droite. Le pari est difficile. La fiction s’y est essayée avec succès avec American History X, This is England, ou, pour la France, Un français en 2014 et Chez nous en 2017. Le documentaire devait s’y frotter.
Mains brunes sur la ville l’avait fait en 2012 en étudiant le cas d’Orange et de Bollène, éclairante démonstration de sociologie électorale pour y comprendre les ressorts du front national. La Cravate n’a pas cette ambition transversale. Il cherche à s’intéresser à un individu et à son parcours. Et il le capte à un moment bien particulier de l’histoire du Front, comme l’annonce le titre : celui de sa dédiabolisation, celui où le mouvement fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen troque rangers contre cravate pour gagner la respectabilité sans laquelle il n’est pas de victoire électorale possible.
Le pari n’est qu’à moitié réussi. Deux écueils guettaient les co-réalisateurs – qui avaient déjà signé ensemble l’excellent La Sociologue et l’Ourson qui revenait en 2016 sur la querelle autour du mariage pour tous. Le premier était de sombrer dans la caricature, de charger la barque en décrivant un nazillon peinant à cacher son idéologie rance derrière un vernis de respectabilité. Le second était inverse : verser dans l’empathie et rendre sympathique une personnalité qui ne pouvait pas l’être.
La Cravate évite ces deux écueils et grâce doit lui être rendue d’y être parvenu. Mais pour autant – et on pourra légitimement me trouver bien sévère – l’ambiguïté de son héros prive ce documentaire d’une partie de son sel. On sent que les réalisateurs avaient décelé en lui des failles et un potentiel. Les failles, ils auront tôt fait de les percer à jour. On n’en dira pas plus sauf à dévoiler une révélation qui n’en est pas vraiment une et que d’ailleurs la moitié des critiques évoquent dans leurs récensions. Le potentiel, hélas, restera inexploité : Bastien Régnier ne sera pas choisi pour porter les couleurs du FN aux législatives, au terme d’un processus de désignation trop vite survolé.
La Cravate est construit selon une mécanique très artificielle. Les réalisateurs invitent son protagoniste, après le tournage, à lire face caméra le script de leur documentaire et à y réagir à chaud. On voit donc avec lui le film de sa vie raconté par une voix off mielleuse qui débite un texte très littéraire à la façon des romans d’apprentissage. On s’interroge sur la raison d’être de cette présentation : offrir à Bastien Régnier un droit de réponse ? prouver aux spectateurs que son accord a été recueilli pour le présenter sous un jour qui n’est pas toujours flatteur ?
Au moment de refermer le script, Bastien Régnier s’interroge : « Est-ce que je suis un connard ? ». Les spectateurs de la salle parisienne où j’ai vu le film hier – le département de France où le FN fait son plus mauvais score – avaient spontanément envie de répondre oui. Mais la vérité oblige à tempérer ce jugement : « Tu es simplement un naïf qui s’est fait avoir en exposant sa vie ».