Stéphane Riethauser nous convie à une soirée diapo pour regarder les vieux films super 8 tournés par son père durant son enfance. On y voit sa grand-mère Caroline, ses parents, son frère cadet. On les voit à Genève où la famille habite et surtout sur la Côte d’Azur, près de Saint-Raphaël, où les vacances et la lumière estivale multiplient les occasions de se filmer en famille.
Ainsi présenté, Madame vous fait déjà bâiller d’ennui. Pourtant, derrière sa fausse innocence, Madame s’avère un témoignage aussi impudique qu’efficace sur le coming out, moins austère que les essais de Didier Eribon, moins prétentieux que les témoignages d’Edouard Louis, mais pas moins rageur ni moins helvétique que l’autobiographie de Fritz Zorn.
Stéphane Riethauser y raconte comment un petit garçon de la bonne bourgeoisie genevoise est éduqué dans une « homophobie ordinaire » – J’emploie l’expression comme Ariane Chebel d’Appollonia parlait dans les années 90 de « racismes ordinaires ». Les stéréotypes de genre font rage autour du petit garçon choyé par des parents aimants qui ne lui imaginent pas d’autre avenir que de fonder une famille et de reprendre la fiduciaire paternelle. Les « pédés » sont une source de plaisanterie moqueuse, des personnages de carnaval vaguement ridicules, une projection inimaginable pour des bourgeois confinés dans une stricte hétérosexualité.
L’enfance du jeune Stéphane se lit rétrospectivement comme un douloureux cheminement vers une identité refoulée et inavouable. On le voit avec des copains pour lesquels il ressent une attirance trouble. Dans son équipe de basket ou au régiment, la mâle virilité des vestiaires ou des chambrées le mettent mal à l’aise. Quelques flirts hétéro tournent court.
Tout au long de sa vie, Stéphane aura été proche de sa grand-mère, une femme forte, autoritaire, mariée contre son gré à seize ans, divorcée, puis remariée à trente. Elle a construit sa vie toute seule à force de volonté et de travail. Elle aura constitué pour le jeune garçon un phare et un havre.
Madame sort sur les écrans quelques mois après Toutes les vies de Kojin, un documentaire sur l’homophobie au Kurdistan. Les deux films méritent d’être regardés ensemble. Ils se déroulent dans deux milieux bien différents, les bords du lac Léman pour le premier, les montagnes du Kurdistan pour le second. Ils sont censés décrire deux milieux aux antipodes l’un de l’autre : la HSP d’un côté, l’Islam le plus rétrograde de l’autre. Sans doute, les imams intégristes de Toutes les vies de Kojin vouent-ils au bûcher les sodomites ce que les paisibles bourgeois de Genève ne font plus depuis Jean Calvin. Pour autant, l’homophobie beauf que ces derniers déploient – ou déployaient encore à la fin du siècle dernier – est à peine moins ridicule et à peine moins terrifiante.