Chaque année plusieurs centaines de milliers de randonneurs du monde entier font le pèlerinage de Compostelle. Son succès n’a cessé de croitre, attirant des foules sans cesse plus nombreuses, en quête tout à la fois de grand air, de spiritualité et de dépassement. D’ailleurs, la soixantaine approchant à grands pas, je me dis qu’il serait temps que, moi aussi, je m’y prépare. Ce serait de mon âge…
Le pèlerinage de Compostelle est souvent évoqué dans les arts et la littérature. Il servait déjà de cadre à La Voie lactée du très anticlérical Luis Bunuel. Il constitue l’arrière-plan de Thérapie, un livre méconnu de David Lodge qui compte pourtant dans mes préférés. Jean-Christophe Rufin lui a consacré ses carnets de route dans un livre dont le succès ne se démentira pas de longtemps, chaque pèlerin français se le voyant probablement offrir par ses beaux-enfants lors du Noël précédant ou suivant la randonnée.
Sur la route de Compostelle est un documentaire qui suit six randonneurs australiens et néo-zélandais. La cinquantaine déjà bien entamée, ils ont chacun un bon motif pour avoir traversé la moitié du globe et se coltiner les presque mille kilomètres de sentiers boueux depuis la frontière française jusqu’à l’extrême pointe de la péninsule ibérique. Sue est septuagénaire et souffre d’arthrose dégénérative. Julie vient de perdre coup sur coup son mari après une longue maladie et son fils dans un accident de rafting. Mark fait avec son beau-père le deuil de sa fille Maddy morte à dix-sept ans de mucoviscidose.
En 2005, dans Saint-Jacques… La Mecque, Coline Serreau avait utilisé une trame similaire pour faire un tableau de groupe d’une famille contrainte, par les clauses d’un testament, à cheminer ensemble. Le propos était volontiers bien pensant : il s’agissait de montrer que les différences (de croyance, de classe) étaient solubles dans la randonnée pédestre. Le propos de ce documentaire néo-zélandais ne l’est pas moins qui souligne les effets cathartiques de ce pèlerinage censé venir à bout de tous les deuils.
On ne peut qu’être ému aux larmes par la souffrance de Sue, par le chagrin de Julie, par la colère de Mark. L’émotion qu’ils suscitent est sincère ; mais elle n’en est pas moins teintée d’un voyeurisme qui met mal à l’aise.