Séparée de son conjoint, Mary-Jane (Jane Birkin), la quarantaine, élève seule deux filles, la petite Lou (Lou Doillon) et Lucy (Charlotte Gainsbourg), une collégienne timide. À l’occasion de la boum organisée pour l’anniversaire de Lucy, Mary-Jane fait la connaissance de Julien (Matthieu Demy), un camarade de classe de Lucy. Le garçonnet l’émeut. Elle éprouve pour lui des sentiments troubles.
Kung-Fu Master est sorti en salles en mars 1988. À l’époque, je passais mon bac, commençais à aller au cinéma et avais reçu un abonnement à Première comme cadeau d’anniversaire. J’avais remarqué ce film-là mais n’avais pas réussi à le voir, faute qu’il fût diffusé sur les écrans de ma lointaine province. La liste de ces films-à-voir est longue de The Kitchen Toto à Pola X en passant par Les Rebelles du dieu Néon, Ariel, Nénette et Boni, Slacker, Le Festin nu, Garçon d’honneur ou Devarim. Mais je ne désespère pas, un jour, de finir par les voir d’une façon ou d’une autre.
Agnès Varda avait tourné un documentaire sur Jane Birkin, Jane B. par Agnès V., au cours duquel l’actrice lui confessait avoir écrit l’ébauche d’un scénario. Ni une ni deux, la réalisatrice décidait de le mettre en scène. Le résultat arrivait sur les écrans six mois plus tard avec un petit film, modeste et mineur, tourné en famille, avec les enfants des uns et des autres, chez les uns et chez les autres (une partie de l’action se déroule à Londres, chez les parents de Jane Birkin).
Aussi mineur soit-il, Kung-Fu Master est un film profondément touchant.
Son sujet pourrait mettre mal à l’aise : il y est tout de même question de la relation amoureuse d’une quadragénaire avec un collégien. On tremble d’ailleurs à l’idée des difficultés que la bien-pensance contemporaine opposerait peut-être aujourd’hui à sa réalisation.
Mais le malaise que le sujet inspire est miraculeusement évacué. Évacué par les ellipses d’un scénario qui laisse planer un doute sur la nature de la relation qui unit Mary-Jane à Martin. Évacué par la douceur de Jane Birkin, dont les sourires et les sentiments pour le jeune Martin n’ont rien de sale. Évacué enfin par l’identité du jeune acteur interprétant Martin, Mathieu Demy, le fils d’Agnès Varda, dont on n’imagine pas un instant qu’elle lui aurait fait jouer un rôle malsain.
Kung-Fu Master est un bijou que j’ai bien fait de ne pas avoir vu à sa sortie. Je n’aurais éprouvé aucune nostalgie à revoir le Paris des années 80, ses vieilles Renault 5, sa mode hideuse (ah ! ces choucroutes !). Je n’aurais pas été ému par le visage poupin de la jeune Charlotte, à peine sortie de l’enfance – pourtant déjà auréolée deux ans plus tôt par le César du meilleur espoir féminin pour L’Effrontée. Je n’aurais pas compris la tendresse du regard que Agnès Varda porte sur ces jeunes adolescents, ni le trouble qu’ils inspirent au personnage joué par Jane Birkin.