Au milieu du dix-neuvième siècle, au Canada, dans la province de l’Ontario, Grace Marks et James McDermott furent accusés du double meurtre de leur employeur, Thomas Kinnear, et de sa gouvernante, Nancy Montgomery. Si McDermott fut pendu, la peine de Grace Marks fut commuée en prison à vie. Quelques années après son procès, un jeune psychiatre obtient le droit de l’interroger. Captive raconte leur face-à-face.
Diffusé sur Netflix en 2017, Captive est une mini-série en six épisodes adaptée du roman Alias Grace de Margaret Atwood publié en 1996, Sans doute ce livre n’a-t-il pas la même renommée que La Servante écarlate, qui valut à la romancière canadienne une célébrité mondiale. Sans doute cette série n’a-t-elle pas le même prestige que celle qui vient d’être tirée de sa glaçante dystopie. Sans doute enfin la jeune Sarah Gadon – qui a pourtant joué dans plusieurs films de David Cronenberg – n’est elle pas aussi connue qu’Elisabeth Moss.
Pour autant, Captive est une œuvre exceptionnelle qui séduira non seulement les inconditionnels, déjà nombreux, de La Servante écarlate, mais aussi tous ceux, s’il en existe encore, qui n’ont jamais rien lu ni vu de Margaret Atwood. La soigneuse adaptation qu’en signe Mary Harron lui rend honneur
Alias Grace n’a, à première vue, rien de commun avec The Handmaid’s Tale. Il ne s’agit pas d’une dystopie mais d’un roman historique dont l’action se déroule dans le Canada du milieu du dix-neuvième siècle. Mais les deux romans sont traversés par le même féminisme brûlant qui caractérise toute l’œuvre de Margaret Atwood. Si The Handmaid’s Tale évoque, dans un futur cauchemardesque mais hélas crédible, la possibilité de l’asservissement de la femme, Alias Grace documente l’asservissement bien réel qui caractérisa sa condition il y a moins de deux siècles.
Grace est la victime des hommes. Elle est la victime de son père alcoolique, joueur, voire incestueux, qui lui fait traverser l’Atlantique, avec sa mère, ses frères et ses sœurs, avant de la placer comme domestique dans une maison. Elle est la victime de George Parkinson, le fils de ses premiers employeurs, qui cause la mort de Mary Whitney, sa meilleure amie, avant de provoquer son renvoi. Elle est enfin la victime de James McDermott, le garçon de ferme de Thomas Kinnear, qui l’entraîne dans ses délires criminels.
Sera-t-elle sauvée par le docteur Jordan qui veut tester sur elle les premières ébauches d’une psychiatrie freudienne avant l’heure ? Tel est l’enjeu du roman qui alterne les rencontres entre les deux protagonistes et les longs flashbacks. La série suit la même structure avec la même efficacité.
Captive est construit autour d’un mystère : Grace est-elle une innocente jeune femme qui, traumatisée par tous les drames qu’elle a vécus depuis son enfance, ne saurait être tenue pour responsable des crimes qu’elle a commis ? Ou est-elle au contraire, une dangereuse criminelle qui a tué de sang froid ? L’immense qualité du livre – et de la série – est de laisser planer le doute jusqu’au bout, laissant en suspens la question de la duplicité et donc de l’identité profonde de Grace. Le paradoxe de sa construction est d’entourer Grace de personnes bienveillantes : son psychiatre, le Dr Jordan, dont l’attirance pour la jeune femme le prive de sa lucidité, le pasteur de la société de tempérance qui œuvre pour son amnistie (interprété par David Cronenberg himself). Paradoxalement, c’est Grace elle-même qui semble la moins désireuse d’être blanchie. Et c’est avec un plaisir sournois qu’elle humilie le Dr Jordan et discrédite son protocole – faisant écho à la défiance de certaines branches du féminisme contemporain pour la méthode freudienne.
La vie de Grace est un patchwork (Marie Delord, “A Textual Quilt: Margaret Atwood’s Alias Grace” in Études Canadiennes / Canadian Studies, n° 46, 1999, pp. 111-121). Chacun des quinze chapitres qui compose le livre a pour titre un motif de courtepointe. La série ne pousse pas la fidélité jusqu’à leur emprunter les titres de ses épisodes. Mais elle prend soin de commencer par des images de ces superbes broderies et s’achève avec celle que Grace réalise au crépuscule de sa vie, enfin réconciliée avec elle-même.
Quel magnifique analyse!
Merci !
Cela me donne très envie de regarder cette série!
Je vous y incite 🙂