Orphelin de père, le jeune Pin-Jui grandit à Taïwan dans les années cinquante. Près de l’usine où il travaille avec sa mère, il retrouve, adulte, Yuan Lee, une jeune femme qu’il avait rencontrée durant son enfance. Mais l’idylle qui les rapproche se brise sur le rêve du jeune homme de quitter Taïwan pour les États-Unis, un rêve qu’il ne peut réaliser qu’en épousant Zhenzhen, la fille de son patron. Arrivé à New York, le couple peine à s’intégrer et ne réussit pas à se cimenter. Pin-Jui travaille ; Zhenzhen s’ennuie. L’arrivée de deux enfants n’y fera rien. Pin-Jui, toute sa vie durant, gardera la nostalgie de son amour perdu.
Tigertail est un film produit par Netflix et diffusé depuis avril 2020 sur cette plateforme. On pourrait lui reprocher son formatage : il vise tout spécifiquement la communauté sino-américaine qui sera touchée d’y retrouver quelques unes de ses figures les plus caractéristiques (la matrone attachante qui ne vit que par l’amour qu’elle porte à son fils, le père tiraillé entre deux mondes, sa fille, les deux pieds désormais solidement ancrés aux États-Unis, mais en mal de racines, etc.). On pourrait surtout lui reprocher sa banalité : Tigertail raconte, sans rebondissement ni coup de théâtre, la vie d’un homme qui a raté sa vie, incapable d’aimer la mère de ses enfants, incapable de nouer avec sa fille qui lui en fait l’amer reproche des liens de père à fille.
Si je lui attribue, avec beaucoup d’indulgence, trois étoiles, c’est que Tigertail fonctionne avec un carburant qui me touche infiniment : la nostalgie. La vie de Pin-Jui est présentée à travers ce prisme : la rizière où il rencontre, encore enfant, Yuan rappelle le vert paradis des amours enfantines, les troquets où ils dansent ensemble ont les tons sépia des vieux clichés oubliés…
L’histoire de cet « homme sans qualités » est racontée en voix off par un Pin-Jui au crépuscule de sa vie (le rôle est interprété par Tzi Ma qu’on avait déjà croisé dans L’Adieu, dans Mulan et dans la série The Man in the High Castle). C’est le même procédé qui est utilisé dans des films immensément connus et terriblement romantiques : Out of Africa, Sur la route de Madison, Titanic… Cette construction rétrospective leste le film d’une gravité supplémentaire, lui donne un sens inéluctable.