Après la mort de son mari, après la fermeture de l’usine où elle travaillait avec lui qui provoqua la désertion de leur petite ville du nord du Nevada, Fern (Frances McDormand), la soixantaine, n’a d’autre solution que de quitter sa maison et de s’installer rudimentairement dans sa camionnette. Le temps des fêtes de fin d’année, elle trouve un emploi chez Amazon avant de prendre la route. Au Dakota du Sud, elle travaille dans un parc national puis va faire la récolte des betteraves au Nebraska. Sur sa route, Ferne croise d’autres vagabonds qui, comme elle, par choix de vie ou par nécessité, refusent de se sédentariser.
Nomadland arrive – enfin – sur nos écrans, précédé d’une réputation écrasante. Lion d’Or à Venise, quatre BAFTA, deux Golden Globes et surtout trois Oscars dont celui de la meilleure réalisation pour Chloé Zhao et celui de la meilleure actrice pour Frances McDormand (son troisième, excusez du peu, après Fargo et Three Billboards). N’en jetez plus ! la coupe est pleine !
Tant de louanges laissent augurer un chef d’oeuvre… et risquent immanquablement de frustrer les espérances des spectateurs. Car, pour le dire d’une phrase, si Nomadland est certainement un bon film, ce n’est pas un grand film qui mériterait sa place au Panthéon du cinéma à côté de Parasite, Moonlight, Twelve years a Slave ou La la Land (ah… zut …. La la land s’est vu souffler l’Oscar du meilleur film par Moonlight justement).
Nomadland a plusieurs défauts.
Le premier, diront les anti-Modernes, est d’être un peu trop à la mode. Son sujet fleure bon l’anti-trumpisme qui, à tort ou à raison, a fait florès pendant quatre ans à Hollywood. Rien de tel que de filmer l’Amérique pauvre, celle des working poor, des white trash, des minorités discriminées pour ravir les suffrages aux Oscars.
Les anti-féministes en rajouteront une couche : si Chloé Zhao a emporté la statuette, c’est en raison de son genre, pour que l’Académie qui n’avait jusqu’alors couronné qu’une seule femme dans cette catégorie (Kathryn Bigelow pour l’oubliable Démineurs) se rachète une respectabilité.
Les autres – et j’en fais partie – diront qu’ils se sont ennuyés, que ce film de cent-huit minutes, qui enfile à la queue leu leu les épisodes interchangeables et souvent répétitifs de l’odyssée de Fern, aurait pu sans préjudice en durer vingt de plus ou de moins.
Enfin d’aucuns renâcleront aux récompenses qui pleuvent sur la tête de Frances McDormand que la caméra ne quitte pas d’une semelle et qui ne fait pas grand-chose sinon regarder le soleil se coucher sur les plaines désolées du Grand Ouest américain. Sa prestation, diront-ils, est honnête, mais ne mérite pas de la placer au-dessus de Meryl Streep, d’Ingrid Bergman ou de Bette Davis qui n’ont jamais réussi à décrocher leur troisième statuette aux Oscars
Ces arguments sont recevables. Mais ils ne sont pas fondés.
Nomadland est un film modeste, qui refuse le sensationnel. Chloé Zhao refuse la facilité qui aurait consisté à ajouter à la vie de Fern des rebondissements dramatiques (une agression une nuit dans son van ? les retrouvailles lacrymales avec un fils ou une fille perdue de vue ?). Elle utilise une base documentaire – l’enquête de Jessica Bruder sur les Van Dwellers, ces Américains, souvent âgés qui ont quitté leur maison pour prendre la route – pour en faire une fiction élégiaque où souffle la poésie qui traversait déjà ses précédents films : The Rider (2017) et Les chansons que mes frères m’ont apprises (2015).
Nomadland est un film qui m’a surpris et qui m’a interrogé.
Les résumés que j’en avais lu me laissaient présager un livre sociologique, une illustration sinon une démonstration des ravages que la crise des subprimes puis les inégalités creusées par Trump avaient causées. Or, tel n’est pas le cas. Ou, pour être tout à fait exact, tel n’est peut-être pas le cas. Certes, Fern s’installe dans son van, nécessité faisant loi, faute d’autre alternative. Mais elle y trouve bientôt des habitudes et une liberté qu’elle chérit (« houseless but not homeless » résume-t-elle dans une formule parlante). Sur la route, en Arizona, elle croise toute une communauté de vagabonds qui ont fait le même choix qu’elle et embrassé le même mode de vie alternative. Fern pourrait y renoncer : en s’installant chez sa sœur qui lui ouvre les bras, ou chez Dave (épatant David Strathairn que l’interprétation de Frances McDormand a injustement éclipsé) qui lui ouvre son cœur. Elle n’en fait rien.
Pour moi, Nomadland est moins un film sociologique qu’un film psychologique sinon métaphysique. Il interroge moins notre société que nos choix de vie individuels. C’est cette ambiguïté, cette richesse qui au bout du compte m’a plu dans ce film, contrebalançant l’ennui que sa langueur revendiquée avait fait naître.