Suzanne a seize ans et Suzanne s’ennuie. Elle vit à Paris avec ses parents et sa sœur cadette dans un appartement cossu d’un immeuble bourgeois sur la butte Montmartre. De ses camarades, elle ne partage ni les joies ni les peines.
Son cœur s’emballe en croisant, sur le chemin du lycée, devant le théâtre de l’Athénée, un acteur. Arnaud a le double de son âge. Entre la jeune fille et le bel acteur, le coup de foudre est immédiat et réciproque.
Il y a deux façons de critiquer le premier film de Suzanne Lindon. Une très méchante et l’autre très gentille.
La très méchante se moquera du sujet archi-rebattu de ce film. Les émois d’une jeune fille en fleurs ont en effet déjà été filmés sous toutes les coutures : Bonjour tristesse (Suzanne partage avec Cécile, l’héroïne du roman de Sagan adapté par Preminger, une maturité curieuse), La Boum (elle est comme Vic une adolescente rieuse élevée dans un milieu aimant), Diabolo menthe (Suzanne consomme avec un charme désuet des diabolos grenadine), À nos amours (Dominique Besnehard, qui joue un second rôle dans Seize printemps, y faisait ses débuts d’acteur et Suzanne en conserve dans sa chambre un poster), L’Effrontée (avec Charlotte Gainsbourg, une autre enfant de stars)… la liste est longue et cette généalogie pesante à qui prétendrait y ajouter sa trace.
Le critique malveillant évoquera une autre généalogie : celle de la réalisatrice, fille de Vincent Lindon et de Sandrine Kimberlain, dont elle a hérité de la silhouette interminable et de la démarche girafique. Son film aurait-il pu être financé, tourné, sélectionné à Cannes en 2020, distribué en salles, si quelques bonnes fées ne s’étaient pas penchées sur son berceau, s’interrogera-t-il fielleusement. Et le critique malveillant de pointer, au surplus, le contrat qui unit la jeune actrice-réalisatrice à Chanel dont elle porte avec une élégante décontraction les dernières créations streetwear.
Le critique bienveillant avait bien sûr cette généalogie en tête en entrant dans la salle. Mais il ne l’a pas laissé hypothéquer l’opinion qu’il était en train de se faire du film qu’il regardait. Bien sûr, s’il avait été raté, il en aurait fait un argument à charge supplémentaire pour l’assassiner. Mais, que diable ! On a le droit d’être fils ou fille de stars ET d’avoir du talent !
Tel est le cas de Suzanne Lindon dont le film m’a touché.
Certes, son sujet n’est guère innovant sinon passablement casse-gueule. mais la façon dont elle le traite est juste et sensible.
Il n’y a rien de gras dans ce film de soixante-quatorze minutes à peine. Aucun rebond dramatique, aucune tension familiale. On est loin de Pialat et de ses hystéries à huis clos. Car Suzanne est une fille équilibrée. Elle entretient avec ses parents une relation confiante et complice. Elle sort de l’enfance et vit ses premiers émois amoureux avec un mélange terriblement contemporain d’ingénuité et de maturité.
Suzanne Lindon se concentre sur son sujet et le traite sans s’en écarter, au risque assumé de l’insignifiance. Elle le fait en usant d’un artifice charmant : celui de la comédie musicale avec l’insertion de trois chorégraphies très réussies. Seule ou en duo, Suzanne Lindon y danse sur la musique de Christophe ou de celle, bouleversante, du Stabat Mater de Vivaldi. C’est encore elle qu’on entend chanter le générique de fin sur une musique originale de Vincent Delerm.
Rempli de préjugés en rentrant dans la salle, j’en suis ressorti charmé et transporté par la grâce de ce film touchant qui a ressuscité le vert paradis de mes amours enfantines.