Toute ressemblance avec des présidents ayant exercé ne serait pas purement fortuite. On ne prononcera jamais le patronyme de Nicolas et de François mais on les reconnaîtra au premier coup d’oeil. Les deux anciens présidents de la République vivent plus ou moins bien leur retraite à l’approche des élections présidentielles de 2022 qui risquent de voir la victoire de Marine Le Pen. Le premier ronge son frein dans son immense appartement parisien en passant l’aspirateur tandis que le second prétend avoir enfin trouvé la sérénité dans un village retiré de la Corrèze.
Sentant monter le péril fasciste et rêvant surtout de se remettre en selle, Nicolas (Jean Dujardin) se persuade que seule une alliance avec François pourra sauver la France. Accompagné de son garde du corps, il prend le train pour la Corrèze pour en convaincre son successeur. C’est sans compter sur la décision qu’a prise François (Grégory Gadebois) de tirer un trait définitif sur la vie publique pour se consacrer à ses nouvelles passions : le saxophone et l’apiculture. C’est sans compter aussi sur les épouses respectives des deux hommes : Natalie (Dora Tillier), une exubérante cantatrice, et Isabelle (Pascale Arbillot), une vétérinaire pleine de bon sens.
On n’imaginait pas la très sérieuse Anne Fontaine prendre les rênes de cette pochade politique. Tous ses films, qui distillent un parfum délicieusement empoisonné, traitent du même sujet : le dérèglement brutal d’existences ordinaires. Dans Nettoyage à sec, les propriétaires d’un pressing à Belfort (Miou-Miou et Charles Berling) voient débouler dans leur vie paisible un Adonis qui bouleverse leur train-train. Dans Entre ses mains, une célibataire endurcie (Isabelle Carré) tombe amoureuse d’un homme (Benoît Poelvoorde) qu’elle suspecte d’être un assassin en série. Dans La Fille de Monaco, un ténor du barreau parisien (Fabrice Luchini) tombe amoureux d’une cagole monégasque (Louise Bourgoin) Dans Perfect Mothers, adapté d’une nouvelle de Doris Lessing, deux mères de famille (Naomi Watts et Robin Wright), la quarantaine, éprouvent une attirance trouble pour le fils de l’autre.
Présidents ne distille aucun parfum venimeux ; au contraire, c’est un film profondément bienveillant et positif. Mais à y regarder de plus près, il n’est pas si éloigné du principe qui traverse la filmographie d’Anne Fontaine : non pas filmer les événements extraordinaires de vies ordinaires, mais, pour une fois, essayer d’imaginer le retour à l’ordinaire d’hommes extraordinaires.
Le pari, joyeusement potache, est enthousiasmant. Surtout s’il mobilise deux des plus grands acteurs français contemporains. Ils réussissent l’un et l’autre, dans deux registres radicalement différents, à « incarner » leurs illustres personnages. Dévoré de tics, reproduisant à la perfection les intonations melliflues de l’ancien maire de Neuilly, Jean Dujardin fait du Dujardin, poussant la caricature jusqu’à l’extrême limite où elle manque déraper dans le cabotinage. Il suffit de voir la bande-annonce pour s’esclaffer – en regrettant ce défaut congénital d’y découvrir les saynètes les plus drôles (si ce n’est l’une concernant Ségolène qui m’a bien fait rire et que je vous laisse découvrir au mitan du film). Grégory Gadebois est dans un registre beaucoup plus intériorisé. La ressemblance avec François Hollande est moins explicite ; mais elle n’en devient pas moins tout aussi évidente plus Présidents avance.
Passé ce postulat de base – faire incarner par ces deux immenses acteurs deux des personnages les plus connus, les plus aimés, les plus haïs de notre vie actuelle – il fallait raconter une histoire. C’est là que le bât blesse. Présidents est construit autour d’un scénario abracadabrantesque. Il aurait fallu le traiter sur un mode plus léger, plus absurde, comme une fable ou un conte. Hélas, Anne Fontaine le déroule avec une trop grande application jusqu’à une conclusion qui se voudrait originale et qui, il est vrai, nous surprend, mais qui sonne faux et creux. Ce qu’elle nous dit du pouvoir politique s’y révèle à la réflexion étonnamment pauvre : les hommes politiques seraient, au fond, des enfants immatures dévorés d’orgueil et d’ambition qu’anime non pas le sens de l’intérêt général mais un inextinguible appétit de pouvoir…. sauf à se révéler peut-être d’aimables hédonistes capables de lâcher prise pour enfin trouver la sérénité. Une analyse, dans les deux cas, bien caricaturale.
Pour le dire plus brièvement : Présidents est peut-être la meilleure bande-annonce de la semaine, mais certainement pas hélas le meilleur film du mois.