Hélène (Laetitia Dosch), professeure de lettres à la Sorbonne, mère de famille divorcée, raconte la passion exclusive et dévorante qu’elle a connue un hiver durant pour Alexandre (Sergei Polunin), un jeune diplomate russe en poste à Paris. Pendant plusieurs mois, elle a vécu dans la petite maison qu’elle occupe en banlieue ouest avec son fils unique, l’attente fébrile de ses visites, la fièvre de leurs peaux réunies, l’orgasme de leurs étreintes, la douleur de le voir se rhabiller et la quitter si vite pour rejoindre sa femme. Entre ses rencontres épisodiques, Hélène continue à vivre : elle s’occupe de son fils, donne ses cours, va au cinéma avec une amie, fait ses courses au supermarché. Mais sa vie toute entière est suspendue aux appels de cet amant fuyant et à l’annonce tant attendue de leurs prochains rendez-vous amoureux.
Passion simple est un roman d’Annie Ernaux, écrit à la première personne du singulier, sorti en 1992. L’auteure, déjà célèbre de La Place, avait déjà atteint la cinquantaine et décrivait l’état de subjugation dans laquelle l’avait plongée la passion amoureuse éprouvée pour un amant russe avec lequel pourtant elle n’avait rien en commun.
Ce témoignage d’une grande brièveté – le livre fait quatre-vingts pages à peine – avait été fraichement accueilli par la critique féministe. Elle reprochait à Annie Ernaux de décrire une femme soumise, dominée, esclave de ses sens, réduite à attendre passivement les visites de son amant. En un mot, une femme passionnée d’un homme qui se joue d’elle. Que l’auteure dresse au final un bilan positif de cette liaison, qu’elle estime qu’elle en était sortie grandie et meilleure semblait une preuve supplémentaire de son aveuglement.
Le livre faisait l’impasse sur les rencontres de l’auteure avec A., laissant au lecteur les imaginer sinon les fantasmer. Danielle Arbid filme sans fard leurs corps amoureux : le corps tatoué et musculeux d’Alexandre dont on comprend volontiers l’attraction qu’il exerce sur son amante, celui d’Hélène, blond, rond, lisse et nu (il serait de mauvaise grâce de lui reprocher d’être trop beau par rapport à celui dix ou vingt ans plus âgé, qu’on imaginait être celui de Annie Ernaux). Sa caméra, tout en douceur, baigne dans une lumière hivernale et évite les pièges du male gaze.
Passion simple réussit à la fois à être profondément sensuel et extrêmement cérébral. Profondément sensuel, il l’est grâce à ces scènes d’amour torrides sans jamais être graveleuses. Mais Passion simple ne se réduit pas à cette simple dimension. Comme son titre l’annonce, il s’agit de la description chimiquement pure d’une passion exclusive et oblative, de celles que Éluard décrivait : « j’entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde » et de la sublimation de l’être aimé décrite par Stendhal et son analyse de la cristallisation amoureuse. Qu’elle soit vécue par une femme importe finalement peu – dévoilant l’inanité de la critique ultra-féministe : un homme l’éprouverait tout identiquement. L’histoire de cette passion-là reste à écrire… et à filmer.