Un ancien taulard, qui se fait appeller William Tell (Oscar Isaac), mène une existence solitaire en sillonnant l’Amérique. Il a profité de son long séjour en prison pour apprendre à jouer aux cartes et pour en faire profession. La Linda (Tiffany Haddish) le repère et lui propose de s’associer pour gagner des tournois plus ambitieux. Un troisième personnage vient s’adjoindre au duo : Cirk (Tye Sheridan) a reconnu en William un ancien collègue de son père, qui s’est suicidé après avoir été condamné pour les exactions commises à Abu Ghraib en Irak. Cirk n’a qu’une idée en tête : venger son père en kidnappant et en tuant l’ancien chef de son unité, le colonel Gordo (Willem Dafoe).
The Card Counter joue sur deux registres. Son titre, son affiche, les premières lignes de son pitch nous promettent un film de poker qui verra son héros anonyme et taiseux voler de succès en succès grâce à des dons hors du commun et au soutien de la fine équipe qu’il a rassemblée autour de lui. Mais le film prend un chemin différent et nous frustre de cette histoire là – qui certes aurait été un peu trop cousue de fil blanc. Elle nous entraîne dans la psyché d’un homme traumatisé façon Taxi Driver – dont Paul Schrader avait signé le scénario avant d’écrire ceux de Raging Bull et de La Dernière Tentation du Christ.
Oscar Isaac est parfait dans ce rôle-là, dont le mutisme et l’hypercontrôle de chaque instant laissent augurer la violence qui ne manquera de s’exprimer. Il a beau ressembler à George Clooney – et The Card Counter avoir des relents de Ocean Eleven – sa prestation pourrait lui valoir une nomination voire une statuette aux prochains Oscars.
Le problème est que les deux fils narratifs que tissent The Card Counter s’accordent mal. Son héros est un joueur de poker qui fuit son passé ; aurait-il été guitariste ou hockeyeur, c’eût été du pareil au même. Le film sur le poker qu’on attendait avec gourmandise fait long feu et nous frustre du triomphe qu’on attendait contre cet autre joueur, aussi braillard que Tell est silencieux, déguisé en porte-drapeau d’une Amérique triomphante et sûre d’elle-même. La plongée cathartique dans la psyché tourneboulée du héros et dans celle de son jeune coéquipier ivre de vengeance n’est guère plus convaincante. Il faut attendre près de deux heures pour qu’elle se termine par un épilogue mielleux dont la morale gentillette est aux antipodes de l’atmosphère oppressante que The Card Counter avait su créée grâce notamment à la musique de Robert Levon Been.