Le Salvator Mundi, attribué à Léonard de Vinci, a été vendu aux enchères en 2017 par Christie’s à New York pour la somme de 400 millions de dollars. C’est le tableau le plus cher jamais mis aux enchères. Pourtant son authenticité reste douteuse.
Quelques mois après le documentaire diffusé sur France 5, celui réalisé par le Danois Andreas Koefoed revient sur cette rocambolesque histoire.
La toile, très endommagée, a été dégottée par un sleeper hunter, un « chasseur d’oeuvres dormantes » dans une vente aux enchères à La Nouvelle-Orléans en 2005 pour la modeste somme de 1175 dollars. Considérablement restaurée par Dianne Modestini, une des plus grandes spécialistes de la renaissance au monde, elle a été authentifiée par un panel d’experts réunis à Londres et présentée à la National Gallery à une exposition consacrée à Leonardo en 2011. L’oligarque russe Dimitri Rybolovlev en fait l’acquisition en 2013 pour 127,5 millions de dollars, laissant à l’intermédiaire suisse Yves Bouvier une marge confortable. Quatre ans plus tard, après une campagne marketing d’une redoutable efficacité sur le thème du « dernier Leonard » ou du « Leonard perdu », Christie’s en réussit la vente historique. L’identité du mystérieux acheteur est révélée quelques mois plus tard : il s’agit du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane.
Ce remarquable documentaire a trois éminentes qualités.
La première est de nous raconter une histoire digne des thrillers les plus palpitants. Sans doute, la lecture de la notice Wikipedia consacrée au Salvator Mundi ainsi que celle de quelques articles auxquels elle renvoie nous en aurait appris tout autant – et même un peu plus s’agissant par exemple de la « provenance » de l’oeuvre sur laquelle le documentaire est peu disert. Mais il le fait avec un tel talent dans le montage et dans le découpage que The Lost Leonardo, malgré son format très classique, s’élève au rang des meilleurs documentaires.
La deuxième est de nous faire réfléchir à la notion d’oeuvre d’art et aux difficultés de les authentifier. La difficulté est d’autant plus grande à la Renaissance où les peintures étaient exécutées en ateliers par des compagnies d’artistes. Beaucoup d’oeuvres attribuées à Leonardo ou dont l’attribution reste polémique n’ont, dans une certaine mesure, qu’en partie été exécutées par lui, le maître laissant à ses élèves les tâches subalternes. À partir de quel moment une oeuvre de l’atelier de Leonardo peut-elle être attribuée au maestro ou à ses disciples ?
La troisième est de replacer cette polémique dans une perspective plus vaste. Le documentaire est en effet divisé en trois parties. Seule la première concerne à proprement parler la question purement artistique de l’authentification du tableau. Les deux autres, qui ne sont pas moins intéressantes, s’intéressent aux enjeux d’argent et de pouvoir qu’il a suscités. Comme son histoire le montre, des sommes vertigineuses ont été versées pour ce tableau qui devient, dans le capitalisme du XXIème siècle, un placement sûr, faiblement taxé et hautement spéculatif. Il devient aussi un enjeu de pouvoir comme en atteste son acquisition, encore mystérieuse, par le futur leader saoudien qui veut peut-être en faire le joyau du musée qu’il érige en plein désert pour y attirer des touristes.