Michael Cimino a marqué de son empreinte le cinéma américain avec des chefs-d’œuvre comme Voyage au bout de l’enfer ou La Porte du paradis. L’abyssal gouffre financier creusé par la production de ce film-là lui a à jamais attaché la réputation d’un cinéaste maudit que les succès ultérieurs de L’Année du dragon ou de Desperate Hours n’ont pas réussi à l’en débarrasser.
Le critique et historien du cinéma Jean-Baptiste Thoret avait rencontré Michael Cimino en 2010, six ans avant sa mort. Il avait avec lui effectué un improbable road trip sur les lieux mêmes du tournage de La Porte du Paradis, au Montana et au Colorado. Il en avait tiré un livre publié en 2013. Il est revenu début 2020 aux Etats-Unis pour y retrouver les lieux de tournage des films de Cimino, notamment ceux du Voyage en Ohio.
Le documentaire que Jean-Baptiste Thoret consacre à Michael Cimino est passionnant. Il passionnera ceux qui ont vu et aimé les films de ce cinéaste maudit autant qu’il excitera la curiosité de ceux qui ne les ont pas (encore) vus.
Mais il souffre d’un grave problème de construction. Toute sa première heure se déroule à Mingo Junction, une ancienne cité sidérurgique de l’Ohio où a été tourné Voyage au bout de l’enfer. C’est autant un documentaire sur le film et son tournage que sur une ville désindustrialisée de l’Amérique profonde et de ses white trash – dont il y a lieu de craindre qu’ils aient encore donné leurs suffrages à Trump en 2020. À lui seul ce sujet là aurait pu faire l’objet d’un documentaire. Mais Thoret ressent le besoin d’en tourner un second, à l’autre bout des Etats-Unis, dans les paysages enneigés et majestueux du Montana, en y mixant la voix enregistrée en 2010 de Michael Cimino.
Le film en sort boiteux, trop long d’une bonne quarantaine de minutes.
Thoret a réussi à interviewer quelques grands témoins. Parmi eux Quentin Tarantino replace en quelques phrases l’œuvre de Cimino dans l’histoire du cinéma américain, dans celle du Nouvel Hollywood. Il souligne sa filiation au cinéma de Ford, auquel Cimino vouait une admiration révérencieuse, et de Visconti, dont il avait la même élégance.
Thoret interviewe aussi Oliver Stone. Sous couvert de faire le panégyrique de son collègue défunt, le réalisateur de Platoon lui décoche quelques flèches vipérines. On pourrait reprocher à Stone cette mauvaise manière ; mais force est de reconnaître que les critiques qu’il fait à Cimino (son intransigeance, son refus de tout compromis, son manque de sociabilité) ne sont pas sans fondement et participent aussi de son identité.