En mars 2008, Raúl Reyes le numéro 2 des FARC, la guérilla marxiste colombienne, était tué à la frontière de l’Équateur dans une opération commando menée par l’armée régulière colombienne. Les trois ordinateurs saisis par Interpol permettaient de retracer ses échanges avec ses soutiens vénézuélien et cubain, avec les émissaires suisse et français, ainsi qu’avec les journalistes internationaux que Reyes essayait de convaincre de la justesse de sa lutte.
C’est à partir de ce riche matériel que le documentariste colombien Juan José Lozano a écrit Jungle rouge qui raconte de 2002 à 2008 les six dernières années de la vie de Raúl Reyes. Il s’est adjoint les services du réalisateur suisse de films d’animation Zoltan Horvath qui, avec les studios Nadasdy de Genève et Tchack de Lille, a conçu un procédé très original pour rendre compte d’une réalité qui n’a laissé aucune image d’archives.
La rotoscopie utilisée (des acteurs sont filmés sur fond vert avant d’être redessinés) est assez déconcertante. L’image donne l’impression de provenir d’une connection Internet dégradée et mal pixellisée. Mais on s’y habitue vite et on se laisse happer par l’histoire qui est envoûtante.
Jungle rouge semble à première vue bien indulgent à l’égard des Farc, de leur idéologie et de leurs (ex)actions. La routine de la vie du commando est racontée sans recul : la succession des jours dans la touffeur de la jungle équatoriale, la discipline militaire, la répétition des mêmes slogans révolutionnaires… On s’indignerait presque d’une telle glorification. Mais on réalise lentement que cette répétition est la chronique d’une lente dérive, d’une fuite en avant dans la surenchère révolutionnaire coupée de la réalité. Les réalisateurs disent avoir pensé aux personnages du colonel Kurtz dans Apocalypse now et à celui d’Aguirre dans le film de Herzog. Les uns et les autres s’enivrent de leur folie. Les uns et les autres mourront dans une jungle de plus en plus étouffante.