Sans filtre ★☆☆☆

Carl (Harris Dickinson) et Yaya (Charlbi Dean brutalement décédée en août dernier à trente-deux ans à peine) sont mannequins et influenceurs. Ils participent à une croisière sur un yacht de luxe avec quelques milliardaires désœuvrés – un Russe enrichi dans le commerce d’engrais agricole, des Britanniques marchands d’armes, une Allemande paraplégique…. – et une troupe d’hôtesses, de stewards et de femmes de chambre souriants et serviles. Le commandant du yacht (Woody Harrelson), en état éthylique avancé, refuse de sortir de sa cabine. Après bien des émotions, quelques naufragés échouent sur une île déserte où s’instaure un nouvel ordre social différent de celui qui prévalait à bord.

Cinq ans après avoir décroché une première Palme d’Or en 2017 avec The Square, Ruben Östlund en décroche une seconde avec son film suivant. Seuls Bille August et Michael Haneke avaient avant lui réussi consécutivement un tel doublé. Une telle gloire devrait immédiatement ouvrir à l’encore jeune réalisateur suédois le panthéon du cinéma. Y mérite-t-il sa place ?

Je n’en suis pas si sûr.
On salue chez lui son cinéma transgressif, qui se moque des codes empesés du politiquement correct et fait souffler un vent de liberté salvateur dans une époque corsetée par le wokisme ou le féminisme. The Square était une satire de l’art contemporain, de ses engouements factices, de ses oeuvres creuses et surcotées. Sans filtre – curieuse traduction de Triangle of Sadness… dont il faut reconnaître qu’il s’agissait d’un curieux titre – se moque tout azimuts des influenceurs narcissiques obsédés par leur propre image, des capitalistes malhonnêtement enrichis qui ne savent plus que faire de leur argent et même des pauvres frustrés en quête d’une revanche sociale.

Le problème de ce cinéma là est qu’il est moins transgressif qu’il n’en a l’air.
D’une part parce que Sans filtre vient juste après The Square et que l’effet de surprise face à un nouveau réalisateur qu’on découvrait alors – même s’il en était déjà à son cinquième film après notamment Happy Sweden et Snow Therapy – ne joue plus.
D’autre part parce que Ruben Östlund n’est pas le premier réalisateur à creuser le sillon de la satire acide et anarchique : Luis Bunuel (dans Le Charme discret de la bourgeoisie), Marco Ferreri (dans La Grande Bouffe), les Monty Python (Le Sens de la vie) s’y étaient essayé avant lui avec au moins autant de talent. Sans doute ces films-là ont-ils plus d’une quarantaine d’années ; mais cela n’ôte rien à leur efficacité.

Sans filtre souffre d’un autre défaut : sa construction. Il s’agit de trois histoires collées bout à bout, dont le scénario ne cache d’ailleurs pas la juxtaposition en les introduisant chacun par un carton. On voit d’abord Carl et Yaya dans un restaurant de luxe se disputer l’addition qui, si elle a le mérite de poser la question des codes genrés de nos vies quotidiennes (pourquoi l’homme au restaurant paie-t-il presque toujours  la note ?) le fait dans une scène étendue jusqu’au malaise.
On embarque ensuite à bord de ce yacht luxueux piloté par un commandant alcoolique et marxiste et peuplé de passagers caricaturaux. La séquence culmine dans une tempête apocalyptique où les passagers rivalisent en jets de vomis et torrents de caca tandis que le soûlographe échange des slogans marxistes-léninistes avec un ancien directeur de sovkhoze converti au capitalisme.
Le troisième épisode se déroule sur une île déserte. On y perd de vue encore un peu plus nos deux héros définitivement ravalés au statut de personnages secondaires. Il est difficile d’en dire plus de ce renversement des hiérarchies sans déflorer le sujet, sinon pour évoquer la fin, un peu paresseuse, d’une intrigue que le scénariste semblait bien en peine de conclure.

Le film dure près de deux heures trente (The Square durait déjà deux heures vingt). Je mentirais en disant que j’ai regardé ma montre. Pour autant, je ne suis pas convaincu qu’il ait eu besoin de durer si longtemps pour nous faire comprendre son propos.

La bande-annonce

Un commentaire sur “Sans filtre ★☆☆☆

  1. Viens de voir « Sans filtre » contrairement à « The Square », j’ai bien aimé et les presque 2 H 30 que dure le film ne ne m’ont pas semblé trop long. Pourtant une bande annonce dissuasive n’a pas non plus entamé ma curiosité de voir cette Palme d’or.

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