L’œuvre de Patricio Guzmán peut se lire comme une immense et ambitieuse encyclopédie de l’histoire contemporaine du Chili. Le réalisateur est aujourd’hui octogénaire. Il a quitté son pays après le coup d’Etat de 1973 et le renversement de Salvador Allende. Il s’est réfugié en France.
En 2019, il filme les émeutes populaires qui éclatent à Santiago. Les affrontements avec la police provoquent plusieurs dizaines de morts et des centaines de lésions oculaires souvent graves. Un rassemblement monstre se tient dans la capitale le 25 octobre mobilisant plus d’un million de manifestants. Le président libéral Piñera réagit en convoquant un référendum qui décide la révision de la Constitution et la convocation d’une assemblée constituante dont les membres élus en mai 2021 offrent une image plus représentative du pays, notamment des femmes et des minorités. L’élection présidentielle de décembre 2021 signe la polarisation du débat politique avec l’affrontement de deux candidats d’extrême droite et de la gauche radicale. Le second, devancé au premier tour, l’emporte finalement : c’est Gabriel Boric, âgé de trente-cinq ans à peine, qui porte l’espoir du renouveau.
Toujours vert, Patrizio Guzmán n’a rien perdu de son énergie, de ses espoirs et de sa rage. Il ne cache pas sa haine pour la police et sa sympathie pour les manifestants dont il partage les mots d’ordre, amalgamant néo-libéralisme et patriarcat dans un slogan efficace mais réducteur : « L’État oppresseur est un macho violeur ».
Son documentaire y gagne en universalité ce qu’il perd en précision. Il nous parle plus de la lutte populaire contre un État liberticide que de la situation réelle au Chili – dont il ne quitte jamais la capitale et dont il surestime le progressisme si l’on en croit le Non opposé en septembre 2022 au projet de constitution rédigé par l’Assemblée constituante élue un an plus tôt. Il rappelle d’autres documentaires tournés sous d’autres cieux sur le même sujet, notamment le remarquable Un pays qui se tient sage dont, malgré mes opinions éhontément centristes, j’avais pourtant écrit le plus grand bien à sa sortie, Un peuple d’Emmanuel Gras ou J’veux du soleil filmé par le duo Ruffin-Perret.
Le principal reproche qu’on pourrait adresser à Guzmán est son manque de contre-point. Il interviewe longuement des manifestantes qui expriment leur colère et leur détermination ; mais il ne donne jamais la parole à l’autre camp. C’est un défaut que Un pays qui se tient sage n’avait pas. Et ce manque de contrepoint conduit à un manque d’objectivité : quand la voix off de Mon pays imaginaire condamne les violences dont la police chilienne se serait rendue coupable, ses images montrent un véhicule de police incendié par les cocktails Molotov lancés par les manifestants.