Les Années super 8 montre les images muettes tournées par Philippe Ernaux entre 1974 et 1981 de sa femme Annie et de leurs deux fils, Eric et David, sur la caméra super 8 que le couple venait de s’offrir.
Si l’idée du film et sa réalisation sont antérieures à l’attribution à l’écrivaine du prix Nobel de littérature, sa sortie sur les écrans coïncide opportunément avec le discours qu’elle a prononcé samedi dernier à Stockholm pour sa réception.
Les Années super 8 filme une famille ordinaire, ses moments heureux et festifs : les anniversaires, les réunions de famille, les vacances au bord de la mer, les voyages au long cours… Il apporte sa pierre à une sociologie encore à faire de la bourgeoisie française sous Giscard, de son mode de vie, de sa consommation culturelle, de ses lieux de vacances. On pense aux travaux d’Ivan Jablonka et au livre dans lequel il raconte ses vacances en camping-car avec ses parents dans les 70ies-80ies.
À quelques années près, j’ai le même âge que les enfants d’Annie Ernaux et ma mère a le même âge qu’elle. Avec une nostalgie toute particulière, j’ai retrouvé dans ces films super 8 le même grain que dans les photos prises par mes parents et pieusement conservées dans l’album familial, avec la photocopie de mes bulletins scolaires. J’ai retrouvé aussi les mêmes habits hideux que ceux que nous portions : les cols roulés aux couleurs criardes, les shorts en éponge, les sandalettes….
Mais Les Années super 8 ne filme pas n’importe quelle famille. Annie Ernaux est devenue une grande écrivaine consacrée par le prix littéraire le plus prestigieux au monde. Ces images banales n’auraient pas eu une telle publicité si elle n’y figurait pas. Les voir aujourd’hui, c’est évidemment porter sur elle un regard rétrospectif et regarder cette belle jeune femme d’une trentaine d’années, semblables en tous points à tant d’autres, comme la future prix Nobel qu’elle n’était pas encore.
Les bobines de films captent des moments exceptionnels de la vie quotidienne, qui elle n’avait pas de raison d’être filmée. Pourtant, Annie Ernaux n’y est jamais gaie. Elle arbore toujours une mine grave et triste, de laquelle il est trop facile d’inférer aujourd’hui qu’elle réfléchit au grand-oeuvre qu’elle est en train de commencer à écrire : elle publie Les Armoires vides, son premier roman, en 1974, et La Femme gelée, son troisième, qui hâtera son divorce, en 1981. On ne peut non plus s’empêcher de regarder ces images en sachant que la famille idyllique qui y est filmée va exploser avec ce divorce que l’on sait fatal.
Sur les images muettes de ces années, Annie Ernaux a écrit un texte qu’elle lit de sa belle voix grave. On y retrouve ce qui fait la profondeur de ses livres : la beauté de son style, la simplicité de ses mots… On est frappé par la froideur clinique avec laquelle elle se regarde et regarde les autres. Quand elle parle de son mari, qu’elle désigne systématiquement par les mots « Philippe Ernaux », il n’y a jamais aucune tendresse, même quand elle évoque son décès d’un cancer de la gorge.