Sois belle et tais-toi ! est construit à partir de vingt-trois interviews données à Delphine Seyrig par des actrices françaises et américaines en 1976 et 1977. Elles témoignent du sexisme dont elles sont victimes dans leur métier, de l’omnipotence des hommes à tous les postes d’influence (réalisateurs, producteurs, agents…), de la pauvreté et du formatage des rôles « de mère ou de putain » qui leur sont proposés, du jeunisme qui les condamne, passé un certain âge, à l’invisibilité…
La grande actrice Delphine Seyrig fut une féministe engagée. Elle signa le manifeste des 343 et organisa dans son appartement la première IVG réalisée en France avec la méthode Karman (sujet du film Annie colère). À la tête du collectif des Insoumuses, elle tourne des vidéos féministes. Sois belle et tais-toi ! est l’une d’entre elles, qui n’avait pas vocation à sortir en salles et n’y sortit d’ailleurs que tardivement en 1981 et brièvement. Fort de l’actualité que MeToo lui redonne, il est ressorti dans quelques salles parisiennes le mois dernier. La projection à laquelle j’ai assisté a été suivie d’un débat haut en couleurs.
Deux voix antagonistes s’y sont fait entendre. La première salue l’actualité toujours brûlante du procès instruit par ce documentaire avant-gardiste. Elle dénonce les inégalités dont souffrent toujours les femmes dans le milieu du cinéma, mentionne les révélations d’abus sexuels qui l’ont entaché (dont Sois belle et tais-toi ! ne parle pourtant pas).
La seconde rend également hommage à cette oeuvre pionnière mais insiste plutôt sur les progrès réalisés, mettant en avant, même si elles restent minoritaires les réalisatrices qui ont réussi, non sans mal, à se faire un nom, et surtout la place accrue que les films, même s’ils restent tournés par des hommes, donnent aux femmes. Certes en effet, on peut légitimement regretter que les cinq films nommés aux derniers Césars du meilleur film aient tous été réalisés par des hommes ; mais il faut avoir l’honnêteté de saluer qu’ils faisaient quasiment tous la part belle aux femmes (La Nuit du 12, En corps, L’Innocent, Les Amandiers…).
L’une voit le verre à moitié vide, l’autre à moitié plein…