En 2015, Claude Lanzmann se rendait en Corée du nord avec son producteur François Margolin, sous le prétexte d’y tourner un documentaire sur le taekwondo mais en fait pour y retrouver la trace d’une infirmière qu’il y avait croisée en 1958 et dont il était tombé éperdument amoureux durant une brève séance de canotage sur le fleuve Taedong. Ce voyage surréaliste a inspiré un documentaire, Napalm, dont j’ai fait une longue critique à sa sortie en 2017.
Cinq ans après la mort de Claude Lanzmann, en juillet 2018, à quatre-vingt-douze ans, François Margolin revient sur cet ultime voyage. On comprend mal l’utilité de ce post-scriptum, qui utilise les rushes que Napalm n’avait pas jugé bon de retenir. On y retrouve le vieil intellectuel qui disserte sur quelques épisodes marquants de sa vie : son compagnonnage avec le Parti communiste, sa liaison avec Simone de Beauvoir, le suicide de sa soeur, le tournage de Shoah
En 2017, ma critique mi-figue mi-raisin lui trouvait quelques circonstances atténuantes. Mon admiration pour le grand intellectuel m’empêchait de tirer à boulets rouges sur le vieillard sénile et libidineux. Mais en 2023, face à cet Automne à Pyongyang redondant, je n’aurai plus la même indulgence. Si la vieillesse est un naufrage, Claude Lanzmann en fournit hélas une vivante, quoique moribonde, illustration. L’homme, sourd comme un pot, quasiment grabataire, est à bout de force et à bout de souffle. En soi, cela n’est en rien blâmable. Mais il affiche cette impatience, cette morgue, qui caractérisent souvent les vieillards égocentriques. Il ne cesse de rembarrer son producteur qui l’interroge en le renvoyant à ses livres et en l’accusant de ne pas les avoir lus. C’est à se demander quel masochisme anime François Margolin pour avoir montré ces scènes où il se laisse humilier.
Outre l’hubris de son personnage, deux choses m’ont particulièrement dérangé dans ce dernier voyage et dans ce qu’il nous montre de Lanzmann. La première est son manque de recul vis-à-vis du régime communiste nord-coréen. Sans doute se moque-t-il de la laisse courte que ses cornacs nord-coréens lui imposent et qu’il essaie par tous les moyens de desserrer. Mais il n’exprime aucune critique sur la chape de plomb qui s’est abattue depuis plus de soixante ans sur ce pays.
La seconde est l’expression de moins en moins décomplexée de sa libido. Le documentaire n’en dit mot ; mais Claude Lanzmann dans les dix dernières années de sa vie a été plusieurs fois accusé d’agressions sexuelles. Sans doute faut-il être indulgent avec nos aînés et prendre en compte l’affaiblissement de leurs forces ; mais la sénilité n’excuse pas tout.