Quinze ans après l’avoir quittée dans la précipitation, Khédidja (Aïssatou Diallo Sagna, César de la meilleure actrice dans un second rôle pour La Fracture, le précédent film de Catherine Corsini), revient en Corse où un couple de grands bourgeois parisiens (Denis Podalydès et Virginie Ledoyen, plus caricaturaux que nature), qui y ont une maison, lui ont confié le soin de veiller sur leur nombreuse et bruyante progéniture. C’est l’occasion pour les deux filles de Khédidja, Jessica, 18 ans, qui vient d’intégrer Sciences Po, et Farah, 15 ans, moins brillante et plus turbulente, de découvrir l’île où elle sont nées et de déterrer les secrets sur leurs origines qui y sont enfouis.
Le Retour a réussi à être sélectionné en compétition officielle à Cannes et à faire oublier l’odeur de soufre qui l’entourait avant sa projection. Le tournage, dit-on, aurait été houleux – Catherine Corsini est connue pour être une réalisatrice éruptive – et deux signalements pour agressions sexuelles ont été déposés. Mais la polémique s’est éteinte et le film, revenu bredouille de Cannes, a réussi à se glisser dans la programmation très riche de ce début d’été (Mission Impossible, Oppenheimer, Barbie…) au risque de n’y pas trouver son public.
Il le mériterait pourtant ; car Le Retour, malgré le schématisme de son scénario, encorseté dans un cahier des charges peut-être trop lourd, et ses grosses ficelles, est un film réussi.
Le Retour embrasse large. La Corse en est peut-être le personnage principal. Catherine Corsini y a ses racines. Elle en sait la beauté – ses sublimes paysages filmés sous la chaude lumière d’un été finissant – et ses défauts – son virilisme étouffant et son nationalisme sourcilleux. Le Retour embrasse d’autres thèmes sociétaux, et notamment le racisme et l’intégration plus ou moins réussie d’une femme d’origine sénégalaise et des deux filles qu’elle élève courageusement seule. Je n’arrive pas à décider si leur confrontation avec le couple bien-pensant interprété par Denis Podalydès et Virginie Ledoyen qui, sous couvert d’une hospitalité de façade, laisse transparaître son racisme ordinaire, est particulièrement bien vue ou trop caricaturale.
Le Retour a deux autres dimensions. La première est la coming-of-age story que racontent, chacune à leur façon, les deux filles de Khédidja. Jessica, l’aînée, vit douloureusement les contradictions qui la déchirent. Elle remet en cause son éducation hétéronormée en tombant amoureuse de Gaïa, la fille des patrons de sa mère. Elle réalise que son ascension sociale et intellectuelle ne pourra pas se faire, façon Annie Ernaux, sans une séparation traumatisante avec sa famille. Farah, la cadette, est un personnage aussi attachant à défaut d’être aussi complexe : l’adolescente, encore engluée dans l’enfance, qui peine à exister aux côtés d’une aînée si parfaite, cherche désespérément sa place en flirtant avec l’interdit.
La seconde est la chronique familiale organisée autour du secret des origines des deux filles. Elle repose sur l’interprétation tout en retenue de Aïssatou Diallo Sagna. Le rôle est splendide. Son actrice se coule dans son personnage avec une belle humanité. Elle réussit à arracher une larme aux spectateurs les plus insensibles.