Deux mendiants, Pierre (Paul Frankeur) et Jean (Laurent Terzieff), marchent de Paris à Compostelle, moins par dévotion religieuse, même si en chemin Pierre s’avère croyant, que pour demander l’aumône des pèlerins. En chemin, ils font une série de rencontres, délicieusement anachroniques, avec tout ce que le catholicisme a connu, pendant deux millénaires, d’hérétiques et de dogmatiques.
La Voie lactée est la deuxième collaboration entre Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière, après l’adaptation du Journal d’une femme de chambre de Mirbeau cinq ans plus tôt. C’est une œuvre qui rompt sciemment avec les règles usuelles de la fiction pour dresser un tableau complet de deux mille ans d’hérésies catholiques. L’ambition est immense, excessive. Le propos est savant, trop peut-être.
Tout y passe : l’eucharistie, la Trinité, la transubstantation, la virginité de Marie, le libre-arbitre et le déterminisme… Chacune de ces questions est traitée dans des saynètes qui respectent scrupuleusement le texte des Évangiles ou des conciles (on découvre au passage un canon du concile de Braga de 561 qui condamne sans détour le végétarisme: «Si quelqu’un (…) regarde comme impures les viandes que Dieu a créées pour notre nourriture et qu’aussi il n’ose gouter des légumes mêmes cuits avec de la viande, qu’il soit anathème.») et qui convoquent le ban et l’arrière-ban de tout le cinéma français de l’époque : Michel Piccoli (en marquis de Sade), Jean Piat (en janséniste prêt à dégainer l’épée pour défendre sa foi), Delphine Seyrig, Alain Cuny, Edith Scob (en Vierge Marie), Julien Guiomar, Claude Cerval, Pierre Maguelon (mais si ! vous les connaissez ! allez regarder leurs photos !)…
Buñuel était anticlérical. Mais La Voie lactée n’est pas un film blasphématoire. Ce n’est pas un film prosélyte pour autant même si Buñuel et Carrière y manifestent une curiosité respectueuse pour les mystères de la foi. Sa seule ligne, volontiers anarchiste, pétillante d’ironie malicieuse, est la récusation du dogmatisme et des arguments d’autorité et la dénonciation des crimes commis au nom de Dieu. Buñuel aurait dit de La Voie lactée : « Je voudrais qu’après avoir vu ce film, sept athées trouvent la foi et que sept croyants la perdent. »