John et Mary s’étaient croisés encore adolescents, lors d’une fête de village. John avait à cette occasion confié à Mary un secret : il était persuadé de l’imminence d’un événement qui viendrait bientôt bouleverser sa vie, telle une bête tapie dans la jungle, prête à bondir. Dix ans plus tard, en 1979, désormais adultes, John et Mary se croisent à nouveau dans une boîte parisienne en pleine mode disco. Pendant plus de vingt ans, leurs chemins ne cesseront de s’y croiser encore. Tandis que le monde change autour d’eux (les années Sida déciment les clients avant la Chute du Mur et le 11-septembre), tandis que les tendances musicales évoluent (la techno succède à la new wave qui avait succédé au disco), John et Mary ne changent pas, prisonniers d’une éternelle jeunesse et de l’immobilité de leurs sentiments.
La Bête dans la jungle est un roman parmi les plus célèbres de Henry James. Son thème entêtant – deux êtres coincés dans un éternel présent qui ratent leur vie à force de trop en attendre – avait déjà inspiré Marguerite Duras, qui en tira une pièce de théâtre avec Sami Frey et Delphine Seyrig, et François Truffaut et sa Chambre verte. Un film de Bertrand Bonello qui en est tiré est annoncé pour février 2024 avec Léa Seydoux.
Que Patric Chiha et Bertrand Bonello aient puisé leur inspiration dans la même oeuvre n’est pas un hasard tant leurs cinémas sont proches. On connaît bien le second – et on en reparlera quand sortira La Bête. On connaît moins bien le premier, franco-autrichien, qui a réalisé en 2017 un documentaire, Brothers of the Night, sur des Roms d’origine bulgare qui appâtent les clients d’un bar gay du centre de Vienne puis en 2020 Si c’était de l’amour sur une troupe de danseurs qui monte un ballet de la chorégraphe Gisèle Vienne.
Les deux partagent le même goût pour un cinéma anti-naturaliste, fassbindérien et esthétisant. Le film de Patric Chiha se déroule quasi exclusivement à l’intérieur d’une boîte de nuit (parisienne ?) qui ressemble au Palace du temps de sa splendeur avec ses dance floors, son escalier, sa balustrade. Les danseurs y sont incroyablement beaux et gracieux. Anais Demoustier est peut-être un chouïa trop sage pour ce rôle vénéneux. Béatrice Dalle qui l’aurait parfaitement interprété trente ans plus tôt y est mieux à sa place dans le rôle d’une physionomiste qui, à l’entrée de la boîte, telle Charon aux entrées des enfers, décide de convoyer les âmes.
Mais c’est Tom Mercier, découvert dans Synonymes de Nadav Lapid qui est particulièrement à contre-emploi, grande gigue molle, habillée comme un sac, aussi à l’aise dans une boîte de nuit que moi sur une patinoire, s’exprimant dans un français hésitant. Sa maladresse, son manque de charme sont autant de boulets que le film, déjà passablement plombant, traîne.