Le documentariste Xavier Gayan a posé sa caméra à Saint-Raphaêl, dans le bar PMU de son ami Georges, rencontré quelques années plus tôt sur le chemin de Compostelle. Georges a acheté ce bar pour sa fille, Neige, qui avait alors vingt-et-un ans seulement et qui venait d’interrompre ses études. Neige l’a géré pendant plus de dix ans avant, essorée, de passer la main à son vieux père.
Au Clémenceau, Xavier Gayan et son chef-opérateur discutent avec les habitués. La plupart, cabossés par la vie, souffrent d’addictions à l’alcool, au tabac, au jeu. Ils témoignent d’un lourd passé de violences familiales, conjugales et de troubles psychiatriques. Si le bar où ils se retrouvent constitue pour eux un cocon protecteur, c’est aussi le lieu où ils s’adonnent à leur vice plaçant le buraliste face à ses responsabilités.
Au Clémenceau m’aurait enthousiasmé si je n’avais pas vu, six mois plus tôt Atlantic Bar, un documentaire en tous points similaire tourné dans un bar arlésien, qui présentait en outre par rapport à lui l’avantage de brosser le portrait des propriétaires, alcooliques au bord de la rechute, figures plus mélodramatiques que Georges et Neige.
Peut-on reprocher à un film d’être sorti après un autre et de trop lui ressembler ? peut-on le faire alors que les spectateurs n’auront pas tous vu le premier ? Pour le dire plus généralement, la critique cinématographique doit-elle juger un film exclusivement sur ses propres mérites ou, au contraire, a-t-elle le droit sinon le devoir de le replacer dans l’actualité des sorties et de le juger en fonction d’autres œuvres que le lecteur n’a pas nécessairement vues ? La question se pose.
La critique que j’adresse à ce film est donc très subjective. Je reproche à Au Clémenceau d’être le décalque d’Atlantic Bar. Ils traitent tous les deux du même sujet, cette France périphérique, cette France des laissés-pour-compte, telle que Florence Aubenas a le don de la raconter dans ses articles et dans ses livres.
J’ai pourtant aimé cette galerie de gueules cassées, aussi attachantes qu’horripilantes, qui assènent parfois, au milieu de beaucoup d’âneries, des vérités désarmantes et qui révèlent surtout beaucoup de souffrances.
J’ai conscience de faire à ce film-là un reproche injuste. Il a été tourné en janvier 2019, en pleine crise des Gilets jaunes qu’il évoque, avant Atlantic Bar sorti pourtant six mois plus tôt que lui ce printemps. Si la chronologie de leurs sorties avait été inversée, c’est le même reproche que j’aurais adressé à Atlantic Bar.