Quelle superbe idée ! Lequel d’entre nous en apprenant que Catherine Deneuve interpréterait Bernadette Chirac n’a pas été amusé, enthousiasmé, intrigué, appâté ?
Peut-être d’autres actrices lui ressemblaient-elles plus : Nathalie Baye, Catherine Sillhol… Mais, pour interpréter l’ex-Première Dame, qui de mieux que la Première Dame du cinéma français, notre Meryl Streep tricolore, notre légende nationale, l’immense, l’unique Catherine Deneuve ?
Pour l’entourer, Léa Domenach a construit patiemment un casting plaqué or. Michel Vuillermoz est enthousiasmant dans le rôle du grand Chirac. Une amie a déploré qu’il n’ait pas le charme canaille ni le charisme de l’ancien président. Mon fils a relevé, à bon droit, qu’il n’exprimait aucune tendresse pour sa femme. Il l’a même trouvé antipathique. Je ne suis pas d’accord sur ce dernier point. Michel Vuillermoz tire le Grand Jacques du côté du comique voire du ridicule, le décrivant comme un grand échalas un peu perché, manquant du bon sens que sa femme, elle, possède. Pour autant, ce n’est pas un mauvais bougre. Ses infidélités ne sont jamais mises à son passif. Son seul défaut serait sa passion envahissante pour les arts premiers et les statuettes africaines.
Sara Giraudeau est elle aussi épatante dans le rôle de Claude Chirac – même si elle ne lui ressemble pas et n’a guère essayé de lui ressembler, sinon par sa coupe garçonne et ses tenues. Mais le meilleur second rôle est sans conteste celui joué par Laurent Stocker, dont on ne dira jamais assez l’immense talent mal exploité. Sa ressemblance avec Nicolas Sarkozy ne saute pas aux yeux ; mais son élocution est sidérante. Chaque fois qu’il dit « Ma,am Chirac », c’est Sarkozy qu’on entend parler.
Ce biopic sur un sujet si connu était menacé par deux écueils. Le premier était de trahir la vérité, une trahison d’autant plus rédhibitoire que la vie des Chirac est connue de tous et que chacun de ses rebondissements (son élection en 1995, la dissolution ratée de 1997, sa « disparition » la nuit de la mort de Lady Di en août 1997, la qualification de JM Le Pen au second tour en 2002, l’AVC qui le frappe en septembre 2005, l’élection en 2007 du « traître » Sarkozy…) fait désormais partie de notre patrimoine historique. Le second, symétrique, était de trop vouloir coller à la réalité.
C’est ce second parti qu’a choisi le film. Il se condamne ainsi à ne rien nous apprendre qu’on ne sache déjà. Il se condamne aussi à jouer sur un seul registre : l’amusement provoqué par des acteurs célèbres jugés sur leur capacité à pasticher leurs modèles.
Ne crachons pas dans la soupe ! Le pastiche se regarde avec gourmandise. On sourit constamment et on rit souvent. C’était sans doute l’effet recherché, loin de toute réflexion sur les réformes entreprises pendant les deux mandats de Jacques Chirac…. ou celles qui ne l’ont pas été, le procès en immobilisme étant peut-être le plus pertinent que l’Histoire instruira contre lui. Bernadette est un film absolument a-politique, qui ne dit rien de la droite ou de la gauche, des défis auxquels la France a été confrontée à l’extérieur comme à l’intérieur pendant ces douze années ; et c’est bien surprenant de sa part.
Un dernier regret : les couronnes de lauriers tressées sans nuance à Bernadette Chirac dans une ode à sa seule gloire. Bernadette l’érige en sainte laïque, en Mère courage, en observatrice avisée de la vie politique, en juge hors pair des qualités et des défauts des hommes. C’est beaucoup, c’est sans doute trop.