C’est l’histoire d’Andrezj/Aniela, une femme née dans un corps d’homme dans une petite ville de Pologne communiste dans les années 60. Longtemps elle réussit à faire taire son moi profond et à se conformer à ce que la société, ses parents, sa famille attendent d’elle : être un bon fils, un bon mari, un bon père, un bon collègue. Andrezj épouse Iza, a avec elle un premier puis un second enfant qu’il élève avec amour, partage le domicile familial de ses parents, est pour ses collègues un camarade sympathique. Mais Andrezj ne réussit pas à bâillonner son identité qui se révèle progressivement au risque de mettre en péril son couple et de scandaliser ses parents et sa communauté qui n’imaginent pas possible une telle transgression, même si le communisme a cédé la place au capitalisme.
Si l’histoire qu’Une autre vie que la mienne raconte – la lente et douloureuse affirmation de l’identité d’une femme transgenre – est universelle, elle se déroule en Pologne et raconte en arrière-plan l’histoire de ce pays conservateur, encore solidement corseté par son catholicisme traditionnaliste.
À sa façon bien à lui, François Ozon avait inventé un tel personnage avec Romain Duris dans Une nouvelle amie. Xavier Dolan avait exploré cette trame là dans Laurence Anyways. Sans parler de Pedro Almodovar.
Les deux réalisateurs d’Une autre vie que la mienne ont la subtilité de mettre de la complexité dans une histoire qui aurait pu sembler bien simpliste, comme celles qui jadis servaient d’introduction aux Dossiers de l’écran sur Antenne 2. Leur mise en scène est remarquable qui suit Andrezj/Aniela sur près de quarante ans avec une grande fluidité. C’est constamment le même décor étouffant de cette petite ville de province blottie autour de son immense église qu’on retrouve, comme si Andrezj était condamné à y être prisonnier.
La réussite du film doit beaucoup à ses acteurs. Le rôle d’Andrezj est tenu d’abord par un homme, Mateusz Więcławek (qui interprétera ensuite le propre fils de Andrezj) puis par une femme, Malgorzata Hajewska. Ils sont tous les deux d’une troublante androgynie. Joanna Krulig, révélée dans Ida et Cold War interprète son épouse, humiliée par le coming-out de son mari mais pourtant toujours aimante. La force du lien qui les unit est peut-être l’élément le plus surprenant et le plus poignant du film. Elle souligne, si besoin en était, que le transgenrisme et l’homosexualité ne se confondent pas. Andrezj veut changer de genre car il se sent plus femme qu’homme. Cela ne signifie pas pour autant qu’il soit attiré par les hommes. Sa sexualité – et le film le montre excellement – est plus hésitante.
J’ai énormément aimé ce film. Mais en y repensant, je suis animé d’un regret. J’aurais aimé que le personnage d’Andrezj/Aniela soit, si j’ose dire, moins binaire, plus ambigu, plus hésitant dans sa décision de changer de sexe. J’aurais aimé que le film, comme il le fait d’ailleurs dans sa première moitié, nous montre un homme doutant de lui-même et de son genre, s’essayant très maladroitement à quelques expériences, plus ou moins fantasmagoriques, plus ou moins abouties, mais qui ne franchisse pas le pas comme bien peu ont le courage de le faire ou tout simplement pas le besoin.