Pour sauver de la faillite son entreprise agricole, Stéphane (Marc-André Grondin) a recours à des travailleurs guatémaltèques saisonniers. Il embauche parallèlement une traductrice, Ariane (Ariane Castellanos), qui leur traduira les consignes de la direction. La jeune femme, lourdement endettée par une relation toxique, découvre bien vite les conditions inhumaines imposées aux travailleurs immigrés, cantonnés aux tâches les plus rudes, soumis à des horaires extravagants, sans possibilité de se défendre, otages du bon vouloir d’un patron qui peut les renvoyer sans sommation et refuser de leur signer l’attestation sans laquelle ils ne pourront retrouver un emploi l’année suivante.
Son sujet, son titre, son affiche… on pouvait légitimement redouter de ce film son manichéisme prévisible, opposant la courageuse traductrice qui, n’écoutant que son bon cœur, saurait prendre la défense de ces malheureux travailleurs immigrés, à un patron brutal et cupide. Or Dissidente réussit à éviter ce piège. C’est, à rebours du simplisme dans lequel il aurait pu verser, un film d’une grande subtilité.
Ses personnages ne sont pas taillés d’un bloc. Ariane, par exemple, n’est pas aussi parfaite qu’elle en a l’air. Elle ne fut pas seulement la victime des malversations dans lesquelles son ancien partenaire a versé, mais aussi sa complice tacite. Elle a un besoin vital de son emploi de traductrice et doit, pour le conserver, accepter quelques compromissions. Stéphane, lui non plus, n’est pas foncièrement mauvais. Sous la pression de ses actionnaires, il doit par tous les moyens équilibrer les comptes de son entreprise, sauf à la mettre en faillite et à en licencier tout le personnel qui compte sur lui. Il n’est pas jusqu’aux employés guatémaltèques qui n’aient leur part d’ombre, laissant prospérer parmi eux des pratiques mafieuses presqu’aussi pernicieuses que celles que leur impose leur employeur canadien.
L’intrigue réserve son lot de rebondissements. Elle suit notamment l’histoire de Manuel, un employé guatémaltèque au visage angélique qu’on a remarqué dès la première scène, pleurant silencieusement dans le bus qui l’amène à l’usine. Une scoliose l’empêche de travailler. Grâce à Ariane, il obtient un arrêt maladie. Mais Stéphane, qui a absolument besoin de bras, l’oblige à rembaucher au péril de sa vie.
Dissidente est filmé en longs plans-séquences, la caméra collée aux acteurs, constamment en mouvement. Cette mise en scène immersive renforce la tension et nous tient en haleine tout le film durant. C’est la forme cinématographique la mieux adaptée pour décrire la violence sociale qui s’exerce sur ces travailleurs et les dilemmes dans lesquels l’héroïne se débat.
Petit détail: il me semble que Stéphane ne soit pas propriétaire mais gérant de l’entreprise qui appartient à un propriétaire français – il peut donc être viré comme tout le monde…
Intéressant aussi le rôle de la mère d’Ariane, ancienne employée de cette même usine et syndicaliste convaincue
Vous avez tout à fait raison !