À l’occasion des cinquante ans de la mort de Marcel Pagnol (1895-1974) est donnée une rétrospective de ses films en version restaurée. C’est l’occasion de les voir ou de les revoir en salles et de ranimer le souvenir lointain que leur diffusion à la télévision avait fait naître.
Tout gamin, parce que mes parents m’avaient offert La Gloire de mon père et que j’en avais aimé la lecture, je me suis mis à acheter compulsivement et à lire toute l’oeuvre de Pagnol, jusqu’à ses titres les moins connus et les plus dispensables : Les Marchands de gloire, Jazz, Judas, Fabien…. Je l’ai encore, sur une étagère de ma bibliothèque, dans de vieilles éditions de poche jaunies d’une collection Presses Pocket aujourd’hui disparue.
Je crois avoir vu certains de ses films enfant à la télévision. Je me souviens nettement de la trilogie marseillaise (Marius, Fanny, César) et de sa célèbre partie de cartes, de La Femme du boulanger et de la non moins célèbre tirade de Raimu (« Ah ! la revoilà la Pomponette ! »). N’étant plus très sûr d’avoir vu les six autres films de cette rétrospective (Jofroi, Angèle, Regain, Le Schpountz, La Fille du puisatier, Topaze), j’ai profité de la pause estivale, et de la climatisation en surrégime de la salle 1 du Champo, pour les enquiller – et m’y enrhumer ce qui est un comble en cette saison. Sacré gageure, chaque film durant plus de deux heures, à l’exception de Jofroi, un moyen métrage de cinquante-deux minutes à peine, aux airs de nouvelle.
J’y ai retrouvé, telle une madeleine de Proust, une langue. L’accent méridional auquel Pagnol a donné ses lettres de noblesse. Mais aussi un français incroyablement châtié qui, loin d’être dialectal ou vulgaire, frise la préciosité. Et des punchlines, comme on dit aujourd’hui, qui font mouche (« Tu n’es pas un bon à rien ; tu es un mauvais en tout ! »). Car la langue est le moteur de ce théâtre filmé. C’est par elle que l’action progresse.
Le cinéma de Pagnol, c’est aussi une troupe d’acteurs inoubliables. Raimu et Fernandel viennent en tête. Ils font tellement partie de notre imaginaire collectif qu’on a oublié de les regarder pour ce qu’ils sont : des acteurs à la présence magnétique. La scène où Fernandel récite sur tous les tons « Tout condamné à mort aura la tête tranchée » dans Le Schpountz est mythique. Il suffit qu’ils entrent en scène pour aimanter le regard. Mais ils ne sont pas seuls. Les entourent une bande de comédiens que Pagnol a su fidéliser et avec lesquels on se plaît à imaginer de film en film les joyeuses retrouvailles : Charpin (le Panisse de la Trilogie), Blavette, Poupon, Maupi, Delmont… sans oublier les actrices qu’il a fait jouer – après les avoir mises dans son lit ou avant de les y mettre – Orane Demazis, Josette Day, Jacqueline Pagnol…
L’oeuvre de Pagnol, d’une grande cohérence, a-t-elle pour autant bien vieilli ? Elle prête doublement le flanc à la critique.
D’une part, volontiers maurrassienne sinon pétainiste, elle fait l’éloge de la terre – qui, on le sait, ne ment pas, elle. La ruralité, ses vraies valeurs, le dur labeur nécessaire à son travail nourricier sont constamment opposés à la ville et à ses artifices.
D’autre part, le cinéma de Pagnol est patriarcal. L’homme y est le chef de famille derrière lequel la femme doit se taire et s’effacer – même si ce machisme est parfois tourné en dérision. La « fille perdue », prompte à céder aux manoeuvres séductrices du premier bellâtre venu qui l’engrossera avant de la mettre sur le trottoir, ternissant à jamais son honneur, est une figure récurrente dans l’oeuvre de Pagnol. On la trouve sous différentes variantes dans Fanny, dans Angèle et dans La Femme du puisatier.
Il est étonnant que les wokes ne se soient pas encore emparés de ces arguments et n’aient pas décoché à Marcel Pagnol quelques flèches anachroniques.