Avec une grande fidélité aux faits historiques, Ludwig raconte le règne tourmenté du roi de Bavière de 1845 à 1886.
Le jeune Ludwig monte sur le trône à dix-neuf ans à peine. Il se désintéresse vite de la gestion de l’Etat alors même que l’Allemagne est en train de s’unifier à marche forcée sous la domination de la Prusse dont la Bavière deviendra en 1871 un vassal. Il lui préfère les arts : la musique (il voue une admiration folle à Richard Wagner dont il est le mécène et satisfait au moindre de ses caprices) et l’architecture (il se fait construire dans les Alpes bavaroises, à Neuschwanstein, à Linderhof et à Herrenchiemsee, des chateaux de contes de fées). Après avoir rompu ses fiançailles avec sa cousine Sophie-Charlotte, il s’isole de plus en plus. Il prend dans sa domesticité de nombreux amants. Un collège de psychiatres lui diagnostique une paranoïa sévère qui ouvre la voie à sa destitution. Le lendemain de son internement dans un asile psychiatrique, âgé de quarante ans, il se noie dans le lac voisin avec son médecin.
Tout dans la personnalité et l’histoire du roi-fou devait attirer Luchino Visconti, qui s’était autoproclamé « biographe de l’Allemagne », lui avait déjà consacré deux films sublimes et crépusculaires, Les Damnés et Mort à Venise, et travaillait à l’adaptation impossible de La Montagne magique qu’il ne réalisa jamais.
Comme Mort à Venise, Ludwig exalte un parfum vénéneux. Tout y est sublime ; tout y est morbide. Comme dans Mort à Venise, l’homosexualité est un thème central du film. Ludwig a tenté sans succès toute sa vie de se battre contre ses penchants. Il a nourri une passion platonique pour sa cousine, l’impératrice Elizabeth d’Autriche et a failli épouser sa sœur cadette. Mais malgré sa foi catholique et l’insistance de son confesseur, Ludwig ne se résoudra pas à concrétiser cette union. Sa passion pour les arts sera pour lui une manière de transcender ses pulsions.
Pour interpréter Ludwig, Visconti choisit son propre amant, Helmut Berger. Il avait déjà tourné sous sa direction dans Les Damnés, travesti en Marlène Dietrich. Le jeune homme – il a trente-quatre ans de moins que le réalisateur – est d’une beauté surnaturelle. Sa mélancolie, son hystérie en font un Ludwig parfait. Le film, très sombre, dont la plupart des scènes se passent la nuit ou, de jour, sous des cieux enneigés, est traversé par un rayon de lumière : Romy Schneider y reprend le rôle qui l’a rendue célèbre et le tire du côté de la vie. Elle convainc Ludwig de s’affranchir de l’étiquette de la cour comme elle a osé le faire elle-même ; mais Ludwig utilisera cette liberté pour se replier sur lui-même et se cloîtrer.
Ludwig est sans doute un chef d’œuvre. Mais c’est un chef d’œuvre qui se mérite. Les producteurs imposèrent une version raccourcie de trois heures. Celle que j’ai vue la semaine dernière, à l’occasion d’une rétrospective Visconti, dure près de quatre heures. Y gagne-t-on au change ? Le propos n’aurait-il pas mérité d’être resserré ?