Le 28 mars 1972, 103 des 108 propriétaires fonciers du Larzac menacés par l’extension d’un camp militaire, annoncée six mois plus tôt par le ministre de la défense Michel Debré, signaient le serment de s’opposer à tout prix à leur expropriation. À l’occasion du cinquantenaire de cet appel, la chaîne Histoire TV a commandé à Véronique Garcia un 55-minutes. Une salle parisienne proche de mon domicile a organisé une projection débat.
Grâce à leur mobilisation, les paysans du Larzac ont réussi, pendant près de dix années à faire obstacle à leur expropriation jusqu’à l’élection de François Mitterrand qui, en 1981, malgré l’opposition de son ministre de la défense, Charles Hernu, a tenu sa promesse de campagne d’abandonner le projet. Les comités Larzac qui se sont constitués ont embrassé la non-violence : « Faites labour pas la guerre ». Et ils s’y sont tenus, ainsi que les forces de l’ordre : les heurts n’ont jamais causé la moindre victime – même si le plasticage d’une ferme, dont les auteurs n’ont jamais été identifiés, ont bien failli tuer leurs occupants.
La clé de leur succès, que souligne intelligemment le documentaire, a été d’agréger autour de leur cause des oppositions de tous bords : celle des objecteurs de conscience opposés à l’extension du camp militaire, celle des écologistes attachés à la défense d’un mode de vie rural, celle des hippies, qui se cherchaient une cause et un havre après mai-68 et même celle des Indiens d’Amérique venus sur le Larzac témoigner des persécutions subies en Amérique du nord. La convergence des luttes, le Graal des militants, leur intersectionnalité, le Graal des sociologues, s’est rarement aussi bien incarnée que sur le Larzac. Elle n’était pas gagnée d’avance : les paysans, catholiques et conservateurs, ont vu arriver d’un mauvais oeil les « chevelus » et autres « barbus » qui prônaient le jeûne ayurvédique et l’amour libre.
Les panélistes ont évoqué « une page oubliée de notre histoire contemporaine », ignorée des manuels d’histoire de Terminale. J’avais au contraire l’impression que cet épisode était bien connu. La raison en tient sans doute à mon âge : j’ai grandi dans les années 70. Elle tient aussi à l’intérêt que je porte à la désobéissance civile, à son histoire et à sa sociologie : pourquoi le peuple se dresse-t-il contre une décision publique ? quelle forme prend sa mobilisation ? à quoi tient le succès ou l’échec de la contestation ? Autant de questions passionnantes. Avant Notre-Dame des Landes, avant Sainte-Soline, avant l’A69, le Larzac constitue un précédent riche d’enseignements d’une mobilisation réussie.