La Veuve joyeuse (1934) ★★★☆

La Marchovie est en émoi : une très riche veuve (Jeannette MacDonald), dont les impôts financent à eux seuls la moitié du budget de ce petit royaume d’Europe centrale, menace de s’expatrier à Paris. Une seule solution : y dépêcher le comte Danilo (Maurice Chevalier), un fringant officier et un Don Juan, pour qu’il la séduise, l’épouse et la convainque de revenir en Marchovie.

En plus d’être l’une des plus célèbres opérettes de tous les temps, La Veuve joyeuse est un film mythique. Ernst Lubitsch y déploie tout son talent. Son film est d’une folle élégance. Élégance des costumes et des décors bien sûr, même si son noir et blanc n’en restitue pas toute la richesse. La Veuve joyeuse fut à l’époque l’un des films les plus chers jamais réalisés. Les scènes de bal y sont éblouissantes. Mais plus encore élégance des situations et des sentiments.

La Veuve joyeuse est un film d’une grande sensualité dénué de tout sentimentalisme. C’est la marque des films de Lubitsch qui parle souvent d’amour mais ne sombre jamais dans la sentimentalité. S’y joue le jeu de l’amour sinon celui du hasard, entre des hommes et des femmes qui s’attirent et se repoussent, qui se repoussent pour mieux s’attirer, comme dans les comédies de Hawks ou de Capra. Pour autant, La Veuve joyeuse n’est pas un film vulgaire, tout au contraire. C’est un film drôle, au prétexte presque rocambolesque, on se croirait dans Le Sceptre d’Ottokar.

Jeannette MacDonald n’a peut-être pas le charisme des stars hollywoodiennes. C’était une chanteuse plus qu’une actrice et c’est sa voix qu’on entend dans les solos. Maurice Chevalier était la coqueluche de l’Amérique. Son accent très français y faisait merveille. Son jeu outré a mal vieilli. Pour autant, La Veuve joyeuse n’en reste pas moins un chef d’œuvre lubitschien à la hauteur de sa réputation.

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Possession (1981) ★☆☆☆

De retour chez lui à Berlin d’une longue mission, Mark (Sam Neill) retrouve sa femme (Isabelle Adjani), qui veut le quitter, et son fils. Mark est persuadé qu’Anna entretien une liaison avec Heinrich (Heinz Bennent) ; mais celui-ci lui soutient que leur liaison est aujourd’hui terminée. Avec l’aide d’un détective privé qu’il a embauché, Mark retrouve face au Mur l’appartement où Anna a ses mystérieux rendez-vous et découvre avec stupéfaction les causes de son inéluctable éloignement.

Possession est un film culte. L’interprétation hallucinée et hallucinante d’Isabelle Adjani lui a valu le prix d’interprétation féminine à Cannes (un prix qui, fait unique dans l’histoire du festival lui fut décerné pour son rôle dans deux films en compétition cette année là : Possession et Quartet de James Ivory) et le César de la meilleure actrice (le premier des cinq qu’elle a obtenus dans cette catégorie).

À première vue, Possession est un film d’horreur qui, comme son titre l’indique, raconte l’envoûtement d’une femme. Mais, à y regarder de plus près, c’est aussi, c’est peut-être surtout l’historie de la désintégration violente d’un couple. C’est peut-être aussi, nous disent des exégètes mieux inspirés que moi, une allégorie sur le double, voire une critique du communisme et du totalitarisme.

À quarante ans de distance, Possession est un film qui a mal vieilli. L’hystérie, la violence qui l’habitent sont épuisantes. Il est à craindre que le traitement que Zulawski a infligé à son actrice lui vaudrait aujourd’hui un procès pour harcèlement. Adjani raconte d’ailleurs sans fard le traumatisme qu’elle a subi sur le plateau. On la croit volontiers.

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Il était une fois l’Amérique : Hospital (1970) ★★★★

À l’occasion de la rétrospective intégrale programmée au Centre Pompidou de l’ensemble de ses films, Meteor Films, son distributeur en France, ressortent en salles trois de ses documentaires réalisés en noir et blanc au tout début de sa carrière, au tournant des années soixante et soixante-dix. Frederick Wiseman y entame son immense radioscopie des institutions américaines : après un hôpital psychiatrique (Titicut Folies) et un lycée (High School), Frederick Wiseman pose sa caméra dans une brigade de police du Missouri (Law and Order), un grand hôpital new-yorkais (Hospital), un tribunal pour mineurs du Tennessee (Juvenile Court).

Les règles de la grammaire qui régira toute son oeuvre sont déjà posées : des documentaires-vérité, tournés avec une équipe minimale (un cadreur et Wiseman lui-même qui se charge de la prise de son), des heures de rushes, aucun carton explicatif, aucune voix off pour contextualiser et expliquer des images qui parlent d’elles-mêmes grâce à un énorme travail de découpage et de montage.

Hier soir, une conférence-débat était organisée au MK2 Beaubourg devant une salle comble, appâtée par la présence du réalisateur. Hélas, Frederick Wiseman, affaibli par le grand âge (il aura quatre-vingt-quinze ans le 1er janvier) a dû se décommander. Le débat, animé par Hervé Brusini, n’en a pas moins été passionnant. Y participaient Charlotte Garçon des Cahiers du cinéma, la sociologue Nadège Vézinat dont sort aujourd’hui en librairie Le Service public empêché et le documentariste Jean-Xavier Lestrade (Un coupable idéal, Laëtitia) qui a adressé aux films de Wiseman le plus juste des compliments : « ils nous rendent plus intelligents ».

Je pensais avoir vu les meilleurs documentaires de Wiseman et plaçais tout en haut Welfare sur les déshérités qui affluent dans un centre d’assistance sociale à New York. Mais Hospital m’a plus enthousiasmé encore au point que c’est lui que je conseillerais à qui n’aurait jamais vu de documentaire de Wiseman.

On y découvre, de l’intérieur, le fonctionnement d’un grand service public. On y découvre ses employés dévoués mais débordés et ses usagers qui ne demandent qu’une chose : qu’on leur manifeste un peu d’humanité. Les scènes, captées sur le vif, se succèdent dans un tempo qui ne languit jamais. On y voit un gamin en larmes abandonné à lui-même pour lequel les infirmières cherchent désespérément un lit, un travesti pris en charge par un psychiatre qui essaie sans succès d’en confier le soin à l’assistance sociale qui n’en veut pas, une femme âgée, intubée, qui manque de mourir d’un grave œdème pulmonaire, veillée par un prêtre en soutane…

Hospital ressemble à la vie. On y traverse toute une gamme d’émotions. On est ému aux larmes du corps squelettique d’un malade, dont on pressent la fin prochaine, silencieusement ausculté par un médecin. On rit à gorge déployée devant un jeune beatnik sous emprise vomissant tripes et boyaux en plein bad trip. Le film dure 1h24 et on est frustré qu’il se termine si vite – Wiseman aura entendu notre frustration dont les films suivants seront beaucoup plus longs au point de friser l’overdose.

Jean-Xavier de Lestrade a encore raison en citant les deux réalisateurs qui ont influencé son travail et celui de tous les documentaristes français : Wiseman et Depardon. D’ailleurs Hospital rappelle Urgences de Depardon, tourné à l’Hôtel-Dieu de Paris avec le même dispositif une vingtaine d’années plus tard. Sur les deux rives de l’Atlantique (Wiseman s’est installé en France et y a réalisé plusieurs films, sur la Comédie-Française, l’Opéra de Paris, le Crazy Horse ou le restaurant gastronomique des frères Troisgros à Roanne), Wiseman filme les institutions, ceux qui y travaillent, ceux qui en sont les usagers ou les clients. À rebours de tout manichéisme, sans en faire ni le procès ni la publicité, il en décortique le fonctionnement, en révèle les injonctions contradictoires. Magistral.

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Silex and the City, le film ★☆☆☆

Inutile de présenter au Paléolithique, 40.000 ans av. J.-C., la famille Dotcom, le père, Blog, professeur de chasse, la mère, Spam, professeure de préhistoire-géo, et leurs deux enfants, la fille Web, en pleine crise d’adolescence, et le fils Url, militant « alter-darwiniste ». Les bandes dessinées créées par Jul en 2009 et publiées chez Dargaud (le dixième opus est sous presse) puis la centaine de mini-épisodes de trois minutes à peine diffusés sur Arte de 2012 à 2017 leur ont valu une grande notoriété. Après les BD, après la série TV, l’évolution logique de ce produit populaire appelait le film sur grand écran.

Pour réaliser un long métrage, Jul, assisté à la réalisation par Jean-Claude Guigue, s’est donné les moyens de ses ambitions. Il a rassemblé un casting impressionnant avec des acteurs confirmés (Guillaume Gallienne, Frédéric Pierrot, Raphaël Quénard, Léa Drucker…) et des guest stars improbables (Frédéric Beigbeder, Amélie Nothomb et…. François Hollande !). le problème est que le film va tellement vite qu’on ne les reconnaît pas tous.

Tel est d’ailleurs le reproche plus global qu’on pourrait adresser à cette adaptation. Elle fonctionne selon la même formule que les épisodes de trois minutes : la satire de notre époque dans un univers paléolithique à coup de jeux de mots potaches (les parents Dotcom enseignent en « zone d’évolution prioritaire ») et d’anachronismes décalés. Mais ce qui fonctionne pendant trois minutes ne fonctionne pas de la même façon pendant une heure vingt. Les jeux de mots s’enchaînent à un tel rythme qu’on en rate une bonne partie et que, quand bien même on les saisirait, ils deviennent vite lassants. D’autant que le prétexte du film – Blog et Web ramènent d’un voyage dans le temps, filmé en caméra réelle, une clé coudée  Ikéa qui révolutionne leur civilisation – n’est pas suffisamment intéressant pour maintenir l’intérêt. Dommage…

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Langue étrangère ★★☆☆

Fanny (Lilith Grasmug, l’héroïne habitée par la grâce de Foudre) est lycéenne. Elle part en Allemagne à Leipzig chez sa correspondante allemande, Lena. Les deux adolescentes sont aussi dissemblables que possible. La brune Fanny est timide ; la blonde Lena est extravertie et militante.

Tout est inscrit dans ce titre polysémique. Langue étrangère renvoie d’abord à une expérience, aussi traumatisante qu’excitante, que beaucoup d’adolescents ont vécue : le séjour linguistique dans un pays étranger, dont on ne possède que quelques rudiments scolaires de la langue, loin de ses parents pour la première fois de sa vie, dans un foyer étranger dont les us et les coutumes sont inconnus, l’occasion de quelques timides transgressions (la première cigarette, la première cuite….).
Langue étrangère renvoie à un autre registre que la bande annonce spoile : l’attirance homosexuelle de Fanny pour sa correspondante et l’occasion de premières et timides expérimentations.

À ce cahier des charges déjà bien rempli se rajoutent encore quelques strates au risque de la surcharge : les grandes questions politiques qui mobilisent la jeunesse (la lutte contre le réchauffement climatique, la mobilisation anti-fasciste….) et la relation ados-parents ici incarnés par deux stars allemande et française, Nina Hoss, à contre-emploi dans un registre auquel cette immense actrice ne nous avait pas habitués, et Chiara Mastroianni dont je trouve qu’en vieillissant, elle se « deneuvise » de plus en plus, pour le meilleur et pour le pire.

J’avais beaucoup aimé les précédents films de Claire Burger, C’est ça l’amour en 2018 et, plus encore, Party Girl en 2013 co-réalisé avec Maria Amachoukeli. Je n’ai pas été déçu par ce Langue étrangère, ardent et bien écrit, dont le scénario, dont on aurait pu craindre qu’il fasse du surplace, réussit à créer de la tension autour d’un mystère qui se dissipe lentement.

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Septembre sans attendre ★☆☆☆

Après quatorze ans de vie commune, Ale (Itsaso Arana) et Alex (Vito Sanz) ont décidé de rompre. Sans fracas ni bris de vaisselle. Bien au contraire ! Ils ont même décidé de célébrer l’événement en organisant une « fête de séparation » le dernier jour de l’été. Cette annonce plonge leurs amis dans la sidération, qui essaient par tous les moyens de les en dissuader.

Jonás Trueba est le fils de son père, le grand Fernando Trueba, et la nouvelle coqueluche du cinéma espagnol. Souvent comparé à Rohmer, il a deux acteurs fétiches : Itsaso Arana, sa compagne – qui est elle-même passée à la réalisation avec Les filles vont bien – et Vito Sanz. Septembre sans attendre peut d’ailleurs se lire comme le troisième (et dernier ?) volet d’une trilogie qui les met en scène : le premier, Eva en août, un film accueilli par une critique unanime, la mienne exceptée, racontait la naissance du sentiment amoureux ; le deuxième, Venez voir, la banalité quotidienne de la vie d’un couple ; le troisième met en scène sa séparation.

Décidément hermétique au cinéma de Jonás Trueba dont aucun des films n’a trouvé grâce à mes yeux (j’avais trouvé ambitieux et décevant son documentaire de 3h40 sur la jeunesse madrilène Qui à part nous), je reproche à Septembre sans attendre deux défauts.

Le premier est son postulat de base, que je trouve improbable. Qui aurait l’idée malaisante d’organiser une « fête de séparation » ? Quel en serait le déroulement ? Quels discours y seraient prononcés : « je souhaite beaucoup de bonheur à Nathalie et à Eric…. mais pas ensemble » ?! D’ailleurs [attention spoiler] le scénario ne sait pas comment s’en dépêtrer qui ne montre quasiment rien de cette fête alors que tout le film est consacré à ses préparatifs.

Le second est l’enjeu du film. Dès ses premières minutes, alors qu’on ne sait pas les motifs de la séparation d’Ale et d’Alex – et qu’on n’en saura rien – le principe de cette fête est arrêté. Dès lors, le film se réduit à l’annonce, répétitive, de cette échéance aux amis du couple, à son père à elle, à sa mère à lui. Et son seul enjeu devient : Ale et Alex se sépareront-ils comme ils l’ont décidé ou y renonceront-ils, comme tous leurs amis et tous les spectateurs le souhaitent et comme leur complicité manifeste le laisse augurer ?

J’ai lu que Septembre sans attendre serait une « comédie du remariage ». La coupe à la Kathrine Hepburn de Itsaso Arana en serait la preuve, ainsi que la référence au livre de Stanley Cavell À la recherche du bonheur qui en a théorisé la structure. Hélas, il n’a pas l’élégance frivole des meilleurs films de Hawks, de Capra ou de Lubitsch. Vendu, par Télérama et par une excellente amie expatriée en Roumanie comme une « comédie douce-amère », Septembre sans attendre n’est ni drôle, ni doux, ni amer, mais bavard et insipide. Ma belle-soeur et ma nièce avaient bien raison qui ont failli quitter la salle au bout de trente minutes !

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La nuit se traîne ★★☆☆

Mady est serrurier à Bruxelles. Il se fait piéger par une jeune femme et fracture pour son compte la porte d’un appartement qui n’est pas le sien. Elle s’en échappe avec un magot laissant Mady aux prises avec son propriétaire et bientôt entre les mains d’un gang de criminels. Une course contre la montre commence : Mady doit retrouver, au péril de sa vie, la jeune fille et le magot avant l’aube.

La nuit se traîne nous vient de Belgique. Il est l’oeuvre d’un jeune réalisateur dont c’est le premier long. Le court-métrage de Michiel Blanchart T’es morte Hélène, primé à Gérardmer en 2021, avait été short-listé aux Oscars en 2022 et ses droits avaient été rachetés par Sam Raimi pour en faire l’adaptation.

La nuit se traîne est un polar rebondissant façon After Hours de Scorsese, qui plonge son héros contre son gré dans une spirale de violence dont il ne trouve pas l’issue. Le procédé est efficace, servi par un scénario sans temps mort et un solide casting. Jonathan Feltre n’a peut-être pas encore les épaules suffisamment larges pour endosser le rôle principal ; mais Romain Duris est particulièrement convaincant dans le rôle à contre-emploi de chef de gang sadique.

La nuit se traîne ne laissera probablement pas un souvenir impérissable. Mal distribué à la fin de l’été, il a vite quitté les écrans. Mais pour qui aime les thrillers haletants, il reste un spectacle distrayant en DVD ou VOD.

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Anaïs 2 chapitres ★★★☆

Anaïs est une jeune agricultrice bretonne qui, contre vents et marées, a décidé de produire sur son petit lopin de terre des plantes aromatiques.

Marion Gervais rencontre en 2012 Anaïs Kerhoas dans un petit village d’Ille-et-Vilaine. La jeune herboriste habite dans une caravane, sans eau ni électricité. Elle n’a qu’une idée en tête, malgré les difficultés qu’elle rencontre : cultiver des plantes et en faire des tisanes. La réalisatrice la filme dans un moyen métrage de quarante-six minutes Anaïs s’en va-t-en guerre. Elle la retrouve dix ans plus tard sur son petit lopin de terre, endurcie par l’expérience et toujours aussi déterminée. Cette fois-ci elle livre un nouveau combat pour construire sa vie de couple avec Seydou, un ressortissant sénégalais.

La vie à la ferme est, avec l’hôpital et l’école, un des nouveaux sujets de prédilection du cinéma contemporain. On ne compte plus les fictions (Petit PaysanAu nom de la terre…) ou les documentaires (La Ferme des Bertrand, Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettesSans adieuProfils paysansBovines…) qui lui sont consacrés. Ils racontent tous un peu la même histoire : l’attachement des agriculteurs à leur métier, sa nécessité économique et écologique, les épuisantes difficultés auxquelles ils sont confrontés et la vie harassante et misérable à laquelle ils se condamnent en l’exerçant.

Ce documentaire joue la même musique, mais sur un ton différent grâce à son héroïne. La caméra ne la quitte pas d’une semelle. Et on est ravi de la persévérance de sa réalisatrice qui, à dix ans de distance, a ajouté un second volet à son premier chapitre. Le second répond implicitement à la question posée par le premier : l’entêtetement d’Anaïs a-t-il payé ? Il faut dire qu’on ne voyait pas un brillant avenir à cette jeune femme si mince, si frêle qu’un coup de vent manquerait l’emporter, accroupie dans ses « plantes », arrachant à la main les mauvaises herbes. Certes, elle est déterminée à se battre et le clame haut et fort ; mais cet entêtement don-quichottesque est-il un gage de réussite ? On en doute en espérant se tromper.

Dix ans ont passé. Anaïs a mûri ; mais elle a gardé la même silhouette fluette. Qu’est-il advenu de son commerce ? On le devine sans en être tout à fait certain. Marion Gervais la filme dans une autre bataille qu’elle mène avec la même détermination inentamée. Il s’agit de faire venir de Casamance son amoureux, rencontré Dieu sait comment (les réseaux sociaux ? des vacances à Ziguinchor ?). Là encore, on ne parie pas cher sur ses chances de succès. Les services préfectoraux accorderont-ils à Seydou son visa ? Et, s’il s’installe en Ille-et-Vilaine, avec sa femme, s’accoutumera-t-il à la vie paysanne ?

Anaïs, 2 chapitres ne révolutionnera pas l’histoire du cinéma. Mais son héroïne est tellement solaire, tellement sympathique, son projet de vie tellement atypique, l’énergie qu’elle déploie pour le mener à bien tellement communicative que ce documentaire-là devrait être  remboursé par la Sécu !

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Dahomey ★☆☆☆

En novembre 2021, vingt-six pièces des collections du musée du Quai-Branly, que le corps expéditionnaire du colonel Alfred Dodds avait ramenées du pillage de la ville royale d’Abomey en 1892, ont été restituées au terme d’un accord conclu entre la France et le Bénin. Mati Diop filme leur départ du Quai-Branly, leur arrivée à Cotonou où elles sont exposées au Palais présidentiel, exceptionnellement ouvert au public à l’occasion et le débat que cette restitution suscite parmi les étudiants de l’université.

La jeune cinéaste Mati Diop a fait des débuts retentissants en ratant de peu la Palme d’or à Cannes en 2019 avec Atlantique. Son film suivant est un documentaire d’une heure et huit minutes seulement, qui a obtenu l’Ours d’or à la dernière Berlinale.

Son parti pris est poétique. Elle choisit de donner la parole à l’une des pièces restituées, la vingt-sixième, la statue anthropo-zoomorphe (!) du roi Ghezo. Elle utilise pour cela un synthétiseur qui mixe les voix d’hommes et de femmes. La statue récite en langue fon un texte de l’écrivain haïtien Makenzy Orcel. Les sous-titres sont rédigés en écriture inclusive pour souligner peut-être l’universalité de sa parole et ne pas la réduire seulement à celle d’un monarque mâle.

Ce parti pris est discutable. On aurait aimé en savoir plus sur le retour de ces vingt-six pièces. Comment sont-elles arrivées en France ? Pourquoi la France, cent-vingt ans plus tard, a-t-elle accepté de les restituer au Bénin ? Quelles ont été les conditions financières de cette restitution ? Une loi a-t-elle dû être votée par le Parlement français pour ratifier cet accord international et/ou modifier les dispositions de notre législation ? Le Bénin a-t-il dû fournir des garanties sur leurs futures conditions de conservation ? Quelles voix se sont élevées en faveur de cette restitution ? Quelles autres s’y sont opposées ? Nous n’en saurons rien.

La seule place laissée au débat est celle du dernier tiers du film qui se déroule à l’Université. On apprend dans le dossier de presse que ce débat a été organisé pour les besoins du film, ce qui ôte une grande part de son authenticité. Ce qui frappe, c’est la faiblesse des arguments échangés. Les jeunes étudiants béninois se plaignent d’avoir été élevés et éduqués dans l’ignorance de leur culture. Ils regrettent d’utiliser la langue du colon, le français, au détriment de leur langue primaire. Ils voient dans la restitution de vingt-six pièces seulement, alors que des milliers seraient encore conservées en Europe une « insulte » – ce à quoi une oratrice répond très pertinemment que cette restitution ne constitue qu’un début et qu’au lieu de s’en plaindre, mieux vaudrait réfléchir aux moyens d’en préparer d’autres. Ils récusent la notion, occidentalo-centrée de musée et souhaitent que les pièces restituées soient replacées dans leur environnement original.

Dahomey traite un sujet passionnant : les œuvres d’art qui peuplent les musées occidentaux et qui y sont parvenus souvent par des pillages ou, à tout le moins, des spoliations pour des sommes ridicules, doivent-elles être restituées à leur pays d’origine ? Les marbres d’Elgin à la Grèce ? La Joconde à l’Italie ? L’obélisque de la Concorde à l’Égypte ? Mais les choix de sa réalisatrice pour traiter ce sujet-là sont frustrants.

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Toubib ★★★☆

Pendant douze années, de sa rentrée en première année de médecine à Besançon jusqu’à la soutenance de sa thèse en 2021 à la Timone à Marseille, Antoine Page a filmé son frère cadet.

On pourrait croire le sujet ultra balisé. Il l’est. L’hôpital en général, la formation des jeunes médecins en particulier ont fait l’objet d’une palanquée de fictions et de documentaires. Il suffit de citer Hippocrate ou Première Année. Le réalisateur Thomas Lilti semble s’être même fait une spécialité de ce sujet au point de l’ériger en nouveau genre cinématographique.

Pour autant, ce Toubib réussit à surprendre et à émouvoir.

On ne peut d’abord qu’être admiratif devant l’ambition de ce projet au long cours mené sur plus de dix années. On imagine les écueils qu’il a rencontrés, les aléas qu’il a subis. Combien de fois le réalisateur ou son frère ont-ils failli y renoncer avant de finalement le mener à bien et lui conserver, grâce à un montage intelligent, son unité ?

Toubib nous parle de médecine. Il interroge la formation des futurs médecins, obligés, durant la première année, à un bourrage de crâne qui sollicite moins leur intelligence que leur mémoire et leur endurance. À rebours des valeurs portées par la profession, la sélection ne retient pas les plus humains ni les plus altruistes, mais les plus endurants et les plus déterminés. Toubib interroge aussi le sens du soin, l’attention portée à l’autre, à sa souffrance, l’écoute nécessaire… Comme en a la révélation le jeune étudiant « la médecine, c’est très simple : ce sont quelques connaissances et beaucoup d’observation ».
Le propos est politique. Soigner les corps ne sert à rien dans une société malade. « Voter à gauche est le meilleur service à rendre à la santé publique » nous dit-il en riant lors d’un remplacement dans le désert médical des monts des Cévennes.

Mais Toubib est aussi un Bildungsroman. C’est la formation, de dix-huit à trente ans, d’un homme qu’on voit murir sous nos yeux en moins de deux heures. Toubib est servi par son héros : Angel , non content d’être très intelligent et diablement séduisant, est profondément sympathique. Le documentaire nous apprend qu’il a perdu son père dans son enfance et qu’il marche sur ses traces en devenant, comme lui, médecin généraliste. Mais sa vocation n’est pas purement le produit de l’hérédité. Elle s’affine avec l’expérience. Sous nos yeux, Angel devient médecin social, façon Bardamu, dans les quartiers nord de Marseille.

Cette évolution est d’autant plus émouvante qu’elle a été filmée par son propre frère. On s’imagine ce qui s’est noué entre eux pendant le tournage, le lien fraternel qui a utilisé ce prétexte pour se prolonger et peut-être se renforcer après la fin de l’enfance. La pudeur avec laquelle il est suggéré ne le rend que plus touchant.

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