The Wall ★☆☆☆

Jessica Comley (Vicky Krieps) est garde-frontière en Arizona. Cette jeune femme solitaire et silencieuse, fille de parents divorcés, très proche de sa belle-soeur qui se meurt d’un cancer, est tout entière investie dans sa tâche : pour elle, rien ne compte si ce n’est traquer les immigrants latino-américains qui essaient de franchir le mur qui sépare le Mexique des Etats-Unis.

The Wall est un film dérangeant. C’est l’oeuvre d’un cinéaste belge engagé, Philippe Van Leeuw qui, dans ses deux précédents films, s’était intéressé aux victimes de la guerre en Syrie (Une famille syrienne) et du génocide au Rwanda (Le Jour où Dieu est parti en voyage). On comprend que son but est de dénoncer la politique migratoire des Etats-Unis, au moment même où la réélection de Donald Trump laisse augurer son probable durcissement.

Mais sa façon de le faire désarçonne. Il choisit de se mettre du côté du bourreau et non des victimes. Et il confie le rôle du bourreau à l’une des actrices les plus délicates, les plus douces qui soient, la gracile Vicky Krieps. L’acrice est si gracile, si fragile qu’elle inspire une empathie immédiate. Pourtant elle joue le rôle d’un monstre, animée d’une rage sourde contre les migrants qu’elle traque. Elle en a sans doute hérité d’un père dont on comprend à demi-mot qu’il sert de guide à des Américains venus pratiquer une sordide chasse à l’homme à la frontière.

Le superviseur de Jessica lui assigne un co-équipier pour tempérer son zèle. La patrouille croise le chemin d’un Indien, de son petit-fils et de deux migrants mal en point auxquels ils voulaient porter secours. La situation dégénère. On n’en dira pas plus sinon que l’histoire est ténue et que sa pauvreté peine à faire tenir le film debout.

Mais tel n’est pas à mes yeux le principal défaut de The Wall – un titre au demeurant tellement connoté qu’on aurait pu attendre des producteurs qu’ils en proposent un autre. J’ai été plus dérangé par le personnage de Jessica à laquelle le scénario semble chercher des circonstances atténuantes pour expliquer son racisme viscéral. On la voit témoigner envers sa belle-soeur agonisante et de ses deux jeunes enfants d’une douceur désarmante qui contraste avec l’inhumanité dont elle fait preuve dans son travail. Pourquoi ? Pour nous montrer que les bourreaux sont aussi des êtres humains ? pour excuser leur comportement inadmissible ?

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Les Femmes au balcon ★★☆☆

La canicule réunit trois femmes dans un appartement marseillais : Elise (Noémie Merlant), une actrice qui tente de mettre un terme à la relation toxique qu’elle entretient avec un avocat, Nicole (Sanda Codreanu), une écrivaine en herbe qui peine à écrire son premier roman et Ruby (Souheila Yacoub), une cam girl délurée.

Noémie Merlant a le vent en poupe. Depuis son second rôle dans Portrait de la jeune fille en feu (2019), la trentenaire, à l’aise dans tous les registres (elle est hilarante dans L’Innocent), est devenue une star. Elle utilise sa notoriété pour défendre la cause des femmes à l’ère post #MeToo – ou peut-être sa notoriété procède-t-elle en partie de son engagement féministe. C’est le cas dans cette « comédie horrifique », aux frontières de la comédie et de l’horreur, qui constitue une charge en règle contre le patriarcat et un passage en revue (trop ?) systématique de tous les sujets féministes dans l’air du temps : la masculinité toxique, la sororité libératrice, la nudité décomplexée, les violences domestiques, conjugales et gynécologiques, l’avortement, l’aérophagie (sic)…

Les Femmes au balcon commence par un meurtre : celui, par la voisine du dessus, de son mari violent et abusif. On pense alors, au vu de l’affiche notamment, que le film tournera autour de ce meurtre, de  la dissimulation du cadavre, de l’enquête policière qui essaiera d’élucider cette disparition. Mais c’est une fausse piste. Les trois femmes à leur balcon regardent droit devant elles, de l’autre côté de la rue, un superbe Adonis qui se pavane torse nu sur le sien. Les numéros de portable sitôt échangés, elles se retrouvent quelques textos plus tard chez le séduisant Dom Juan, photographe de son métier qui propose à Ruby de prendre la pose. On n’en dira pas plus…

Depuis sa sortie la semaine dernière, je lis sur ce film des critiques assassines. Il ne les mérite pas. Si je les partageais, je craindrais qu’on en rende responsable mes préjugés de vieux mâle anti-woke cisgenre, pas assez déconstruit. Fort heureusement, sans avoir à justifier d’où je parle, j’ai trouvé plusieurs qualités à ce film. Une intrigue au parfum hitchcockien (le long travelling qui ouvre le film nous fait penser à Fenêtre sur cour), des décors almodovariens (même si on préfèrera toujours l’orginal – La Chambre d’à côté qui sort le 8 janvier et que j’ai eu la chance de voir en avant-première en présence du réalisateur – à la copie) et trois actrices réjouissantes (mention spéciale à Souheila Yacoub dont je ne comprends pas pourquoi elle ne perce pas).

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Oh, Canada ★☆☆☆

Alors qu’il se meurt d’un cancer en phase terminale, Leonard Fife (Richard Gere) accepte de raconter sa vie, face caméra, à deux de ses anciens étudiants. Avant de devenir un documentariste célèbre, Fife a grandi aux Etats-Unis. Il s’y est marié deux fois, y a eu plusieurs enfants, mais a abandonné les siens pour fuir au Canada, soi-disant pour échapper à la conscription en 1968 mais en fait pour fuir lâchement un quotidien qu’il ne supportait plus. Amy (Uma Thurman), qui fut son étudiante trente ans plus tôt, avant de devenir sa femme et sa productrice, assiste à l’enregistrement et découvre des pans de la vie de Leonard qu’elle ne connaissait pas.

Oh, Canada est l’adaptation fidèle de l’avant-dernier roman de Russell Banks, l’immense écrivain américain qui allait mourir quelques mois après la publication de sa traduction française. C’est un roman et désormais un film triplement hanté par la mort : celle de Russell Banks qui, atteint d’un cancer, savait sa fin prochaine en l’écrivant, celles, à venir, de Paul Schrader (78 ans) et de Richard Gere (75 ans), dont la fin des impressionnantes carrières (le premier fut l’un des plus grands scénaristes du Nouvel Hollywood, le second une star des années 80) est plus proche que le début.

Comme le roman, le film se plaît à entretenir la confusion sur les souvenirs de Leonard. Sous l’effet des médicaments et de la maladie, le vieillard, exténué, en perd le fil, s’interrompt, se contredit, revient dans le temps ou saute des époques. Au risque d’y perdre le lecteur comme le spectateur, film et roman restituent très subtilement ce récit désordonné, passant du noir et blanc à la couleur, où les amantes de Leonard prennent parfois les mêmes visages (ainsi d’Uma Thurman qui joue à la fois sa dernière épouse et la femme de l’ami peintre à laquelle il rend visite en chemin vers la frontière canadienne).

Le film a suscité chez moi exactement la même réaction embarrassée que le roman. Je n’y ai rien compris. Ou, plus précisément, pour essayer de mettre des mots sur ce ressenti bien laconique, je n’ai pas compris le point de vue de l’auteur et de son héros : s’agit-il du repentir d’un homme qui ne veut pas quitter la vie sans avoir avoué ses fautes ? s’agit-il plutôt d’un ultime tourment sadique qu’il inflige à sa femme ? d’un jeu machiavélique auquel il se livre avec ses anciens élèves pour leur montrer, aussi décati soit-il, qu’il les surpasse toujours ? Leonard Fife est-il un honnête homme ? un lâche ? un salaud ?
On me répondra peut-être que je n’y ai rien compris. Et l’hypothèse de mon manque de clairvoyance me remplit de honte. On me répondra peut-être aussi que c’est tout à la fois. Que la richesse du livre comme du film est précisément de laisser toutes ces options ouvertes. À quoi je répondrai à mon tour qu’hélas ce brouillard trop obscur m’a décontenancé.

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Sarah Bernhardt, La Divine ★☆☆☆

Sarah Bernhardt (1844-1923) est considérée comme l’une des plus grandes tragédiennes de son temps. Elle fut, avant l’invention du cinéma, la première star mondiale.

À l’heure où le moindre artiste un tant soit peu célèbre, écrivain, peintre (Manet), chanteur de variété (Aznavour, Gainsbourg, Piaf), star de rock, couturière (Coco Chanel) se voit consacrer son biopic, il était inévitable que le cinéma français s’empare de la figure haute en couleur de Sarah Bernhardt. Femme libre, immense actrice de théâtre, elle incarne à elle seule une période, celle de la Belle Epoque, tellement cinégénique.

Guillaume Nicloux, plus à l’aise dans le polar poisseux que dans le film d’époque, s’acquitte dignement de la tâche. Les décors et les costumes sont resplendissants ; le casting rassemble tout ce que la Comédie-Française a de meilleur : Laurent Lafitte, Laurent Stocker, Sébastien Pouderoux. Et Sandrine Kiberlain, plus exubérante que jamais, lâche les chevaux en tête d’affiche.

Le problème de ce film est son point de vue. Sarah Bernhardt nous est certes présentée comme une femme libérée, une féministe avant l’heure, bisexuelle et ne se cachant pas de l’être, dreyfusarde quand l’antisémitisme suintait par tous les pores de la IIIème République. Mais elle est somme toute ramenée à un schème très sexiste : une femme qui n’a aimé qu’un seul homme, Lucien Guitry (Laurent Lafitte), et s’est consumée d’amour pour lui.

Plus grave encore : on nous vend le biopic d’une actrice qu’on ne voit jamais jouer. Pas une scène où on la voie sur scène ! C’est un comble ! Et surtout pas une scène où on l’entende parler de son art, sinon quelques allusives allusions à Lorenzaccio, à Cyrano – qu’elle reproche à Rostand d’avoir écrit pour Coquelin – ou à Shakespeare.

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Fotogenico ★☆☆☆

En provenance de Roanne, Raoul débarque à Marseille un an après la mort de sa fille, Agnès, avec laquelle il avait rompu tout contact. Il découvre qu’elle faisait partie d’un groupe de musique nommé Fotogenico, qui avait sorti un disque, mais dont les membres se sont depuis éloignés. Pour entretenir la mémoire de sa fille, Raoul se met en tête de reconstituer le groupe dissous.

Fotogenico est un ovni cinématographique filmé par un couple fou de musique : Marcia Romano est scénariste (Keeper, La Tête haute, L’Evénement, L’Etabli…), Benoît Sabatier est journaliste, rédacteur en chef de TechnikArt.

Leur film fauché se déroule à Marseille, mais se situe aux antipodes des pagnolades que Guédiguian nous concocte à intervalles réguliers. Il est filmé dans un milieu underground, post-punk, électro et lesbien. La musique du groupe Froid Dub – que je cite avec autorité mais dont, évidemment, je n’avais jamais entendu parler avant d’écrire ces lignes – serait son personnage principal si la vedette ne lui était pas volée par Christophe Paou. Cet abonné aux seconds rôles, qui promène sa moustache dans le cinéma français depuis une vingtaine d’années (L’Inconnu du lac, Gare du Nord, Une part d’ombre…) a le droit au haut de l’affiche. Son personnage est étonnant : à la fois comique – surtout quand il se promène dans son plus simple appareil dans les rues de Marseille après que ses habits lui ont été dérobés sur une anse de la Corniche – et tragique – quand il essaie de retrouver l’exacte position du cadavre de sa fille.

Sans doute ce cinéma de bric et de broc, tourné entre copains, fait-il souffler un vent d’air frais. Mais cette came-là, trop brouillonne, trop bruyante, trop punk, n’est décidément pas la mienne.

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Vingt Dieux ★★★☆

Inséparable de ses deux fidèles amis, Jean-Yves et Francis, Anthony, surnommé Totone, fait les quatre cents coups dans son Jura natal. Mais la dure réalité s’impose à lui quand son père meurt brutalement, lui laissant sa ferme, ses dettes et sa petite sœur de sept ans à peine. Pour se renflouer, Totone décide de participer au concours du Comté d’or. Seul problème : il ne connaît rien à la confection du fromage.

J’avais quelques préventions à l’égard de Vingt Dieux : je pensais en connaître par avance les enjeux (la sortie de l’adolescence d’un paysan jurassien obligé de faire face à ses responsabilités après la mort de son père) et les développements (à force de débrouillardise, sa victoire aux comices agricoles et le renflouement de son exploitation). Les prestigieuses récompenses qui l’auréolaient – prix de la jeunesse au dernier festival de Cannes, meilleur film au festival d’Angoulême, prix Jean-Vigo 2024 – n’avaient pas suffi à infléchir mes préjugés.

Sans doute Vingt Dieux contient-il quelques maladresses et quelques passages obligés. Une amie qui connaît mieux la ruralité que moi me pointait quelques incohérences : Marie-Lise ne vivrait pas seule dans une ferme sans un chien par exemple. Il serait bien indulgent d’affirmer que Vingt Dieux révolutionne à lui seul le coming of age movie. Il n’en comporte pas moins trois ou quatre éléments qui en font selon moi le meilleur film sinon du mois du moins de la semaine.

Vingt Dieux participe d’un mouvement cinématographique typiquement français qui utilise le monde rural et les agriculteurs comme un sujet de cinéma à part entière. On ne filmait plus guère la campagne dans les années 80 ou 90 – sinon avec Le Grand Chemin. On la filme de plus en plus dans les années 2010, 2020. Le succès public et critique emporté par Petit Paysan en est la preuve. Mais il n’est pas le seul : La Famille Bélier, Au nom de la terre avec Guillaume Canet, La Terre des hommes, etc. Il louche du côté du documentaire, nous enseignant par le menu (si j’ose dire) les différentes étapes de la fabrication et de l’affinage du Comté. Il évoque aussi le monde étonnant des courses de stock-cars.

Vingt Dieux raconte l’éveil à l’amour de Totone avec Marie-Lise. Ce personnage est étonnant. Il est interprété par une actrice amatrice, agricultrice de profession. Il nous renvoie une image de la féminité différente des canons dans lesquels elle est usuellement enfermée : sans coquetterie, avare de mots, vivant à la dure, Marie-Lise a peut-être des sentiments pour Totone mais les exprime avec une retenue qu’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma.

Enfin, le scénario de Vingt Dieux nous révèle des surprises. Il ne nous raconte pas l’histoire qu’on avait imaginée et le dénouement qu’on avait pronostiqué. Il en raconte un autre, imprévisible et pour autant parfaitement crédible.

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Saint-Ex ☆☆☆☆

Contrairement à ce que son titre annonce, Saint-Ex n’est pas un biopic. S’il évoque, brièvement, son enfance dans le château familial, la mort de son frère cadet, François, puis sa disparition en mer en juillet 1944, Saint-Ex se focalise sur un épisode de la vie du célèbre écrivain : en 1929, avec Henri Guillaumet, employé de la Compagnie générale aéropostale, il traverse la cordillère des Andes et ouvre la route aérienne de l’Argentine au Chili.

Il suffit de jeter un oeil à la bande-annonce pour savoir de quoi sera fait ce film. Tout y sonne faux, depuis l’affiche – dont le sommet montagneux encapuchonné de neige ressemble plus au Kilimanjaro qu’à l’Aconcagua – jusqu’au jeu des acteurs et aux décors de carton pâte. Pas un cheveu du beau Louis Garrel ne bouge quand il vole, la tête nue, dans son Potez 25 à quatre mille mètres d’altitude. Quand  son avion s’écrase dans l’océan, il flotte gentiment, le temps de lui laisser le temps de s’en extraire. Quand son moteur s’arrête, faute d’oxygène à trop haute altitude, Saint-Ex rampe sur la carlingue et redémarre à la main l’hélice immobile.

On se croirait dans une bande dessinée des années cinquante, à la ligne claire, aux héros purs et parfaits, pas dans un film. Quelques références, allusives et pataudes, sont faites à l’oeuvre littéraire de Saint-Exupéry (qui évoque son séjour en Amérique du sud et son amitié avec Guillaumet dans Vol de nuit et Terre des hommes) : lors d’une improbable escale dans une hacienda paradisiaque, il croise un jeune garçon aux cheveux bouclés roux qui pourrait bien lui inspirer le petit Prince s’il lui demandait de lui dessiner un mouton.

Rien ne marche dans ce film : ni les paysages à couper le souffle filmés dans la Cordillère des Andes et en Patagonie, ni les acteurs coincés dans la caricature de leurs personnages (Vincent Cassel incarne l’héroïsme, Louis Garrel la loyauté, Diane Kruger la dévotion matrimoniale), ni un scénario dont on connaît à l’avance le dénouement si on a, comme ce fut mon cas, été biberonné aux histoires épiques des grands explorateurs et si, à côté d’un poème de Rudyard Kipling, on avait dans sa chambre un poster de Guillaumet marchant seul dans la neige orné des mots célèbres :  « Ce que j’ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait »

PS : Aurez-vous reconnu la voix du directeur de l’Aéropostale à la radio ? Je n’y serai pas arrivé sans aller lire le générique. Il s’agissait de….

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Limonov, la ballade ★★★☆

Edouard Limonov (1943-2020) est l’enfant maudit des lettres russes. Tour à tour poète, romancier, biographe de sa propre vie, couturier, clochard, majordome, exilé aux Etats-Unis, en France, avant de revenir en Russie, d’y fonder un parti ultranationaliste avant d’être enfermé par Poutine au Goulag, il aura placé sa vie sous le signe de l’excès, à vomir la médiocrité du monde et à défendre l’indéfendable, dans une surenchère de provocation gratuite. Emmanuel Carrère lui avait consacré un livre brillant et ambigu en 2011. Kirill Serebrennikov le porte à l’écran.

Le biopic est un genre frelaté, qui joue trop souvent sur la popularité de son héros, plus que sur un réel désir de cinéma. Un tel reproche ne saurait être adressé à Limonov, la ballade qui, au contraire, constitue la rencontre parfaitement logique et attendue entre deux artistes qui se ressemblent : Serebrennikov (LetoLa Fièvre de PetrovLa Femme de Tchaïkovski), un réalisateur russe exilé, qui entretient avec son pays une relation d’amour-haine et dont le cinéma enfiévré déborde d’une énergie toxique, et Limonov, le dandy punk et misanthrope, croisement ultra-contemporain de Drieu la Rochelle et de Mick Jagger.

Cette rencontre explosive fait-elle pschitt ? Je lis des critiques tièdes voire amères. Première lui reproche d’être trop sage, trop aseptisé, Télérama déplore le cynisme de son héros, Le Monde regrette que le film consacre trop de temps à l’épisode américain et passe trop vite sur le retour à en Russie et la dérive indéfendable de Limonov dans l’ultra-nationalisme, le fascisme et l’antisémitisme – comme le faisait le roman de Carrère, plus balancé dans l’appréciation du personnage et la fascination empoisonnée qu’il suscite.

Ces critiques me semblent néanmoins bien sévères. Limonov, la ballade déborde d’une énergie punk et destructrice. Le travail de l’image est étonnant, qui donne à voir le héros dans des Super-8 tremblotants et jaunâtres qu’on dirait d’époque. Mené tambour battant, il dure plus de deux heures alors qu’on ne voit pas le temps passer. Les transitions d’une époque à l’autre sont filmées par des plans séquences semblables à ceux que Serebrennikov avait déjà tournés dans ses précédents films, d’une maîtrise bluffante. Atout de poids, l’interprétation inspirée de Ben Whishaw (Le ParfumBright Star, Cloud Atlas…) qui, avec un aplomb déconcertant, promène sa silhouette dégingandée d’une maigreur maladive, ses cheveux en pétard et ses lunettes intello.

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Diamant brut ★★☆☆

Liane est à peine sortie de l’enfance. Mal aimée par sa mère qui l’élève seule, elle se rêve influenceuse. Avec ses maigres économies, elle a pratiqué une augmentation mammaire aux effets impressionnants et hésite à se faire refaire les fesses dans la foulée. Sur des talons interminables, faux cils, faux ongles, extensions capillaires, elle surveille anxieusement l’augmentation du nombre de ses followers sur Instagram. Elle a une ambition : participer à la neuvième saison de l’émission de téléréalité Miracle Island.

Agathe Riedinger signe son premier film. Il a eu les honneurs d’une sélection en compétition officielle à Cannes. Il repose tout entier sur les épaules d’une actrice débutante, Malou Khebizi, croisement improbable de la Nabila des Anges de la téléréalité et de la Rosetta des frères Dardenne. Elle est aussi horripilante que la première, aussi attendrissante que la seconde. Dure et fragile à la fois, on la sent sur la corde raide.

Sur le papier, Diamant brut avait tout pour séduire. Son problème vient de son scénario. Une fois le cadre dressé, les personnages installés, il fait du surplace, bloqué sur l’attente fébrile des résultats du casting auquel Liane a participé. On pressent la façon dont il se conclura, quand on mesure son anxiété croissante qui menace de la faire verser dans la folie, quand on la voit adopter des comportements de plus en plus dangereux avec les hommes dont elle attise le désir. On est doublement surpris. Et c’est tant mieux. mais cela ne suffit pas à sauver le film.

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Daddio ★☆☆☆

Une jeune femme (Dakota Johnson), de retour d’Oklahoma, monte à l’aéroport JFK de New York dans un taxi. Destination : le centre de Manhattan. La discussion s’engage entre la passagère et le conducteur du taxi (Sean Penn).

Un film nocturne tout entier tourné à l’intérieur d’un véhicule ? Vous avez l’impression que mon blog bégaie et que je vous en ai déjà parlé ? En effet ! Il y a quelques jours à peine, je chroniquais Le Choix avec Vincent Lindon, un film français qui suivait sa tête d’affiche, l’oreille collée à son portable pour essayer de faire de l’ordre dans sa vie, pendant un trajet automobile nocturne vers une destination inconnue.

Il n’y avait dans Le Choix qu’un seul protagoniste. Il y en a deux dans Daddio, qui ne s’étaient jamais rencontrés avant que leurs chemins se croisent. La question qui se pose – et que je me suis posée pendant tout le film – est la crédibilité de leur rencontre ou, plutôt, celle de leur dialogue. Car qu’un conducteur de taxi rencontre une passagère, il n’y a à cela rien d’extraordinaire. Que la conversation s’engage, sur le temps qu’il fait, l’état du trafic ou les dernières actualités, pourquoi pas ? Mais avez-vous déjà raconté votre vie au conducteur de votre taxi ? vos amours, vos emmerdes, vos secrets les plus intimes ? et vous a-t-il en retour dispensé de sentencieux conseils ?

Car c’est de cela dont il s’agit dans Daddio – un titre que je n’ai pas compris (renvoie-t-il au surnom, scandaleusement incestueux ou délicieusement complice, dont l’héroïne a affublé son amant ?). Une passagère raconte sa vie amoureuse au chauffeur de son taxi. Pour épicer un peu l’intrigue, elle échange simultanément des sextos à l’amant susmentionné qui se languit d’elle. Comment la banquette arrière d’un Yellow Cab se transforme-t-elle en canapé freudien ? C’est le tour de passe-passe auquel le film voudrait nous faire croire.

J’ai beau savoir que les interactions aux Etats-Unis sont plus fluides qu’en France, je suis resté bloqué tout le long du film sur ce point-là : je n’ai pas cru une seconde à la possibilité d’un dialogue entre ces deux personnages. Dès lors, tout dans Daddio m’a semblé sonner faux.

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