Couronnée par Top Chef, Cécile (Juliette Armanet) apprend, à quelques jours de l’ouverture du restaurant gastronomique qu’elle s’apprête à lancer à Paris avec son compagnon, qu’elle est enceinte et que son père a été victime d’un infarctus. Cécile décide de lui rendre visite et le retrouve en province aux commandes de son relais routier, dont il se refuse de décrocher, au grand dam de sa mère (Dominique Blanc). À l’occasion de ce court séjour, elle retombe sur Raphaël (Bastien Bouillon), un ami d’enfance avec qui une idylle aurait pu se nouer si la vie n’en avait pas décidé autrement.
Partir un jour a beaucoup fait parler de lui en faisant l’ouverture mardi soir du festival de Cannes. Cette brutale publicité, pour un si petit film français qui ne paie pas de mine, a provoqué une polémique. Alors ? pépite ou navet ?
Partir un jour est une pépite. C’est un petit bijou de sensibilité qui a d’ailleurs enthousiasmé plusieurs de mes amis. Il s’agit de l’homothétie, plus ou moins exacte, du court métrage réalisé par Amélie Bonnin couronné par un César en 2023 (et visible en libre accès sur Arte TV). À un détail, majeur, près : le héros du court métrage est devenu une héroïne dans le long, les deux acteurs principaux intervertissant leur rôle.
Partir un jour est porté par Bastien Bouillon et par Julie Armanet. On connaissait déjà le premier révélé par La Nuit du 12 qui confirme, en blond peroxydé, tout le bien qu’on pensait de lui. On n’avait jamais vu la seconde, qu’on connaissait déjà néanmoins par ses chansons et son opinion très tranchée sur celles de Sardou. Son choix est d’autant plus bienvenu que Partir un jour est une comédie chantée, façon On connaît la chanson où les acteurs poussent la chansonnette à tour de rôle, la voix plus ou moins juste. On y retrouve avec un plaisir régressif les 2B3, Dalida, Nougaro ou Stromae.
J’aurais toutefois une double réserve sur cette comédie nostalgique qui explore avec justesse – comme le dernier roman de Colm Tóibín que je lisais hier – les bifurcations ratées de nos vies amoureuses passées. La première est que la distance qui s’est creusée entre Cécile et ses origines est mal traitée à mon sens. Le Julien du court métrage, un romancier façon Edouard Louis qui vient de signer un best-seller où il raille son milieu, constituait je crois un transfuge de classe plus convaincant. La deuxième est que, à rebours de la promesse de son titre, Partir un jour ne traite qu’à moitié le sujet de l’arrachement, de la montée à Paris, de ses causes et de ses conséquences, se concentrant finalement et pauvrement sur la seule histoire d’amour entre Cécile et Raphaël.
Reste la question de l’ouverture de Cannes. Partir un jour méritait-il une telle exposition ? Je pense que non. Lors des précédentes éditions, Thierry Frémeaux avait choisi des films français de réalisateurs installés : Le Deuxième Acte de Dupieux en 2024, Jeanne du Barry de Maïwenn en 2023, Coupez ! de Michel Hazanavicius en 2022, Annette de Léos Carax en 2021… Pour autant ces choix n’avaient rien de tranquille : Le Deuxième Acte, Coupez ! (que j’avais l’un et l’autre adorés), Annette (que j’avais au contraire détesté) étaient sacrément transgressifs. Avec Partir un jour, Cannes a voulu rééditer le coup de Vingt Dieux l’an passé, sélectionné à Un certain regard et succès surprise de l’année 2024 aux Césars et au box office. Mais je ne suis pas sûr pour autant que ce film très franchouillard, par son thème, par ses chansons, ait fait vibrer une corde chez les spectateurs cosmopolites et encravatés de la Croisette faute de formuler une proposition de cinéma à la hauteur de cette occasion-là.