Life of Chuck ★★★☆

Charles « Chuck » Krantz est un orphelin élevé par ses grands-parents dans une grande maison victorienne dont le grenier est cadenassé parce qu’il contiendrait un secret. Jeune collégien, Charles suit avec passion des cours de danse et devient malgré son jeune âge un danseur talentueux. Mais son grand-père le convainc de choisir le même métier que lui. Quelques années plus tard, Charles, devenu comptable, participe à un congrès. À sa sortie, il se laisse entraîner par la rythmique d’un joueur de rue et se lance dans une prestation follement inspirée où le rejoint bientôt une autre danseuse. Mais un mal sournois ronge Chuck qui mourra quelques mois plus tard alors que la planète tout entière, frappée par des phénomènes de plus en plus inquiétants, court à sa perte.

Précédé d’une réputation flatteuse, Life of Chuck déboule sur nos écrans à une période de l’année où la programmation est bien pauvre et les coups de cœur rares (mon dernier remonte à La Venue de l’avenir de Klapisch). Pour Première, c’est le film du mois. Pour moi, avant même d’entrer dans la salle, j’avais décidé que ce le serait aussi.

Mon haut degré d’auto persuasion a peut-être obscurci mon jugement. Quels seraient les défauts qu’un esprit scrogneugneu (ou plus lucide que moi) pourrait pointer ? Un manque de tempo qui rend Life of Chuck vite ennuyeux ? Une bien-pensance typiquement américaine qui, à rebours de sa prétendue originalité, englue le film dans un cinéma très mainstream ? Une philosophie qui se réduit, tout compte fait, à une morale bien pauvrette : si la mort nous attend tous, dansons la vie tant que nous le pouvons ? Une description de l’apocalypse qui est loin d’approcher celle, hypnotisante, du Melancholia de Lars Von Trier, chef d’oeuvre indépassable ? Des chorégraphies trop sucrées façon La La Land ?

Qui me connaît un peu saura que le dernier argument est pour moi irrecevable : rien n’est trop sucré dans La La Land, mon bffe (best film for ever) et tout ce qui s’en approche m’attire irrésistiblement. J’avoue m’être laissé emporter par les deux séquences dansées de Life of Chuck, avec une nette préférence pour la première qui devrait rapidement accéder au statut de séquence mythique. Ce n’est pas tant la chorégraphie de Tom Hiddleston et d’Annalise Basso ni la musique à la batterie jouée par Taylor Gordon (grâce à laquelle j’ai appris le sens du mot anglais busking) qui m’ont emporté, que l’immense joie de vivre qui s’en dégage. La danse – et, promis, je refermerai très vite cette parenthèse sentencieuse – a la vertu rare de rendre la vie à la fois plus belle et plus légère. Et tel est le message, qu’on peut en effet trouver trop frivole de Life of Chuck : la vie est plus légère quand on la danse.

Quelles sont les autres qualités de Life of Chuck à mes yeux ? J’aurais dû commencer par la plus évidente : sa construction antéchronologique. Le film, comme la nouvelle de Stephen King dont il est tiré, est construit en trois chapitres et commence par le troisième. L’acte 3 se déroule à la veille de l’apocalypse qui va détruire la planète. On n’y voit pas Chuck sinon dans des affiches mystérieuses qui saluent sa mémoire – et dont on n’aura, je crois, jamais l’explication. L’acte 2 évoque cette danse miraculeuse de légèreté interprétée par un comptable anonyme dans son costume cravate passe-muraille. L’acte 1 retrouve Chuck enfant, élevé par ses grands-parents (on reconnaîtra, ou pas, Mark Hamill, le Luke Skywalker de Star Wars dans le rôle de son grand-père alcoolique et aimant) et confronté à un mystérieux secret, le whodunit du film,  qui nous sera expliqué dans l’ultime plan.
Certes, Life of Chuck n’est pas le premier film à suivre une telle séquence. On pense à Irréversible de Gaspar Noé à 5×2 de François Ozon, à L’Etrange Histoire de Benjamin Button avec Brad Pitt [PS : L’Etrange Histoire… a pour héros un personnage qui revient en enfance mais n’est pas un film antéchronologique]. Mais cette construction maligne confère au film une originalité savoureuse.

Autres originalités assez rares dans les films hollywoodiens : l’absence de stars au générique (si ce n’est peut-être Chiwetel Ejiofor dans un rôle secondaire et le susmentionné Mark Hamill) et la discrétion du personnage principal qui fait son apparition après une demi-heure de film et disparaît vingt minutes plus tard.

J’écris cette chronique, comme toujours, quelques heures après avoir vu ce film. Si j’ai pris cette habitude, c’est à cause des capacités limitées de ma mémoire : au fil des jours, je perds inexorablement le souvenir des films que j’ai vus. Mais pour une fois, j’ai hésité à déroger à cette règle d’airain. Car Life of Chuck fait partie peut-être (ou peut-être pas) des films qui « percolent », des films dont le souvenir se modifie, pour le meilleur, avec le temps qui passe. Comment résistera au temps la « morale » de ce film dont je disais plus haut qu’on pouvait à bon droit lui reprocher d’être « pauvrette » ? Trouverai-je dans quelques jours, dans quelques semaines, que ce film était surcoté, que sa morale était frelatée ? ou au contraire, à la façon des meilleurs films de Spielberg ou de Capra, me laissera-t-il un souvenir durable qui m’aidera à vivre à l’ère des peurs apocalyptiques qui nous menacent ?

La bande-annonce

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *