Stups ★★★☆

Au tribunal judiciaire de Marseille comparaissent des hommes et des femmes accusés de participer au trafic de stupéfiants comme vendeurs, comme transporteurs, comme guetteurs ou comme « nourrices » (les personnes qui conservent à leur domicile les stupéfiants). Avec leurs avocats, ils essaient tant bien que mal d’infléchir le président du tribunal, qui ne se laisse pas faire, en niant les faits contre toute évidence ou en invoquant leur vie de galère, leur volonté de se réinsérer ou leur regret d’un acte isolé accompli sous la pression d’un gain élevé et facile.

Cinq ans après nous avoir fait pénétrer au cœur de la prison des Baumettes (Des hommes), Alice Odiot et Jean-Robert Viallet restent dans la cité phocéenne et y tournent un documentaire similaire, aux comparutions immédiates et chez le juge des enfants. On y voit la Justice à l’œuvre, pas celle qui fait la Une des journaux avec ses grands procès médiatiques, sur lesquels tous les internautes, surtout ceux les moins versés en droit pénal, ont un avis définitif, mais celle, quotidienne, qui juge des petits délinquants misérables impliqués de près ou de loin dans le trafic de stupéfiants.

Il y a deux façons de recevoir ce film, selon qu’on soit de gauche ou de droite. La première est d’y voir une Justice de classe, exercée par des Blancs, appartenant aux CSP les plus aisées (les bijoux dorés de la procureure rutilent), maniant une langue absconse que les accusés ne comprennent pas (ah ! les « nonobstant » de la procureure !), maniant parfois à l’égard des accusés une ironie méprisante et versant souvent dans un paternalisme déplacé. La seconde au contraire salue le travail patient des juges qui ne se laissent pas amadouer par les dénégations embrouillées des accusés et les forcent à se confronter à leurs actes et à en assumer les conséquences. Ils se féliciteront qu’à rebours de l’image qui a cours, la Justice ne soit pas si laxiste et emprisonne ceux qui lui sont déférés.

L’immense qualité de Stups est de garder le juste milieu entre ces deux lectures trop tranchées. Elle nous montre la Justice telle qu’elle est, telle qu’elle se fait, confrontée à l’humanité des inculpés qui comparaissent devant elle, mais aussi chargée de rappeler la Loi et la faire respecter. Elle interroge les différentes fonctions de la peine. Sa fonction répressive, protective et dissuasive en premier lieu : la peine sanctionne la commission d’un délit, protège la société de sa réitération et est censée dissuader l’inculpé de la récidive. Sa fonction éducative ensuite : l’accusé est censé sortir de prison dans de meilleures dispositions qu’il n’y est entré, prêt à se réinsérer dans une société qui l’avait temporairement banni.

C’est évidemment sur ce dernier point que le bât blesse. À quoi sert, nous interroge Stups, de mettre en prison des pauvres bougres auxquels la société ne propose aucun espoir et qui fatalement, dès qu’ils seront sortis de prison, comme le montrent d’ailleurs leurs casiers judiciaires bien remplis, n’auront d’autres solutions que de replonger dans la même spirale criminelle ? C’est sur cette interrogation que se clôt le documentaire, sur la condamnation à la prison ferme d’une femme toxicomane, enceinte, violentée par des dealers, acculée à servir de « nourrice » et sur le regard interrogateur de son avocat.

La bande-annonce

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