The Innocents ★★★☆

Ida a neuf ans, une grande sœur autiste et deux parents aimants qui veillent à donner à chacune de leurs filles l’attention qu’elles exigent. Ida et sa famille profitent de l’été nordique pour déménager. Ils s’installent dans une barre HLM où Ida espère se faire de nouveaux amis. Elle rencontre bientôt Ben, un garçonnet qui lui dit posséder des dons étonnants de télékinésie. Anna sa sœur se lie avec Aisha qui semble parvenir à communiquer avec elle par la pensée.

Des enfants dotés de super-pouvoirs ? Ce pitch annonce immanquablement une superproduction américaine avec une débauche d’effets spéciaux du genre de Carrie, Chronicle, X-Men ou Stranger Things. J’avoue les citer sans les avoir tous vus (sinon Carrie qui m’avait durablement marqué à l’adolescence) tant ce genre ne m’attire pas.

The Innocents appartient indéniablement à ce genre-là, mais le renouvelle de fond en comble par le traitement qu’il en propose. On est loin des pyrotechnies hollywoodiennes dans ce film scandinave minimaliste dont le seul décor est une paisible cité HLM perdue au cœur de la forêt norvégienne. Eskil Vogt – qui co-signe tous les scénarios de Joachim Trier et avait déjà réalisé en 2015 un film étonnant sur une femme aveugle et paranoïaque – joue sur les paradoxes : tout semble calme en apparence dans son film, de ses décors sylvestres aux bouilles innocentes de ses jeunes héros pré-adolescents (dont le jeune âge nous évite quelques références toujours malaisantes à l’aube de leur sexualité). S’il fallait lui trouver une généalogie, je citerais Morse, un film scandinave lui aussi, aussi rare que culte.

The Innocents est construit comme un lent crescendo. On pourrait trouver le temps long ; le film dure près de deux heures ; mais on reste cloué à son fauteuil par une tension de plus en plus forte. A posteriori, le film se résume au lent apprentissage moral de jeunes enfants qui n’avaient pas spontanément acquis les notions de Bien et de Mal. Mais cette reconstruction très intellectuelle ne signifie ni que The Innocents soit moralisateur ni qu’il soit manichéen.

Laissez vous sidérer par ce petit film troublant et anxiogène dont la dernière scène, qui surpasse bien des finals des films de super-héros, a été tournée avec un budget au moins vingt fois moindre.

La bande-annonce

Los Lobos ★★☆☆

Max, huit ans, Léo, cinq ans, et leur mère quittent le Mexique pour les Etats-Unis. Sans ressources, sans amis pour les accueillir, ils s’installent à Albuquerque dans un appartement miteux loué par un couple de vieux chinois acariâtres. Pendant que leur mère va chercher du travail, Max et Leo restent seuls dans l’appartement avec l’interdiction d’en sortir.

Le jeune réalisateur Samuel Kishi Leopo est natif du Mexique et a grandi en Californie avec sa mère et son frère. Il a puisé dans ses souvenirs personnels pour écrire son premier film.

Le résultat, minimaliste, est très touchant. Avec un scénario de trois lignes, sans solliciter rien qui l’en détourne, Los Lobos vise juste et touche sa cible. Il réussit une gageure : filmer l’attente – sans pour autant nous écraser d’ennui. Avec Max et Leo, on vit le temps dilaté de ces jours d’été interminables à attendre le retour de leur mère, qui enchaîne les petits boulots pour gagner l’argent qui leur permettra peut-être de réaliser leur rêve d’enfant : aller à Disneyland.

Dès que ce rêve est évoqué, on pressent par avance sur quel plan le film se conclura. La dernière scène de Los Lobos a l’intelligence de nous donner tort sans nous décevoir pour autant.

La bande-annonce

Mort sur le Nil ★☆☆☆

Simon Doyle (Armie Hammer rattrapé depuis par de troublantes accusations de viol et de … cannibalisme) et sa richissime fiancée, Linnet Ridgeway (Gal Gadot dont le seul nom au générique suffit à faire interdire la sortie du film au Koweït) sont en lune de miel en Égypte. Ils ont affrété un luxueux bateau qui remonte le Nil d’Assouan à Abou Simbel. Ils ont rassemblé autour d’eux leurs amis les plus proches ainsi que le célèbre détective belge Hercule Poirot (Kenneth Branagh) rencontré par hasard au pied des Pyramides. La croisière semble commencer sous les meilleurs auspices ; mais le crime rode…

Kenneth Branagh récidive. Fort du succès mondial du Crime de l’Orient-Express (352 millions de dollars au box-office pour un budget de 55 millions), le brillant réalisateur britannique remettait rapidement le couvert et tournait, avec une brochette de stars sa « suite ». Déjà, en 1974, le succès du film de Sydney Lumet avait incité la production à tourner quatre ans plus tard une adaptation de Mort sur le Nil. Si le film de 1978 (avec Peter Ustinov dans le rôle du grand détective belge) a été presqu’entièrement tourné en décors naturels, celui de 2022 – dont la sortie a été repoussée pendant deux ans à cause du Covid – l’a presqu’entièrement été en images de synthèse. Le résultat est d’un kitsch assumé qui, selon les goûts, provoquera des renvois gastriques ou une admiration médusée.

Mort sur le Nil aura-t-il autant de succès que Le Crime…. ? C’est hélas probable. Car tous les ingrédients escomptés sont au rendez-vous : l’exotisme d’une croisière sur le Nil, le luxe insolent des Années folles, l’intrigue gentiment emberlificotée des romans d’Agatha Christie…. D’ailleurs, malgré les réserves que m’avait inspirées le précédent film de Kenneth Branagh, je me suis précipité voir celui-ci dès sa sortie, comme on entre dans une pâtisserie pour s’empiffrer d’une tropézienne trop grasse (métaphore varoise). Ai-je eu tort ? Ai-je eu raison ? J’expierai ma faute en allant voir dès mon retour à Paris un film moldo-slovaque en noir et blanc sans dialogues !

La bande-annonce

Municipale ★★☆☆

À quelques mois des élections municipales, Laurent Papot, un acteur parisien, arrive à Revin, une petite cité ardennaise frappée par la désindustrialisation. Il a été recruté par les deux réalisateurs de Municipale pour endosser le costume d’un candidat aux prochaines élections. Le documentaire qu’ils s’apprêtent à filmer sera l’occasion d’une plongée dans la vie politique en province et d’une radioscopie d’une cité en crise.

En lisant le résumé que je viens de faire de Municipale, on imagine volontiers ce dont ce documentaire sera fait : une campagne municipale filmée en caméra cachée avec un vrai-faux candidat qui nous fera comprendre de l’intérieur de quoi est fait le militantisme politique aujourd’hui. Alternative : une bouffonnerie à la Coluche où un vrai-faux candidat révèlerait les turpitudes et l’inanité d’une campagne électorale.

On se tromperait – ou on se tromperait à moitié – en imaginant un tel scénario.
Car les réalisateurs de ce déroutant documentaire et leur acteur-candidat/candidat-acteur embrassent un parti différent : Laurent Papot ne cachera ni son identité, ni son projet. Il ne feindra pas d’être un vrai candidat, avec un vrai programme et de vraies ambitions, mais affichera au contraire crânement son statut d’acteur recruté pour filmer un documentaire.

Cette fausse candidature assumée ne fera-t-elle pas long feu ? C’est la question qu’on se pose au bout d’une vingtaine de minutes. Comment en effet convaincre les Revinois d’élire un candidat qui affirme haut et fort qu’il n’en est pas un et qu’il rendra les clés de la mairie à ses électeurs sitôt son élection acquise et son contrat de travail mené à terme ? Et comment d’abord recruter les trente colistiers dont il a besoin pour présenter sa candidature ?

Le pari du vrai-faux candidat est un chouïa emberlificoté : sa candidature serait l’occasion de saisir un « moment » de la vie démocratique d’une ville endormie, de susciter une réflexion au sein de sa population. D’ailleurs son pari n’échoue pas totalement. Quelques personnes discutent avec lui, viennent à ses réunions, acceptent de s’enrôler à ses côtés. Ce bel élan populaire est d’ailleurs réjouissant et rompt avec l’image qu’on se fait volontiers du désintérêt de nos compatriotes pour le débat politique.

Pour autant, empêtré par son postulat, Municipale se condamne à l’impasse. Le Covid qui prive l’élection de son second tour n’arrangera rien à l’affaire.
On aurait tout compte fait préféré une démarche plus classique, celle de la sociologie d’une petite ville en crise, que Municipale ébauche, ou bien celle de la candidature cachée.
Mais on aurait mauvaise grâce de reprocher à Laurent Papot et à ses deux co-réalisateurs d’avoir essayé d’emprunter d’autres voies.

La bande-annonce

Les Leçons persanes ★★★☆

Gilles (Nahuel Perez Biscayart), le fils d’un rabbin anversois, est arrêté en France en 1942 alors qu’il tentait de quitter l’Europe. Il ne doit la vie sauve qu’à un réflexe désespéré : au moment d’être exécuté, il a brandi l’exemplaire d’un livre rare échangé à un autre prisonnier et a affirmé être persan. Il est aussitôt conduit  dans un camp de concentration chez Klaus Koch, un officier nazi (Lars Eidinger) qui rêve d’ouvrir à Téhéran un restaurant après la guerre. En échange d’un poste en cuisine, Koch exige de Gilles qu’il lui apprenne le farsi. Comment diable le prisonnier réussira-t-il à enseigner à son bourreau une langue dont il ne connaît pas un traitre mot ?

Les Leçons persanes a été fraichement accueilli par la critique. Elle lui reproche d’abord quelques approximations historiques, à commencer par ce camp de concentration censé être le camp du Struthof en Alsace, mais dont le portail est orné de la funeste inscription qui décorait celui de Buchenwald. Elle lui reproche ensuite ses personnages caricaturaux : des soldats nazis sadiques, des prisonniers faméliques et déshumanisés. Elle lui reproche enfin sa facture très classique et la façon démodée et malaisante dont il esthétise les camps de la mort.

C’est avec toutes ces préventions à l’esprit que je suis allé voir ce film, avec quelques semaines de retard sur sa sortie, le 19 janvier. M’attendant à être déçu, j’ai été agréablement surpris. Certes, Les Leçons persanes ne révèle guère de surprise par rapport au pitch qu’en fait la bande-annonce. Mais l’histoire, reconnaissons-le, est sacrément étonnante et on se demande pendant les deux heures qu’il dure, comment son héros se sortira de la supercherie qui lui a sauvé la vie.

Les Leçons persanes est servi par l’interprétation hors pair de son acteur principal, Nahuel Pérez Biscayart, la révélation de 120 battements par minute. Son jeu est incandescent. Cet acteur a l’étoffe d’une star. Il est entouré d’une brochette d’acteurs allemands qu’on avait déjà vus, notamment dans la série Deutschland 83 / Deutschland 86 : Jonas Nay, Alexander Beyer…

C’est la dernière scène des Leçons persanes qui a achevé de me convaincre. Je ne vous en dirai pas plus pour ne pas vous gâcher le plaisir de la découverte. Mais préparez vous à découvrir la plus belle fin que vous ayez vue depuis très longtemps au cinéma.

La bande-annonce

L’amour c’est mieux que la vie ☆☆☆☆

Gérard (Darmon) se meurt d’un méchant cancer du poumon. Ses amis, Ary (Bittan) et Philippe (Lellouche), souhaitent adoucir ses derniers moments en lui offrant une ultime histoire d’amour. Ils contactent Sandrine (Bonnaire), la patronne d’une agence d’escorts qui, n’écoutant que son cœur, décide de s’atteler en personne à la tâche.

À quatre-vingt quatre ans, Claude Lelouch tourne son cinquantième film. Son titre pourrait être issu d’une intelligence artificielle qui aurait mélangé les mots des titres de ces films précédents. Elle aurait d’ailleurs également proposé : « L’aventure de l’amour de la vie » ou encore « La vie sans amour n’est pas une vie » ou encore « Un homme et une femme vivent l’amour de leur vie ».

Le film lui-même, son scénario, sa réalisation, sa direction d’acteurs auraient pu tout autant être issus de la même intelligence artificielle à laquelle on aurait donné à analyser les quarante-neuf précédents films du réalisateur tant on y retrouve, sans une once de nouveautés, les mêmes recettes éculées. Comme toujours, Lelouch prend prétexte du tournage d’un film pour réunir sa bande de copains. Il aurait aimé, aux frais de la production, faire le tour du monde. Le Covid l’a obligé à se claquemurer à Paris. Qu’importe ! Il prendra ses quartiers dans une luxueuse maison à Montmartre, louera un bateau mouche et, comme dans chacun de ses films, se croira obligé d’accompagner un scénario indigent d’un numéro de music-hall cacophonique.

Ses acteurs sont en roue libre. On les voit placer les deux lignes de texte qu’on leur a confiées et tenter, le reste de la prise, toujours un peu trop étirée, d’improviser tant bien que mal. Lelouch réussit même à rendre Sandrine Bonnaire, toujours si juste, mauvaise. C’est dire !

Il ressasse ad nauseam la même philosophie à deux balles qu’on croirait tout droit tirée d’un manuel de développement personnel : la vie est courte…. mais elle est belle…. et elle vaut d’être vécue à condition de la vivre en aimant. Soit ! Je me souviens que ces films-là – et ses idées là – m’enthousiasmaient quand j’étais jeune. J’avais adoré Les Uns et les Autres. J’avais adoré Itinéraire d’un enfant gâté. J’ai même ici défendu Chacun sa vie sorti en 2017 en écrivant avec emphase : « J’avoue un penchant coupable pour les films de Claude Lelouch. J’en aime l’énergie débordante, le romantisme échevelé, le rythme endiablé, les intrigues polyphoniques, la musique envahissante, les dérapages pas toujours contrôlés. J’ai pour eux une indulgence excessive qui me conduit fidèlement à les voir à leur sortie au cinéma alors que les spectateurs les boudent et la critique les ignore. »

Mais aujourd’hui, la coupe est pleine. Elle a débordé durant la scène où Gérard explique à Sandrine que les hommes aiment les putes, qui sont beaucoup moins compliquées que les femmes ordinaires. Des propos qu’on n’aurait pas imaginé entendre encore, sans rire, à l’ère post #MeToo.

L’amour c’est mieux que la vie est le film de trop. Est-ce le dernier ? Non. Il se présente le premier d’une trilogie. Espérons que les deux suivants le rachètent et offrent à Lelouch une sortie moins caricaturale.

La bande-annonce

Enquête sur un scandale d’Etat ★★★☆

À la tête de l’OCRTIS, l’office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, le commissaire Jacques Billard (Vincent Lindon) entend déployer une stratégie novatrice. Plutôt que de procéder à des saisies soi-disant record, sans effet de long terme sur les trafics, il entend pister les cargaisons, identifier tous les trafiquants et procéder à des interpellations massives pour décapiter les cartels.
Cette politique a un inconvénient : elle autorise, fût-ce temporairement, des importations massives, avec le risque qu’une partie de la drogue pistée échappe au contrôle et soit finalement écoulée.
C’est cette faille que pointe Hubert Antoine (Roschdy Zem), un informateur de l’OCTRIS devenu lanceur d’alerte. Il s’en ouvre à Stéphane Vilner (Pio Marmaï), un journaliste de Libération qui, après avoir recoupé les informations dont il dispose, décide, avec l’appui de sa rédaction, de publier le scoop.

J’étais allé à reculons à l’avant-première de Enquête sur un scandale d’Etat. Parce que rien ne m’horripile plus que cette expression, scandale d’Etat, utilisée ad nauseam dès qu’une mesure gouvernementale déplaît. Parce que je craignais de voir un énième polar consacré à des flics ripoux et/ou à des trafiquants troubles et/ou à des journalistes courageux.

La première heure de ce film qui en dure plus de deux confortait mes préjugés. Je n’y comprenais pas grand chose. Un dialogue sur deux m’échappait : la faute à ma surdité naissante ? Les plans séquences tremblotants risquent de donner le tournis aux plus migraineux.

Mais au bout d’une heure, les pièces du puzzle, lentement, s’assemblaient. Je découvrais alors un film rare, comme je n’en avais jamais vu. Une fiction filmée comme un documentaire. Thierry de Peretti, dont les deux premiers films ne laissaient pas présager le talent, invente une forme étonnante et séduisante : alors même que le texte est écrit à la virgule, qu’il est interprété par des acteurs connus, il donne, grâce au jeu des caméras et du montage, l’impression frappante de l’image volée, filmée en temps réel.

Autre qualité du film : son absence de manichéisme. Adapté du livre d’Emmanuel Fansten (le journaliste de Libération) et d’Hubert Avoine (l’informateur des Stups), il aurait pu – comme son titre d’ailleurs le laissait augurer – basculer dans le procès à charge, opposant le lanceur d’alerte vertueux au grand flic ripou. C’était le défaut de Gibraltar (l’histoire d’un aviseur des douanes françaises) et de L’Enquête (sur l’affaire Clearstream). Rien de tel ici où Thierry de Peretti a le mérite de maintenir la balance égale, ou, à tout le moins, de ne pas la faire outrancièrement pencher d’un seul côté : il ne tait rien des zones d’ombre d’Antoine/Avoine et donne la parole longuement, dans une scène de procès remarquable, à Billard/Thierry pour se défendre.

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Petite Solange ★☆☆☆

Solange a treize ans et la vie banale des pré-adolescentes de son âge dans la France d’aujourd’hui. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si le couple, en apparence si solide, formé par ses parents n’était pas en train de se fracturer. Son frère aîné, Romain, prend la tangente et quitte le foyer pour poursuivre ses études à Madrid, laissant la petite Solange seule face à ses questionnements.

Fille de parents divorcés dans les 80ies, Axelle Ropert revisite son adolescence dans ce quatrième film au sujet intemporel et aux relents autobiographiques assumés.  D’ailleurs son héroïne, fluette, timide et précoce lui ressemble un peu avec ses chemisiers trop sages. Son action se déroule à Nantes dont on reconnaît les paysages urbains filmés par Jacques Demy dans Lola ou dans Une chambre en ville.

Petite Solange est un film sensible qui raconte le divorce d’un couple à hauteur d’enfant. Le sujet n’est pas nouveau. Il a même été filmé plus souvent qu’à son tour : Kramer vs. Kramer, La Baule-les-pins, La Famille Tenenbaum, Faute d’amour, etc. et on ne voit pas trop ce que le traitement d’Axelle Ropert y apporte de nouveau. Son film, malgré ses indéniables qualités, malgré notamment l’interprétation remarquable de ses trois acteurs principaux, la révélation Jade Springer, le lunaire Philippe Katerine et la si juste Léa Drucker, se condamne à l’invisibilité.

La bande-annonce

H6 ★★☆☆

La documentariste franco-chinoise Ye Ye a planté sa caméra dans les couloirs de l’hôpital H6 de Shanghai, un des plus grands hôpitaux au monde qui accueille chaque année deux millions de malades. Elle y a suivi en particulier le sort de cinq patients : une gamine de trois ans à peine dont la main gauche a été écrasée par un autobus, une adolescente, les jambes brisées dans l’accident de voiture qui a coûté la vie à sa mère, un paysan devenu tétraplégique après avoir chuté d’un arbre, un clochard boiteux venu faire soigner son genou en soins de jour, une vieille femme quasi-inconsciente que son mari visite amoureusement chaque jour….

À tous ceux qui se plaignent de l’état de notre système de soins, il faudrait prescrire un voyage en Chine et un séjour à l’hôpital H6 de Shanghai ou bien le visionnage de cet éclairant documentaire. Certes, on n’y descend pas au septième cercle de l’Enfer. Les malades n’y sont pas abandonnés à leur sort. Ils sont traités dignement. Mais la façon dont ils sont entassés par dizaines dans une même salle commune, le bruit constant qui y règne contrastent avec l’environnement beaucoup plus serein de nos hôpitaux français, même obérés par l’austérité budgétaire.

Dans H6, il est constamment question d’argent. Argent pour financer l’opération de la dernière chance qui sauvera peut-être ce tétraplégique mais exigera à sa famille de vendre tous ses biens et de s’endetter. Argent que la compagnie de bus refuse de verser à la famille de cette gamine victime d’un accident de la circulation. Argent pour payer l’aide-soignante qui passe prodiguer aux patients les soins basiques que des infirmières débordées ne peuvent pas donner. Argent pour une coupe de cheveux négociée pied à pied….

Face au sempiternel défi d’avoir à rassembler cet argent qu’on leur réclame, les patients chinois et leur entourage font, c’est le cas de le dire, contre mauvaise fortune bon cœur. Ye Ye voulait filmer leur résilience, leur capacité à faire face aux coups du sort. Elle y parvient dans un documentaire qui, sans verser dans le sentimentalisme, émeut souvent.

Certes H6 ne nous offre pas, comme on pouvait l’espérer, une vue d’ensemble d’un hôpital, comme l’aurait filmée systématiquement Frederick Wiseman. La caméra reste du côté des patients et ne s’intéresse que brièvement à un rhumatologue un peu excentrique qu’elle suit dans sa séance de gymnastique quotidienne.

À défaut, H6 pourra concourir dans la catégorie des films aux titres les plus courts, juste derrière Z de Costa-Gavras et ex aequo avec E.T. de Spielberg.

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The Souvenir ★☆☆☆

Julie est une jeune étudiante en école de cinéma. Fille unique d’un couple déjà âgé de riches propriétaires terriens, elle habite un vaste duplex dans un des quartiers les plus huppés de Londres.
Julie s’éprend d’Anthony, un homme plus âgé qu’elle, qu’elle accueille dans son appartement et qui y vit bientôt à ses crochets. Anthony, qui prétend travailler au ministère anglais des affaires étrangères, se révèle être un mythomane et un héroïnomane.

The Souvenir est un film largement autobiographique tourné en 2019 par Joanna Hogg à partir d’un épisode tragique de sa jeunesse dans les années 80. Il est constitué de deux parties, presqu’autonomes, qui, comme leurs belles affiches, se font miroir. La première se focalise sur la liaison entre Julie et Anthony. La seconde raconte comment la jeune étudiante en cinéma fera de cet idylle tragique le sujet de son film de fin d’études.

Si l’on visionne ses deux parties à la suite l’une de l’autre, The Souvenir dure donc près de quatre heures. Ce n’est pas rien. Et c’est sans doute trop.

Certes, le film nous montre, dans sa seconde partie, sur un mode quasi documentaire, comment se tourne un film, quelles questions un jeune réalisateur, pas toujours préparé à le faire, doit trancher, quelles sourdes dissensions émergent dans l’équipe de tournage au point de la fissurer. Il interroge aussi l’écriture d’une fiction autobiographique, tiraillée entre deux impératifs parfois contradictoires : la fidélité aux faits tels qu’ils ses sont déroulés et leur paradoxal manque d’authenticité si on les rejoue tels quels devant la caméra.

Mais The Souvenir souffre d’un défaut rédhibitoire. L’histoire d’amour entre Julie et Anthony ne fonctionne pas. Ce n’est pas la faute des deux acteurs, l’un et l’autre excellents : la jeune Honor Swinton-Byrne (dont la mère à la ville, la célèbre Tilda Swinton, une amie de longue date de la réalisatrice Joanna Hogg, joue ici le propre rôle de sa mère à l’écran) est une révélation et Tom Burke est déjà un acteur confirmé (il interprétait le personnage de Orson Welles dans Mank). Mais aucune alchimie ne se dégage de leur couple disharmonieux. On ne voit pas, on ne comprend pas, ce que diable elle lui trouve. Alors, certes, la seconde partie du film éclaire les mystères de cette union contre-nature. En tournant son film, Julie doit s’interroger sur les raisons profondes de sa passion et en informer les acteurs qu’elle a choisis (on reconnaît la toujours juste Ariane Labed). Sans cette seconde partie, la première aurait été lugubre. Mais avec elle, elle n’en devient pas pour autant passionnante.

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