The Last Showgirl ★☆☆☆

Shelly, la cinquantaine bien entamée, danse depuis des années dans le même spectacle sur le Strand de Las Vegas. Passé de mode, il va s’arrêter laissant Kelly seule face à ses échecs : professionnel, familial, sentimental.

Il y a une quinzaine d’années, Darren Aronofsky donnait à la carrière de Mickey Rourke un second souffle en le filmant à nu dans The Wrestler, le visage défiguré par la chirurgie esthétique, le corps épuisé par les médicaments et l’alcool, et en faisant au passage une peinture sans concession du monde du catch et de ses coulisses.

C’est à la lettre la même recette qu’applique Gia Coppola, petite-fille de…, avec Pamela Anderson, sex-symbol mamelue et peroxydée d’Alerte à Malibu au monokini rouge devenu iconique. The Last Showgirl la filme sans concession et sans maquillage, à 57 ans, le visage et les mains ravinés de rides.

L’arrêt de la revue où elle a dansé quasiment tous les soirs pendant des dizaines d’années la laisse désemparée. Elle se présente vainement à une audition ; mais l’humiliation reçue lui montre qu’elle ne retrouvera jamais un travail de danseur. Elle n’a pas gagné grand-chose, a épargné moins encore et vit en colocation avec quelques collègues. Plus jeune, elle avait sacrifié à sa carrière l’éducation de sa fille et peine à renouer avec elle une relation dégradée. Le père de l’enfant, dont l’identité ne lui a jamais été révélée, est le régisseur, plein d’empathie, de son show : mais l’espoir un temps caressé de reprendre cette relation est vite déçu.

On aurait mauvaise grâce de dire que le film ne touche pas juste dans son portrait doux-amer d’une femme à bout de souffle. Mais il emprunte des chemins trop balisés pour surprendre. Et ce n’est pas ses lumières diffractées qui lui confèrent une modernité qu’il n’a pas.

The Last Showgirl aura-t-il sur la carrière de Pamela Anderson le même effet que The Wrestler sur celle de Mickey Rourke ? On le lui souhaite même si la vérité oblige à dire qu’elle n’a jamais été une aussi grande actrice que lui.

La bande-annonce

Reine mère ★★☆☆

Au début des années 90, en banlieue parisienne, Mouna est élève en CM2 dans une école privée catholique. Sa mère Amel (Camélia Jordana) est une immigrée tunisienne qui vit mal son déclassement social. Son père Amor (Sofiane Zermani), immigré algérien, fait le dos rond.Quand leur propriétaire dénonce leur bail, Amel est face à un dilemme : déménager dans un HLM ? ou accepter le travail qu’elle avait jusqu’alors refusé pour augmenter les revenus du couple ?

Manele Labidi avait signé un premier film enthousiasmant, Un divan à Tunis, avec l’excellente Golshifteh Farahani dans le rôle d’une psychiatre binationale qui décide de se réinstaller en Tunisie pour y exercer la profession qu’elle a apprise en France.

Quatre ans plus tard, la réalisatrice franco-tunisienne née à Paris en 1982, signe un film dont on imagine volontiers la part d’autobiographie qu’il comprend.

Camélia Jordana y interprète un rôle qui rappelle ceux, récemment remis au goût du jour par Il reste encore demain, des mammas italiennes des grandes années : Anna Magnani, Sophia Loren… Solaire, forte en gueule, débordante d’amour pour ses enfants, elle est impériale. Elle aurait pu éclipser son époux, interprété avec beaucoup de délicatesse par Sofiane Zermani qu’on avait remarqué dans Barbès, Little Algérie et dans La Vénus d’argent.

Mais le personnage principal du film reste Mouna, double autobiographique à peine masqué de la réalisatrice. C’est autour d’elle que l’histoire s’organise et c’est par ses yeux qu’elle est racontée. Pour soigner son mal-être identitaire, Mouna s’est inventé un ami imaginaire. Damien Bonnard s’est beaucoup amusé en se glissant dans le personnage de… Charles Martel, au risque de donner à ce film un tour loufoque qui le fait sortir de son lit.

Pas plus tard que mardi dernier, j’évoquais, dans ma critique de Dans la cuisine des Nguyen, les films, nombreux, à raconter l’intégration, pas toujours facile, des enfants de la seconde génération d’immigrés maghrébins. Ce film-ci vient se rajouter à cette longue liste dans laquelle figurent déjà Le Thé au harem d’AchimèdeLe Gone du Chaâba ou La Graine et le Mulet. Il n’y occupera pas une place inoubliable. Mais il n’en constitue pas moins un film attachant et plein de charme.

La bande-annonce

Bonjour l’asile ★☆☆☆

Elisa (Judith Davis) quitte Paris le temps d’un week-end pour retrouver sa vieille amie Elisa (Claire Dumas) partie s’installer à la campagne avec son mari et ses trois enfants. Tout proche, un ancien hôpital psychiatrique transformé en ZAD accueille des locataires de passage. Il est menacé d’expropriation par un couple d’entrepreneurs sans scrupules.

On avait découvert Judith Davis il y a plus de six ans dans Tout ce qu’il me reste de la révolution sur l’héritage laissé par la génération de mai 68 et on était resté sans nouvelles d’elle depuis. On la retrouve, inchangée, dans un second film qui pourrait être la suite ou le prologue du premier. Son ton, son ambiance, son sujet qui interroge notre société et ses choix politiques m’ont rappelé Les Barbares de July Delpy sorti l’automne dernier.

Le duo formé par Judith Davis et Claire Dumas – qui reprend à l’identique celui qu’elles formaient déjà dans Tout ce qu’il me reste… – y est particulièrement convaincant. Leurs deux personnages interrogent, avec Maxence Tual qui interprète le conjoint d’Elisa, la place des femmes dans la société contemporaine, leur autonomie revendiquée, l’égale répartition des tâches ménagères.

De même, Bonjour l’asile nous fait pénétrer dans un lieu à part, peuplé d’inoffensifs frappadingues, sur un mode à mi-chemin de la comédie grinçante façon Problemos (la comédie à succès de Eric Judor qui tournait en dérision les mouvements écologistes radicaux) et du documentaire empathique.

Ces deux fils narratifs auraient suffi au succès du film. Mais Bonjour l’asile a la mauvaise idée de lui en rajouter un troisième : un couple d’entrepreneurs sans scrupules qui a décidé de transformer ce tiers-lieu en complexe hôtelier cinq étoiles. Ce couple outrancièrement interprété par Mélanie Bestel et Nadir Legrand fait tomber le film dans le grand n’importe quoi. Dommage…

La bande-annonce

La Convocation ☆☆☆☆

Elisabeth est convoquée à l’école de son fils, Armand, six ans. Sarah et Anders accusent l’enfant d’avoir agressé leur fils Jon. La maîtresse des deux enfants est une jeune institutrice inexpérimentée et pleine de bonnes intentions qui essaie d’assurer une médiation entre les trois adultes. Vite dépassée par leur hostilité, elle passe le relais au directeur de l’école.

L’âge venant, je développe une fâcheuse tendance au radotage. Ma critique ce matin va suivre la même construction que celle d’hier – et que celle de tant d’autres avant elle.

Je vais commencer par dire que j’attendais beaucoup de ce film norvégien, réalisé par le petit-fils d’Ingmar Bergman et de Liv Ullman, auréolé de la Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, interprété par la révélation de Julie (en 12 chapitres) et dont la bande-annonce avait excité ma curiosité. Quels faits mystérieux ont provoqué la « convocation » (c’est le titre français de l’original Armand) de la mère du garçonnet ? quel conflit va se nouer entre les parents et le corps enseignant ? comment va-t-il se résoudre ?

Je vais ensuite ronchonner en regrettant que mes attentes aient été lourdement déçues. En effet, La Convocation se réduit vite à un face-à-face très plat entre deux positions irréductibles. D’un côté celle de Sarah, la mère de Jon : mon fils a été agressé et l’école doit prendre au sérieux cette affaire (mais, on ne comprend pas ce que la mère de Jon attend : des excuses ? une réparation ? l’exclusion définitive d’Armand ? le retrait de la garde de sa mère ?). De l’autre le déni d’Elisabeth, la mère d’Armand : mon fils n’est pas capable et donc pas coupable de ce dont vous l’accusez.

Ce face-à-face stérile est interrompu par des pauses pipi qui sont l’occasion d’autant de tête-à-tête entre les différents protagonistes : entre Elisabeth et Sarah dont on apprend qu’elle est sa belle-soeur, entre Sarah et Anders qui se révèlent pas si unis que ça autour de la défense de leur fils, entre Elisabeth et le directeur de l’école qui fut, jadis, son propre enseignant. Il est également interrompu par le déclenchement inopiné de l’alarme incendie de l’école et le fou-rire nerveux qu’elle provoque chez Elisabeth. L’événement serait cocasse s’il ne s’étirait pas interminablement pendant une dizaine de minutes, semant malaise et consternation parmi les participants de la réunion… et les spectateurs du film.

Mais il y a pire encore. Le comble est atteint dans le tiers du film qui, de façon impromptue, verse dans le délire onirique. On y voit, sans y rien comprendre, avant un épilogue qui nous ramène à la réalité, Elisabeth embarquée dans un sabbat démoniaque et muet.

Il est temps de clore ce coup de gueule en évoquant un autre film qui, sur le même sujet, m’avait autrement convaincu. Il s’agissait, l’an dernier, de l’allemand La Salle des profs, qui, avec un sens du scénario autrement plus maîtrisé, interrogeait dans le huis clos d’un collège les notions de justice, de culpabilité, de faute, de pardon…

La bande-annonce

The Insider ★☆☆☆

George Woodhouse (Michael Fassbender) et sa femme Kathryn (Cate Blanchett) travaillent ensemble dans un service de contre-espionnage britannique dirigé par Arthur Stieglitz (Pierce Brosnan). George est chargé d’identifier une taupe. Sa propre femme figure parmi les suspects potentiels.

Alternant avec un talent fou les petits films quasi-expérimentaux (Presence sorti le mois dernier) et les blockbusters (la trilogie des OceanMagic Mike…), Steven Soderbergh nous appâte avec un film d’espionnage à la distribution cinq étoiles. Cate Blanchett – figée par le botox dans une beauté marmoréenne hors d’âge – et Michael Fassbender – plus glacial que jamais – en haut de l’affiche y côtoient l’ex-James Bond Pierce Brosnan et la nouvelle Miss Moneypenny Naomie Harris.

Le film aurait pu s’appeler Sexe, Mensonges et Vidéo si le titre n’avait pas déjà été utilisé. Les distributeurs français ont choisi, Dieu sait pourquoi, The Insider. Ce titre n’a aucun sens, qui met le projecteur sur un seul personnage alors que le film est choral. Le titre original, Black Bag, aurait parfaitement fait l’affaire et on ne comprend pas pourquoi on est allé lui chercher une vraie fausse traduction.

Sa bande-annonce m’avait mis l’eau à la bouche. Hélas j’ai été cruellement déçu. Je suis loin d’être suffisamment intelligent pour avoir compris l’intrigue terriblement compliquée  qui gravite autour d’un virus informatique détourné par un colonel russe en rupture de ban pour faire exploser une centrale nucléaire et destabiliser le locataire du Kremlin.

Sans doute le vrai sujet du film se situe-t-il ailleurs. La chasse à la taupe est un prétexte pour disséquer le couple, la confiance qui le soude, les petits mensonges qui le minent. Mais hélas, ce jeu du chat et de la souris auquel se livrent nos deux héros et les deux autres couples qu’ils convient à leur table devient vite trop littéraire, trop bavard et trop subtil pour mon petit cerveau étriqué, qui avait prévu un divertissement facile façon James Bond et s’est retrouvé sans préavis en face d’un huis clos étouffant façon Cris et Chuchotements.

La bande-annonce

Parthenope ★☆☆☆

Parthenope est née sur les bords de la Méditerranée, à Naples, au sein d’une famille fortunée, au début des années 50. Elle y passera sa vie.

La Grande Bellezza avait eu un tel succès que Paolo Sorrentino essaie de refaire pour Naples ce qu’il avait réalisé pour Rome : un film qui en capte l’essence et qui ralliera tous ceux – et ils sont nombreux – qui sont amoureux de la cité parthénopéenne. Car, à ceux qui, comme moi, l’ignoraient, ce film aura eu au moins le mérite de nous apprendre que Parthenope était le nom de la colonie grecque qui donna naissance à Naples.

Hélas, ce qui a marché une fois ne fonctionne pas deux. Comme sa bande-annonce le laissait augurer, qui ressemblait plus à une publicité pour Dior qu’à la bande-annonce d’un film, Parthenope s’égare dans ses belles images et dans la contemplation masturbatoire de sa splendide héroïne, l’ancienne mannequin Celeste Dalla Porta.

Le film raconte moins une histoire qu’il ne met en scène une série de rencontres. Avec John Cheever (Gary Oldman), le célèbre romancier américain dont Parthenope dévore tous les romans et qui finit sa vie à Capri. Avec une professeure de théâtre obsédée par son image. Avec une ancienne diva qui professe un mépris souverain pour sa ville de naissance. Avec un professeur d’anthropologie dont Parthenope fera à la fois son père de substitution et son mentor. Avec un mafieux terriblement séduisant. Avec un évêque ambitieux et libidineux… Le tout sur fond d’une musique envahissante qui fait alterner les grands airs classiques aux tubes dégoulinants de la pop italienne (les fans de Richard Cocciante – s’il en existe encore – en auront pour leur argent)

Ces rencontres sont autant de courtes saynètes qui, prises isolément, ont leur intérêt (la scène avec le mafieux est malaisante à souhait, l’évêque ne se laisse pas oublier de sitôt) ; mais, mises bout à bout, elles ne font pas grand sens. On aurait pu en rajouter quelques unes, en ôter quelques autres, sans que l’architecture de l’ensemble en soit modifiée. Parthenope reste identique à elle-même, n’évolue pas, clouée au drame séminal qui a endeuillé la fin de son adolescence.

L’autre reproche que je ferai à Parthenope est d’être un film sur Naples qui ne nous en montre presque rien sinon quelques rares vues du Vésuve ou de Capri, du Castell dell’Ovo ou de la Galleria Umberto I. Je n’exclus pas dans mon reproche une part de mauvaise foi : si on en avait plus vu, j’aurais peut-être regretté une imagerie de carte postale. Mais l’attrait de Naples étant le ressort puissant qui m’avait donné envie de voir ce film, j’en suis ressorti bien frustré.

La bande-annonce

Dans la cuisine des Nguyen ★★☆☆

Yvonne Nguyen nourrit depuis son enfance un seul rêve : devenir une actrice de comédie musicale. Mais ses traits asiatiques l’ont jusqu’à présent cantonnée (!) dans des rôles de figuration ou dans des animations dans des supermarchés. Sa mère, chez qui elle se réinstalle après une rupture amoureuse, a la dent dure avec elle. Loin de la soutenir dans sa carrière artistique, elle ne lui voit qu’un seul avenir : reprendre le restaurant familial.

Dans la cuisine des Nguyen est un film particulièrement intéressant à deux titres.

Le premier est de s’intéresser à une minorité française méconnue et à ses rêves d’intégration : la minorité vietnamienne. Alors que le cinéma s’est depuis longtemps emparé de l’intégration des immigrés arabes (Le Thé au harem d’Achimède, La Graine et le Mulet) ou noirs (La Première EtoileTout simplement noir), rien à ma connaissance n’avait été tourné sur celle des immigrés asiatiques – sinon, s’agissant de la prostitution chinoise à Paris, le très confidentiel Les Fleurs amères.

On imagine volontiers que Stéphane Ly-Cuong, lui même d’origine vietnamienne (il vient de co-signer le scénario de l’adaptation de Hiver à Sokcho qu’un figurant lit dans le métro dans une scène du début du film) s’est inspiré d’anecdotes personnelles pour nourrir son film : la place centrale donnée à la gastronomie, l’éthique confucéenne qui inspire à la fois le respect des anciens et la priorité donnée au travail, le goût pour le karaoké. Ses valeurs s’incarnent dans le personnage de la mère d’Yvonne, à la fois si dure avec sa fille et si aimante, dans celui de sa tante, qui a repris avec sa mère l’exploitation du restaurant familial et aussi dans celui de son cousin Georges, homosexuel dans le placard.

Cette sociologie très fine de la diaspora vietnamienne se double d’une critique sardonique des comédies musicales, de leurs thèmes historiques éculés (Jeanne d’Arc, Marie-Antoinette….), de leur kitsch assumé… L’ironie est que cette critique des comédies musicales est elle-même une comédie musicale, Dans la cuisine des Nguyen prenant le parti, festif et joyeux, de la comédie populaire.

Certes, le résultat n’est pas toujours bien joué, pas toujours très fin. On est plus proche du téléfilm à grande audience que du cinéma d’auteur. Mais, le sujet traité est suffisamment original pour mériter le détour.

La bande-annonce

L’Énigme Velázquez ★★☆☆

Velázquez occupe dans l’histoire de la peinture une place originale. Il est universellement reconnu comme l’un des plus grands peintres qui soient ; mais il est relativement oublié. C’est à cette énigme que s’attaque Stéphane Sorlat avec le dernier volet d’un triptyque dont il avait produit les deux premiers : Le Mystère Jérôme Bosch en 2016 et L’Ombre de Goya en 2022.

Son documentaire est d’une facture très classique. On y entend en voix off Vincent Lindon, au timbre reconnaissable entre mille. On y voit des conservateurs, des critiques d’art ou des artistes (parmi lesquels mes amis Isabel Coixet et Guillaume Kientz #Namedropping) analyser l’oeuvre de Velázquez. On y voit surtout les peintures du maître, dont la caméra scrute les moindres détails. Les Ménines – analysé par Foucaut comme une subversion et revisité par Picasso – a droit à la place qu’il mérite : cette oeuvre étonnante renverse, on le sait, la perspective, nous mettant à la place du couple royal dont le peintre est en train de faire le portrait devant leurs enfants amusés.

L’Énigme Velázquez ne révolutionnera pas le cinéma. Pas sûr qu’il vaille la peine d’aller le voir en salles. L’offrir à ses beaux-parents ou à ses petits-enfants, s’ils manifestent une velléité de s’orienter vers les Beaux-Arts, en coffret DVD avec Bosch et Goya à Noël, devrait faire l’affaire. Il n’en reste pas moins l’occasion d’une découverte intelligente et sensible d’un des peintres les plus marquants de l’histoire de l’art.

La bande-annonce

Queer ★☆☆☆

Héroïnomane invétéré, William Lee, double autobiographique de William Burroughs, a quitté les Etats-Unis pour le Mexique où il peut consommer sans crainte de la police. Homosexuel revendiqué, il tombe sous le charme d’Eugene Allerton, un jeune éphèbe à l’identité sexuelle encore indécise. Le couple décide d’aller visiter l’Amérique du sud et de s’enfoncer dans la jungle amazonienne, à la recherche du yagé, une plante hallucinogène.

Auréolé du succès de ses films précédents, et notamment de Call Me by Your Name qui a fait de lui une icône gay, l’Italien Luca Guadagnino s’attaque à un monument de la littérature. L’œuvre de William Burroughs, qu’on disait inadaptable, a déjà été portée à l’écran par David Cronenberg dans un film devenu culte, Le Festin nu.

Parce que j’ai vu récemment le film de Cronenberg, je l’avais constamment à l’esprit pendant ce Queer. J’ai retrouvé dans Queer le même scénario organisé – comme le sont les livres de Burroughs – en chapitres très différents les uns des autres, la même insertion de scènes oniriques censées retranscrire les rêves et les cauchemars de son héros sous substance, la même tendance à l’esthétisation.

Il faut reconnaître que les décors de Queer sont particulièrement réussis. Le film a été tourné en studio à Cinecitta avec des décors en carton pâte, volontairement artificiels, qui donnent à l’image une saveur originale. Mais c’est là la seule qualité d’un film qui, pour le reste, m’a déplu.

Je n’ai pas trouvé particulièrement transgressive l’interprétation de Daniel Craig. On imagine que les producteurs, en recrutant la star hypertestostéronée des James Bond, ont voulu défier les canons de la virilité. Le procédé fait pschitt : Daniel Craig décidément moins beau que dans mon souvenir [je n’exclus pas que la jalousie me fasse parler], affublé d’une coiffure improbable, est pathétique dans le rôle d’un amoureux transi. Son compagnon, interprété par Drew Starkey, se contente d’être beau – et il l’est certes, plus qu’à son tour. Les scènes de sexe sont crues ; mais les producteurs se sont bien gardés de franchir la ligne rouge qui les aurait exposés aux foudres (avec un d) de la censure.

Le film, interminable, dure plus de deux heures. Il contient vers la toute fin une scène dont on fait grand cas, d’une grande beauté plastique. Hélas, ma patience avait cédé depuis longtemps pour me permettre de l’apprécier à sa juste mesure.

La bande-annonce

Mémoires d’un corps brûlant ★★☆☆

Huit femmes latino-américaines du troisième âge témoignent, sous couvert de l’anonymat, de leurs vies cabossées : l’enfance auprès de parents conservateurs qui ne leur disent rien de la puberté, les premières règles, le mariage, encore vierges, et leurs premiers rapports sexuels plus douloureux qu’agréables avec un conjoint égoïste préoccupé de son seul plaisir, la maternité, la fierté de donner la vie mais aussi l’abrutissement que l’éducation d’un nouveau-né entraîne, une vie conjugale sans amour auprès d’un mari parfois violent, le divorce et enfin, quand on ne l’attendait plus, l’apprentissage de la liberté et la découverte, à cinquante ans passés, du plaisir sexuel.

Ce film relève un défi cinématographique : comment filmer ce récit choral ? Le parti de la réalisatrice costaricaine Antonella Sudasassi, dont le premier long-métrage n’était pas sorti dans les salles françaises, est audacieux. Elle choisit le huis clos : un seul appartement où se déroule toute la vie des femmes qui se racontent, successivement interprétées aux quatre âges de leur vie par quatre actrices, qui se croisent et s’entrecroisent dans de longs plans muets expliqués par leurs voix off. Ainsi présenté, le dispositif peut sembler incompréhensible ou à tout le moins étrange. Le résultat, au contraire, est d’une grande fluidité.

Bien sûr ces témoignages sont poignants qui dénoncent le poids du patriarcat, les violences physiques et psychologiques faites à ces femmes, leur admirable résilience. On aurait un cœur de pierre – et une conscience politique bien mal affûtée – si on ne s’en émouvait pas. Pour autant, le récit que ces Mémoires déroulent est hélas d’une si grande banalité et a déjà été si souvent raconté qu’il n’apporte pas grand-chose.

La bande-annonce