Remember Me (2010) ★★☆☆

Ally (Emilie De Ravin) a vu mourir sous ses yeux sa mère, assassinée en 1991 sur un quai de métro. Devenue dix ans plus tard une ravissante étudiante, elle est couvée par son père (Chris Cooper), officier de la police new yorkaise.
Tyler (Robert Pattinson) a lui aussi été traumatisé par un drame familial : le suicide de son frère aîné Michael qui a fait voler en éclat sa famille. Sa mère (Lena Olin) s’est remariée ; son père (Pierce Brosnan), brillant avocat à Wall Street, affiche pour lui et pour sa sœur cadette, une artiste géniale et précoce, une hostilité que Tyler n’accepte pas.

Il y a deux façons de considérer Remember Me.
La première, qui domine pendant presque la totalité du film, est d’y voir une aimable bluette un peu pataude destinée aux admiratrices adolescentes en pâmoison devant Robert Pattinson, le héros de Twilight, à qui on a adjoint, pour faire bonne mesure, la jolie actrice australienne révélée par Lost, Emilie De Ravin. Cette bluette raconte à la fois l’histoire d’amour, prévisible, qui se tisse entre les deux héros et la réconciliation, qui l’est presqu’autant, de chacun d’eux avec leur père respectif.

Mais il y en a une autre qui se révèle à l’extrême fin de l’histoire. Elle est surprenante pour ce genre de films qu’on imaginait beaucoup plus conventionnel et dont on attendait un happy end convenu. Annoncée par quelques indices ténus éparpillés de-ci et de-là, elle donne tout son sens au titre du film. J’en ai déjà trop dit en évoquant l’existence de ce twist final. Je n’en révèlerai pas le contenu glaçant.

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El Camino : Un film Breaking Bad ★☆☆☆

Qu’est-il arrivé à Jesse Pinkman (Aaron Paul) après l’ultime et épique épisode de Breaking Bad ? Tel est l’objet de ce film de deux heures qui se présente comme une suite – ou comme un épilogue – de la série de soixante-deux épisodes qui, pendant cinq saisons, de 2008 à 2013, nous tint en haleine.
On y retrouve Jesse, le petit dealer que s’était adjoint Walter White alias Heisenberg, le professeur de chimie d’Albuquerque reconverti en baron de la drogue.

El Camino – du nom de la voiture qu’il conduisait pendant les saisons précédentes – raconte sa fuite désespérée. Il est entrelardé de flashbacks qu’il serait délicat de raconter sans dévoiler à la fois les ressorts de ce film et ceux de la célèbre série et la façon dont elle s’est tragiquement conclue.

On y retrouve quelques uns des principaux protagonistes de la série, à commencer par Bryan Cranston (qui a pris un coup de vieux malgré le maquillage), Jonathan Banks (qui joue Mike, le tueur à gages) et Jesse Plemons dans le rôle de Todd, le psychopathe. On aurait bien aimé en voir quelques autres, auxquels on s’était particulièrement attaché : je pense à Skyler, la femme de Walter White, à son fils handicapé Walter Jr. et bien sûr à Saul Goodman qui a eu droit, on le sait, à sa propre série dérivée Better Call Saul.

Il est difficile de regarder El Calmino sans avoir vu Breaking Bad et sans en avoir gardé un souvenir pas trop effacé par les ans. C’est à la fois la force et la faiblesse de ce film qui joue sur la nostalgie des spectateurs mais dont la raison d’être – capitaliser sur le succès de Breaking Bad – est un peu trop grossière pour être tout à fait honnête.

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Le Corps de mon ennemi (1976) ★★★☆

François Leclercq (Jean-Paul Belmondo) vient de purger une peine de sept ans de prison pour un double meurtre dont il est innocent. Il revient à Cournai, une grande ville ouvrière du nord de la France, sur les lieux du crime, pour démasquer le coupable. Ce retour teinté de nostalgie est l’occasion de retrouver tour à tour chacun des protagonistes de son passé.
Jeune homme d’origine modeste, Leclercq avait séduit une riche héritière, Gilberte Beaumont-Liégard (Marie-France Pisier) dont le père (Bernard Blier) tenait la ville en coupe réglée, avant de devenir le directeur d’une boîte de nuit où se déroulaient à son insu des trafics louches.

Netflix propose à ses abonnés une dizaine de films de Belmondo. Vu de Los Gatos, Bébel est peut-être une star immortelle du cinéma français. Vu de France, c’est nettement moins le cas. Son sex appeal ne fait plus se pâmer un sexe qui n’est plus faible. Ses cascades ne font plus trembler des spectateurs qui depuis Tom Cruise et Harrison Ford en ont vu bien d’autres.

J’avais vu sur Netflix il y a quelques semaines Stavisky qui m’intéressait parce qu’il était l’œuvre de Alain Resnais et qu’il racontait un épisode célèbre de l’histoire de la IIIème République. J’ai déjà écrit ici le mal que j’ai pensé de ce film vieillot et vieilli.

Je n’attendais pas mieux de cette sixième collaboration entre Jean-Paul Belmondo et Henri Verneuil (il y en aura encore une dernière en 1984, Les Morfalous, que je vis dans la petite salle de cinéma de mon village et dont une réplique de Marie Laforêt me fait encore hoqueter de rire). Circonstance aggravante, il s’agit de l’adaptation d’un roman de Félicien Marceau, un académicien qui a laissé le souvenir d’un romancier conservateur sinon réactionnaire.

Très bizarrement, la mayonnaise prend. Et quarante-cinq ans après, elle n’a pas tourné.
Le récit oscille sans jamais perdre l’équilibre entre l’enquête policière et la chronique de la vie provinciale. Eût-il été plus sardonique, on se serait cru chez Chabrol. Belmondo fait du Bébel, monte les escaliers quatre à quatre, dévoile des pectoraux avantageux (j’ai pensé à Olivier Véran), fume après l’amour – qu’il fait sans qu’on en voit rien bien sûr. Marie-France Pisier y a la beauté du diable – et on pense avec déchirement à la déchéance dans laquelle l’alcool et ses déboires familiaux l’avaient fait tomber à la fin de sa vie jusqu’à sa mort dans sa piscine de Saint-Cyr-sur-Mer. On prend plaisir à retrouver tout un tas de seconds rôles, des plus jeunes (Nicole Garcia, Bernard-Pierre Donnadieu…) aux plus anciens (Daniel Ivernel, François Perrot, Charles Gérard…).

Même si le film dépasse les deux heures et se perd dans des circonvolutions parfois inutiles, on ne regarde pas sa montre et on se surprend à se laisser séduire au plaisir suranné et régressif de ce spectacle d’un autre âge.

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What Happened, Miss Simone? ★★☆☆

Nina Simone fut sans doute l’une des plus grandes chanteuses de jazz. On lui doit quelques uns des standards les plus connus du siècle dernier : My Baby Just Cares for Me, Don’t Let Me Be Misunderstood, I Put a Spell on You… Mais ce fut aussi une rebelle, victime du racisme et des violences conjugales, atteinte de troubles bipolaires tardivement diagnostiqués, qui s’engagea sans retenue dans la lutte contre les discriminations  au risque de compromettre sa carrière.
En 2015, Netflix qui n’était pas encore l’immense plateforme qu’elle allait devenir, avait fait beaucoup de publicité autour de la sortie de ce documentaire. Le confinement et le tarissement rapide d’un catalogue de films, que je trouve moins riche que je l’escomptais, me permettent de le découvrir tardivement.

Très classiquement, What Happened, Miss Simone? raconte l’histoire d’une vie. Celle d’une enfant de Caroline du nord qui rêvait de devenir la première pianiste classique noire. Elle ne réalisa pas ce rêve (la légende veut qu’elle ait été refusée par l’Institut Curtis à raison de sa race, accusation dont se défend l’institut qui invoque la présence parmi ses élèves de jeunes pianistes de couleur) ; mais elle fit mieux et devint immensément célèbre par d’autres voies.

Elle joua d’abord dans des bars, à Atlantic City puis à New York pour financer ses cours de piano. En 1957, elle enregistre I Loves You, Porgy de Gershwin qui devient un succès du box office. Sa carrière est lancée. Un ancien officier de la brigade des mœurs, Andrew Stroud,  y veille, qui devient son agent puis son mari et le père de sa fille.

Mais à partir de la fin des années soixante, Nina Simone se radicalise. Elle prend une part de plus en plus active dans le combat pour les droits civiques, n’hésitant pas à afficher sa sympathie avec les militants les plus violents de la cause. Elle ne supporte plus le « système » qu’elle accuse de tous les maux. Elle refuse la logique du show business, quitte les Etats-Unis pour la Barbade, puis pour le Libéria et enfin pour la France, ne consentant à remonter sur scène que lorsque sa situation financière l’y accule.

What Happened, Miss Simone? remplit honnêtement son cahier des charges en racontant la vie de la chanteuse et  en nous en faisant écouter les titres les plus connus (on regrette l’absence de son interprétation déchirante du Ne me quitte pas de Brel). Il effleure une question à laquelle il ne répond pas et à laquelle il n’y a peut-être pas de réponse : Nina Simone a-t-elle sombré dans la rébellion paranoïaque à l’ordre américain à cause de ses antécédents médicaux ? ou bien sa prise de conscience du racisme structurel qui gangrène les Etats-Unis a-t-elle eu raison de son équilibre mental et de sa santé physique ?

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La Fille du RER (2009) ★☆☆☆

Jeanne (Emilie Duquenne) est orpheline de père. Elle vit avec sa mère Louise (Catherine Deneuve) dans un modeste pavillon de la banlieue parisienne. Sans emploi, elle rencontre Franck (Nicolas Duvauchelle), un sportif séduisant hélas mêlé à de louches combines qui sera bientôt victime d’une agression.
Plus jeune, Louise avait été courtisée par Samuel Bleistein (Michel Blanc) devenu depuis un avocat célèbre. Samuel a un fils Alex (Mathieu Demy), sur le point de divorcer de son épouse (Ronit Elkabetz), et un petit-fils Nathan.
Le jour où Jeanne simule une agression antisémite dans le RER, vite montée en épingle dans les médias, c’est vers Samuel que Louise se tourne pour la conseiller et la défendre.

Un fait divers avait fait sensation en juillet 2004. Une jeune femme, lacérée de coups de couteaux, le ventre tagué de trois croix gammées, avait porté plainte au commissariat d’Aubervilliers. Elle affirmait avoir été attaquée dans le RER D par une bande de six jeunes de banlieue sans susciter de réactions des autres voyageurs. L’information, relayée par l’Agence France presse, enflamma l’opinion publique et la classe politique. Le Monde, Le Figaro, Libération firent leur une sur la résurgence de l’antisémitisme, la violence des « nazis de banlieue » maghrébins et africains et « l’odieuse passivité » des autres voyageurs. Mais deux jours plus tard, la jeune femme avoua à la police avoir tout inventé pour attirer l’attention de son compagnon. Elle fut condamnée à quatre mois de prison avec sursis et à une obligation de soins pour « dénonciation de crime imaginaire ».

André Téchiné adapte la pièce de théâtre, RER, que Jean-Marie Besset avait tiré des faits. Deux options s’offraient à lui. Il écarte la première : il ne dira quasiment rien de l’emballement médiatique suscité par le faux témoignage de la jeune femme – ni du mea culpa piteux auquel la révélation de la vérité a obligé les rédactions quelques jours plus tard. Il se concentrera sur la pseudo-victime et sur son entourage proche.

Ce parti pris n’est en rien critiquable. La question que soulève cette affaire est en effet fascinante : comment une jeune femme de vingt-trois ans peut-elle en arriver à simuler une telle agression ? Hélas, l’option retenue par André Téchiné pour y répondre déconcerte. Au lieu de se focaliser sur son héroïne, au lieu de traquer dans son histoire, dans son comportement, les motifs de son geste, le réalisateur – qui comme dans chacun de ses films cosigne le scénario – noie son héroïne dans une foule de caractères parasitaires et d’intrigues secondaires. Particulièrement inutile apparaît l’histoire de Samuel Bleistein, de son fils, de sa belle-fille et de son petit-fils, qui occupe pourtant un bon tiers du film.

Il aurait fallu ne pas lâcher d’une semelle Jeanne, interroger chacun des petits mensonges avec lesquels elle se plaisait à enjoliver sa vie, scruter le point de bascule où ces petits mensonges vont se muer en un plus gros, comprendre pourquoi elle utilise le ressort, diablement explosif, de l’antisémitisme (on la voit seulement verser une larme devant un documentaire sur la Shoah). Faute de n’en rien faire, La Fille du RER, malgré la qualité de sa distribution plaqué or, se condamne à rester à la surface des choses et des êtres.

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40 ans, toujours dans le flow ★★☆☆

Radha Blank est en pleine crise de la quarantaine. Voilà plus de dix ans qu’elle n’a pas réussi à concrétiser les espoirs que ses premières œuvres théâtrales avaient fait naître malgré les efforts que déploie son agent et ami d’enfance. Célibataire, en surpoids, elle vit à Harlem dans un appartement exigu et peine à faire le deuil de sa mère qui vient de mourir. La production de sa prochaine pièce l’oblige à des compromis auxquels elle se refuse. En attendant, elle vivote en donnant des cours de théâtre dans un lycée dont les élèves lui mènent la vie dure.

L’autobiographie de l’auteur en proie au doute créatif est un genre éculé. C’est, tout bien considéré, assez logique : les auteurs qui cherchent désespérément un sujet d’inspiration finissent tous immanquablement par écrire sur leur expérience immédiate de l’angoisse de la page blanche. C’est aussi un genre dangereux qui court les risques alternatifs ou cumulatifs du nombrilisme, de la complaisance et de l’insignifiance : quoi de plus égocentrique et de plus ennuyeux qu’un auteur en train de raconter le vide de sa vie ?

Radha Blank parvient avec beaucoup de pudeur à éviter ces embûches.
Certes son autobiographie ne bouleverse pas les canons du genre et ne réserve guère de surprises. Comme on s’y attendait, il n’y a pas un plan qui ne la montre, seule chez elle, sur le chemin de son lycée, avec ses élèves, en compagnie de son agent ou bien encore durant les répétitions de sa pièce. Son omniprésence pourtant n’est pas envahissante ; car elle fait preuve de tant d’humour, de tant de lucidité qu’on ne peut très vite que s’attacher à elle. Les dialogues sont ciselés. Aucun ne provoque d’éclat de rire ; mais tous font naître une émotion.

Tourné dans un noir et blanc velouté, en 35mm, 40 ans, toujours dans le flow (traduction calamiteuse de The Forty-Year-Old Version) se déroule à Harlem, dans le nord de Manhattan. Il réussit le pari paradoxal de filmer New York avec élégance sans en montrer aucun des clichés caractéristiques.

L’autobiographie de Radha Blank est aussi l’histoire d’une hésitation et d’une bifurcation : Radha continuera-t-elle à écrire des pièces de théâtre en usant jusqu’à la corde des sujets qu’elle et d’autres ont déjà explorés ? ou osera-t-elle avec le beau D, malgré leur différence d’âge, slamer ses textes sur une musique de rap ? La conclusion est sans surprise ; mais elle sonnera comme un message d’espoir pour tous ceux qui traversent la crise de la quarantaine en désespérant de se réinventer.

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JC comme Jésus Christ (2011) ★☆☆☆

Jean-Christophe Kern (Vincent Lacoste) est un jeune génie du cinéma. Son premier film a décroché la Palme d’or à Cannes à quinze ans et une moisson de Césars. Le cinéaste, aussi talentueux qu’immature, prépare le deuxième au sujet transgressif : une comédie musicale sur les Dutroux. Une équipe de documentaristes l’accompagne.

Faux documentaire tourné par un acteur,  JC comme Jésus Christ est une satire du monde du cinéma qui ne recule devant aucune outrance. Jonathan Zaccai qui, à l’époque, n’avait pas encore perdu son pied dans Le Bureau des légendes, prend le parti du documenteur en convoquant une brochette d’acteurs (Elsa Zylberstein, Aure Atika, Gilles Lellouche, Kad Merad…) pour jouer dans leur propre rôle. Sa bande-annonce donne le ton qui suscite l’envie de voir ce film… ou pas

JC comme Jésus Christ contient quelques scènes passablement drôles, comme celle où Gilles Lellouche tente de convaincre Vincent Lacoste qu’il ferait un parfait Marc Dutroux. Mais son scénario est trop lâche – qui manifestement ne sait pas comment se terminer – sa réalisation trop dilettante – on retrouve les quatre mêmes malheureux décors – sa durée trop courte – soixante-seize minutes à peine – pour être pris au sérieux. Le film a fait un bide à sa sortie en salles début 2012. MK2 le propose gratuitement en ligne pour tous les orphelins du cinéma. Pas sûr que ce soit leur rendre service….

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War Machine ★★★☆

Quand le général McChrystal est nommé en 2009 à la tête de l’ISAF, la coalition des forces armées en Afghanistan, la guerre y dure depuis déjà huit ans sans perspective réaliste d’une issue victorieuse. Certes, les talibans ont été chassés de Kaboul et se terrent à la frontière pakistanaise. Mais le pays, lesté par ses traditions, foncièrement hostile aux forces d’occupation, peine à se reconstruire. L’armée américaine et celles de ses alliés, taillées pour gagner la guerre, peinent à gagner la paix.

Michael Hastings, un journaliste de Rolling Stone, signa un reportage qui provoqua le départ anticipé de McChrystal de son commandement. Il en tira ensuite un livre, The Operators.
C’est ce livre volontiers ambigu que David Michôd, le réalisateur australien de Animal Kingdom et Le Roi, porte à l’écran.

War Machine est un film désarmant qui hésite constamment entre deux registres : d’un côté la réflexion très fine sur l’interventionnisme militaire dans l’après-guerre froide, de l’autre la bouffonnerie vers laquelle le tire l’interprétation outrée par Brad Pitt de son héros.

Car Brad Pitt en fait des tonnes pour caricaturer le malheureux général McChrystal qui n’en méritait pas tant – et dont on serait curieux de connaître la réaction à ce spectacle embarrassant. Quelque part entre le Patton de George C. Scott (Oscar – refusé – du meilleur acteur en 1971) et Le Dictateur de Sacha Baron Cohen, Brad Pitt force le trait, campant un général droit dans ses bottes, affublé de tics (regardez ses pouces !), entouré d’une bande de joyeux drilles qu’on croirait tout droit sortis de M*A*S*H ou d’un épisode des Têtes brûlées (vous vous souvenez de la série avec Robert Conrad que vous regardiez sur Antenne 2 à la fin des années 70 ?). Il croise un président Karzai pas moins caricatural, interprété par Ben Kingsley dans deux scènes désopilantes.

Le film manque de prendre définitivement le virage de la comédie loufoque. C’eût été un choix radical et pourquoi pas envisageable. La réussite dans ce registre des Chèvres du Pentagone ou de La Guerre selon Charlie montre qu’on peut rire des guerres menées par les Etats-Unis en Afghanistan ou en Irak. Mais, assez miraculeusement, War Machine reste du début à la fin dans un entre-deux qui se révèle diablement stimulant. Il ne va jamais jusqu’au bout de sa loufoquerie. Il continue inébranlablement à traiter sérieusement d’un sujet sérieux : l’incapacité d’une force militaire d’occupation à reconstruire un pays conquis. Et le regard qu’il porte sur ce sujet reste incroyablement balancé, et donc très stimulant (à la différence d’un M*A*S*H qui versait dans une posture antimilitariste pas très fine selon moi).

Ce film déconcertant réussit à la fois à nous faire rire et à nous faire réfléchir. Double pari qu’on pensait impossible à réussir simultanément.

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Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (1986) ★★☆☆

Nola Darling est une femme indépendante et libérée qui habite son propre appartement à Brooklyn. Elle a trois amants entre lesquels son cœur – et son cul – balancent. Jamie Overstreet est un poète romantique. Mars Blackmon (Spike Lee himself) a pour lui un irrésistible sens de l’humour. Greer Childs est un macho narcissique. Nola Darling a aussi une voisine lesbienne qui lui fait du rentre-dedans.

Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (traduction audacieuse mais pas si mauvaise du titre original  She’s Gotta Have It) est le premier long métrage de Spike Lee. Tourné en 1986, il a connu une seconde jeunesse avec la série télévisée qui en a été tirée et dont les deux saisons ont connu sur Netflix en 2017 et 2019 un vif succès. Le canevas sur lequel il est construit se prête en effet bien à des déclinaisons : faire le portrait d’une femme à travers celui de ses amants.

Spike Lee, qui présidera le prochain jury du festival de Cannes, est souvent présenté comme le cinéaste d’une cause : celle de l’égalité des droits de la communauté noire aux Etats-Unis. Certes, il a passé sa vie à filmer des Afro-Américains : Do the Right Thing, Jungle Fever, Malcom X, etc. Mais ses films ne versent pas pour autant dans un militantisme obsessionnel. Spike Lee filme les Noirs comme Woody Allen ou Éric Rohmer filme les Blancs : dans leur vie de tous les jours.

C’était déjà le cas de son premier film. Son manque de moyens saute aux yeux : le son est crachotant, le cadrage pas toujours maîtrisé, la direction d’acteurs trop flottante… Son scénario ressemble un peu à ceux qu’on ânonne en dernière année d’école de cinéma. Mais son sujet n’a rien perdu de sa modernité – ce qui explique d’ailleurs le succès de la série qui en a été tiré : Nola Darling n’en fait qu’à sa tête dresse le magnifique portrait d’une femme libre et celui d’une masculinité, sous trois formes différentes, obligée à se remettre en question face à la revendication montante d’une émancipation féministe.

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Cherry ★☆☆☆

Un jeune homme anonyme (Tom Holland) tombe amoureux sur les bancs du lycée d’Emily (Ciara Bravo). Dévasté de chagrin après sa rupture, il décide de s’engager dans l’armée. Mais le couple se reforme et les deux amoureux se marient juste avant ses classes et son départ pour l’Iraq. Il y servira comme infirmier et y verra mourir sous ses yeux plusieurs de ses frères d’armes.
Revenu deux ans plus tard, durablement traumatisé, il se soigne à l’oxycodone et développe une sévère dépendance. Il entraîne Emily dans ses addictions. Pour financer sa drogue, il n’a d’autre alternative que de devenir braqueur de banques.

Cherry est l’adaptation fidèle de l’autobiographie de Nico Walker qui a vécu le même parcours que son héros – à l’exception peut-être de son dénouement – et en a tiré un livre qui est vite devenu un best-seller. Ses droits furent immédiatement acquis par les frères Russo, les réalisateurs de quatre films de l’univers cinématographique Marvel : deux Captain America et deux Avengers (que je dois avouer, le rouge au front, n’avoir pas vus). Pour interpréter le héros de Cherry, ils ont recruté le jeune Tom Holland qui démontre ici qu’il est capable d’endosser d’autres rôles que celui de Spiderman.

Cherry est un film long, trop long (deux heures et vingt-deux minutes), auquel on ne saurait reprocher son manque de réalisme, mais qui brasse trop de sujets pour convaincre tout à fait. Dans sa première partie, il raconte la plongée dans l’enfer de la guerre d’un jeune conscrit. Le choix du titre – « Cherry » désigne le puceau, le bleu, le bleu-bite – et le sous-titre qui l’accompagne dans sa version québécoise (« l’innocence perdue ») semble indiquer que c’est là le sujet principal du film. Il a déjà été souvent traité : par Stanley Kubrick dans Full Metal Jacket, par Oliver Stone dans Platoon, par Sam Mendes dans Jarhead ou, plus récemment, dans 1917.

Dans sa seconde partie, Cherry traite d’un sujet différent, même s’il n’est pas sans lien avec le premier : la plongée dans l’enfer de la drogue provoquée par le PTSD (post traumatic stress disorder) que le héro ramène d’Iraq.
Là encore, le thème n’est pas nouveau. Beaucoup de films, parmi les plus grands, ont évoqué le traumatisme des soldats de retour du front : Taxi Driver, Voyage au bout de l’enfer, Rambo, Né un 4 juillet, Démineurs, American Sniper ou, plus récemment Un jour dans la vie de Billy Lynn
Beaucoup d’autres ont traité de la spirale de l’addiction : Leaving Las Vegas (un de mes films préférés), Requiem for a Dream (idem), Las Vegas Parano, Trainspotting, Drugstore Cowboys, Breaking Bad (le couple que forment les deux héros de Cherry n’est pas sans rappeler Jesse Pinkman et sa compagne héroïnomane) ou plus récemment le très sensible My Beautiful Boy.

La circonstance qu’un sujet ait été traité au cinéma est-il une condition suffisante pour disqualifier le film suivant qui le traitera ? Certes pas. L’affirmer serait condamner le cinéma à une épuisante fuite en avant (même si certains des films les plus réussis des vingt dernières années sont précisément ceux qui s’aventurent sur des terrains jamais défrichés : Eternal Sunshine of a Spotless Mind, The Artist, La Forme de l’eau, La La Land, Parasite ….). L’affirmer charrie en outre une part de snobisme que je reconnais et que j’assume : « Ah ah ah ! bande d’analphabètes ! vous n’avez pas honte de ne pas avoir vu tel et tel film austro-hongrois en noir et blanc qui déjà, en 1912, traitait du même sujet ! »

Il n’en demeure pas moins que le cinéphile, parfois un peu élitiste, qui regarde Cherry a envie de dire à ceux qui seraient tentés de le regarder aussi : « Laissez tomber Cherry et regardez plutôt Full Metal Jacket et/ou American Sniper et/ou Leaving Las Vegas« .

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