La Fabrique de l’ignorance ★★☆☆

Ce documentaire aurait pu avoir un titre plus savant : « Agnotologie » (l’étude de la production de l’ignorance, du doute ou de la désinformation). Le sujet est à la mode ces temps-ci, qu’il s’agisse des origines du Covid, des moyens de le soigner, de l’utilité de s’en vacciner ou du résultat des élections américaines ou encore des menées obscures de la Russie ou de la Chine pour semer la confusion en Occident.

Mais ce n’est pas par le biais attendu de ces questions ultra-contemporaines que Pascal Vasselin et Franck Cuveillier abordent le sujet de la désinformation scientifique. C’est par celui, plus classique, des dévoiements du Grand Capital qui, pour défendre ses intérêts, a retourné la science contre elle-même.

Les faits sont désormais bien connus, ce qui prive d’ailleurs ce documentaire d’une partie de son intérêt. Mais la façon dont ils sont présentés est particulièrement intéressante dans le contexte actuel. Dans les années cinquante, alors que les études médicales se multipliaient pour dénoncer les méfaits du tabac, Big Tobacco a développé une stratégie particulièrement vicieuse pour y faire pièce. Il n’a pas contesté ces études. Au contraire : il en a financé d’autres pour faire diversion en essayant de démontrer que les cancers du poumon imputés à la cigarette pouvaient avoir d’autres causes (des antécédents génétiques, la pollution de l’air…). La même stratégie a été déployée dans les années 2000 quand les dangers du tabagisme passif allaient conduire à l’interdiction de la cigarette dans les lieux publics.

Mêmes contre-feux pour les néonicotinoïdes ou pour les perturbateurs endocriniens ou pour le réchauffement climatique. Il s’agit à chaque fois de répondre à la science par la science en utilisant un levier diablement efficace et consubstantiel à la démarche scientifique : le doute. Si la nocivité d’un produit est révélée par une étude, il s’agit de semer le doute sur cette annonce en suggérant que sa toxicité a été surestimée ou que ses effets secondaires ont d’autres causes. Si le contre-feu, à long terme, finit par céder face à la vérité scientifique, il aura permis aux industriels et à leurs armées d’avocats de gagner quelques années.

Cette bataille entre bonne et mauvaise science (sound science vs. junk science) a été amplifiée par les réseaux sociaux. C’est une dimension que le documentaire ne fait qu’effleurer. Avec les réseaux sociaux, l’information circule mieux, le débat est plus vif, la réfutation scientifique plus aisée. Mais, hélas, cette démocratisation de la science s’accompagne de son nivellement par le bas. Sont mis sur le même plan l’avis éclairé d’un prix Nobel de médecine, un article de Nature ou n’importe quel preprint mis en ligne sur un site Internet moldo-slovaque. Comment espérer établir une vérité scientifique si n’importe qui, n’importe où, n’importe comment peut, de bonne ou mauvaise foi, la questionner ?

La sérénité du débat est polluée par nos biais cognitifs. Nous sommes tous lourdement influencés par nos a priori. Selon nos convictions, nous accueillerons différemment les études scientifiques qui les valident et celles qui les infirment. Je n’évoquerai pas ici le débat, aujourd’hui dépassé, autour de l’hydroxychloroquine qui continue à enflammer les ayatollahs des deux bords : les uns renvoyant aux autres l’absence d’une étude définitive qui démontrerait sans réfutation possible l’efficacité ou l’inefficacité de ce remède-miracle (les termes que j’utilise laissent peut-être augurer mon propre biais cognitif). J’en évoquerai un autre : l’électrohypersensibilité. Connaissant les stratégies déployées par les lobbies industriels pour cacher la toxicité du tabac, des insecticides, des plastiques, faut-il augurer qu’ils déploient les mêmes pour cacher la nocivité de la 5G ? Il y a fort à craindre que la réponse que vous, moi, nous tous, donnons à cette question dépende hélas moins de l’état objectif de la science que de nos propres préjugés.

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La Fille aux allumettes (1990) ★★★☆

Iris (Kati Outinen) travaille dans une fabrique d’allumettes à Helsinki. Elle verse tout son salaire à sa mère et à son beau-père qui l’hébergent dans un deux pièces miteux de la cité ouvrière. Elle croit trouver l’amour auprès d’Arne qui la méprise et l’humilie. La vie d’Iris ne peut que verser dans la tragédie.

L’Homme sans passé (2002) est souvent présenté comme le meilleur film d’Aki Kaurismäki. Il a raté de peu la Palme d’or à Cannes et y a obtenu, en guise de consolation, le Grand prix. Kati Outinen y a décroché le prix d’interprétation féminine. Le film a valu à Kaurismäki l’un des six Jussis (l’équivalent des Césars en Finlande) de sa longue carrière. Pourtant ce n’est pas mon préféré.

La Fille aux allumettes l’est peut-être. Car il résume le mieux selon moi le cinéma du maître finlandais. Résumer est le mot juste ; car il dure soixante-neuf minutes à peine, flirtant avec les canons du moyen métrage. Tout y est concentré, sans une once de gras : les banlieues pauvres de Helsinki, des personnages mutiques écrasés par une vie sans joie mais dotés d’une solide résilience, des plans fixes souvent suréclairés donnant aux images une patine de romans-photos, un humour grinçant, une bande musicale qui alterne les airs les plus démodés aux expérimentations néo-punks….

Kati Outinen porte le film sur ses frêles épaules. La beauté hyperboréenne, elle a vingt neuf ans déjà à la sortie de La Fille aux allumettes ; mais elle en fait bien dix de moins. C’est son troisième film sous la direction de Aki Kaurismäki avec qui elle en tournera huit autres. Avec La Fille aux allumettes, elle décroche son premier Jussi de la meilleure actrice (suivront deux autres en 1997 pour Au loin s’en vont les nuages et en 2002 pour L’Homme sans passé). Elle est si misérable durant la première moitié du film qu’on se demande un instant si elle ne joue pas un remake du comte du Danois Andersen et si elle va mourir de froid, sa dernière allumette soufflée. L’évolution du personnage dans la seconde moitié du film est étonnante, empreinte d’un féminisme enthousiasmant qui, en 1990, était encore d’avant-garde.

Extraits

The Dawn Wall ★★☆☆

Au cœur de la vallée de Yosemite se dresse El Capitan un monolithe vertical de près de neuf cents mètres de haut. Il a depuis toujours fasciné les alpinistes qui ont entrepris de l’escalader de toutes les façons possibles et par toutes les voies possibles.
Sa partie la plus lisse, le « mur de l’aube », plein est, qu’éclaire en tout premier le soleil levant, était resté longtemps inconquis. Deux grimpeurs s’y attaquent en escalade libre, à la force de leurs bras et de leurs jambes.

J’avoue un penchant coupable pour les films d’alpinisme. Everest ou La Mort suspendue font partie de mon panthéon. Je leur vois plusieurs qualités. D’abord, ils sont fantastiquement dépaysants et permettent de découvrir des paysages à couper le souffle, tels que les immense monolithes de la vallée de Yosemite. Ensuite ils présentent d’évidentes qualités cinématographiques : unité de temps, de lieu d’action, et un enjeu simple et captivant : les alpinistes réussiront-ils ou pas à atteindre le sommet – et à redescendre sain et sauf ? Enfin, ils ont pour personnages des héros nietzschéens, en quête de dépassement, à la contagieuse énergie.

Aussi, j’ai naturellement cédé au charme californien de Tommy Caldwell et Kevin Jurgenson dont quelques flashbacks racontent la vie avant leur ascension d’El Capitan en janvier 2015. J’ai vibré avec eux à chaque étape de leur incroyable exploit. Et l’émotion a naturellement débordé avec sa conclusion.

Pour autant, The Dawn Wall est irrémédiablement plombé par la comparaison avec Free Solo, sorti un an plus tard, qui raconte l’ascension par Alex Honnold de la même paroi, mais en solo libre. Honnold, comme Caldwell & Jurgenson, grimpe la paroi à mains nues ; mais à la différence d’eux, il n’est pas assuré. Aucune corde, aucune protection. La moindre chute pour lui serait mortelle. Du coup, les images de Free Solo, qui a décroché l’Oscar 2019 du meilleur documentaire, sont autrement plus impressionnantes que celles de The Dawn Wall. Si l’exploit de Caldwell & Jurgenson est galvanisant, celui de de Honnold, au regard des risques (inconsidérés ?) pris par le grimpeur, est plus sidérant encore.

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Et soudain, tout le monde me manque (2010) ★☆☆☆

Justine (Mélanie Laurent) a toujours eu des relations compliquées avec son père Eli (Michel Blanc). Elle lui reproche de ne pas s’être occupé d’elle quand elle était petite et, aujourd’hui, de faire à soixante ans passés avec sa nouvelle compagne (Claude Perron) un enfant.

Et soudain, tout le monde me manque fait partie de ces petits films français comme il en existe treize à la douzaine, pas vraiment mauvais, mais pas suffisamment bons pour retenir l’attention. Je l’avais raté à sa sortie début 2011 ; la fermeture des salles et sa présence surprenante sur le catalogue Netflix m’ont donné l’occasion de le voir.

Je serais bien aigri d’affirmer avoir passé un mauvais moment à le regarder. Car Mélanie Laurent, Michel Blanc et les seconds rôles, excellents, qui les entourent (Guillaume Gouix, Florence Loret Caille, Géraldine Nakachze, Manu Payet…) font honnêtement le job. Mieux : le dernier quart d’heure est particulièrement attachant qui tire le film dans une direction qu’on n’aurait pas imaginée (en ai-je trop dit ? pas assez ?).

Mais pour autant, la narration aux ressorts éculés de cette relation père-fille n’a rien de si original qu’il faille s’offusquer du légitime oubli dans lequel ce film – et sa réalisatrice qui n’en a pas tourné d’autre depuis dix ans – est tombé.

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American Factory ★★★☆

À Moraine, près de Dayton, dans l’Ohio, dans une usine désaffectée, fermée en 2008 par General Motors, le milliardaire chinois Cao Dewang a inauguré en 2016 Fuyao Glass America, un site de production de verre automobile. Steven Bognart et Julia Reichert, qui avaient filmé en 2008 les derniers jours de l’usine GM, ont été invités par la nouvelle direction chinoise à filmer ce qui aurait dû être l’exemple d’un mariage réussi entre deux cultures entrepreneuriales. Mais au fil des mois, un fossé se creuse entre la direction et les employés. Le conflit se cristallise autour d’un sujet : le droit à se syndiquer.

American Factory est un documentaire Netflix sorti en 2019, produit par Higher Ground, la société à laquelle Barack et Michelle Obama sont désormais associés, et couvert d’éloges. Il a raflé une moisson de récompenses à commencer par l’Oscar 2019 du meilleur film documentaire.

L’une des principales qualités d’American Factory est qu’il ne se réduit pas à une thèse. Est-il pro-chinois ? ou anti-chinois ? On pourrait penser, pendant sa première moitié, qu’il tresse les louanges d’une mondialisation heureuse qui verrait le capitalisme chinois voler au secours de l’industrie américaine. Comme un – mauvais – film d’entreprise, American Factory montre l’inauguration des nouveaux locaux sous les applaudissements, des ouvriers américains reconnaissants à leurs nouveaux patrons de leur redonner du travail, puis la visite à Fuqing, au siège de la maison mère, d’une délégation d’ouvriers américains, invités d’honneur de la réception qui marque le Nouvel An chinois.

Mais bientôt le rêve se brise. Là encore, American Factory ne verse pas dans le manichéisme, même si les Chinois, dont on est stupéfait qu’ils n’aient pas exigé l’interruption du tournage, n’ont pas le beau rôle. Les cadences de travail des employés américains sont trop lentes ; les objectifs de production ne sont pas atteints ; plutôt que de se remettre en cause, la main d’œuvre locale ne semble avoir qu’une seule préoccupation : se voir reconnaître le droit de se syndiquer.

American Factory est une œuvre riche qui peut donner lieu à plusieurs conclusions. Elles ne sont guère optimistes. La plus évidente est l’immense fossé qui sépare les cultures d’entreprise américaine et chinoise et qui nécessitera beaucoup de temps pour être franchi sinon comblé. La seconde, plus glaçante encore, renvoie à l’avenir de la main d’œuvre humaine, lentement mais inexorablement remplacée par des robots, moins coûteux, plus fiables et moins revendicatifs.

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Détective (1985) ☆☆☆☆

Dans un hôtel de luxe qui donne sur la gare Saint-Lazare, un manager de boxe (Johnny Halliday) prépare le combat de son poulain. Il compte le truquer et rembourser la dette qu’il a contractée auprès d’Emile Chenal, un pilote de ligne (Claude Brasseur) qui est en train de divorcer de sa femme (Nathalie Baye). Mais un parrain de la mafia, aussi élégant que menaçant (Alain Cuny), lorgne aussi sur le magot. Pendant ce temps, deux policiers, Prospero (Laurent Terzieff) et Neveu (Jean-Pierre Laud) planquent sous les combles.

J’ai beau faire, je n’y arrive pas. Je n’aime pas Godard. C’est épidermique. J’ai déjà du mal avec ses premiers films dont il est pourtant sacrilège d’oser dire que ce ne sont pas des chefs d’œuvre : À bout de souffle, Le Mépris, Pierrot le fou…. Mais plus sa carrière avance, plus mon rejet devient radical. Godard m’égare à partir d’Alphaville et ne me retrouvera jamais. Soigne ta droite est l’un des rares films que je n’ai pas vu jusqu’à la fin (j’avais seize ans à la fin des années quatre-vingts dans un vieux cinéma d’art et d’essai toulonnais transformé aujourd’hui en auto-école – Séquence Nostalgie).

Détective accumule ce que je considère les pires défauts du cinéma de Godard. Un mépris affiché pour le scénario – quoi de plus bourgeois que de raconter une histoire ? Des citations prétentieuses sinon obscures (Shakespeare, Conrad, Gide…). Une musique à contre-emploi (Schubert, Wagner, Chopin). Un montage saccadé qui coupe les scènes en plein milieu. Un son saturé de bruit ambiant. Etc.

Le seul intérêt à mes yeux de (re)voir Détective aujourd’hui est d’y retrouver une pléiade d’acteurs qui étaient à l’époque au sommet de leur célébrité. Johnny Hallyday, Laurent Terzieff, Alain Cuny et Claude Brasseur sont morts. Jean-Pierre Léaud n’est plus que l’ombre de lui-même. Nathalie Baye était belle comme le jour et aura réussi pendant quarante années à ne jamais quitter le sommet de l’affiche. Trois nymphettes à peine majeures, sur lesquelles Godard promène libidineusement sa caméra, jouent à moitié nues des rôles que la censure ne tolèrerait plus : Emmanuelle Seigner, Julie Delpy et Aurelle Doazna. Les deux premières ont fait la carrière qu’on sait ; la troisième n’a jamais percé. Pourquoi ?

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Woman ★☆☆☆

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, France 5 a diffusé ce documentaire sorti l’année dernière en salles, quasiment jour pour jour, à l’occasion de … la Journée 2020 des droits des femmes.

Au cas où on ne l’ait pas encore compris, Woman parle donc des femmes en allant en interviewer quelques deux mille dans cinquante pays au monde. Ce tour du monde immobile produit un effet paradoxal et peut-être voulu à la fois très dépaysant et un peu répétitif. Toutes ces femmes aux parures bariolées, qui s’expriment dans des langues qu’on s’amuse sans succès à essayer de reconnaître, illustrent la diversité du monde ; mais, en même temps, la similitude de leurs destins, le courage dont elles doivent toutes faire preuve pour surmonter les obstacles que la vie place sur leur chemin tendent à accréditer la thèse d’une unité dont le titre au singulier, Woman, se veut sans doute l’indice.

Chacune est filmée face caméra sur un fond noir. La succession de leurs témoignages est interrompue, pour en briser la monotonie, par quelques séquences d’extérieur muettes habillées d’une musique élégiaque qui portent la marque écolo-new age qui a fait la gloire de Yann Arthus-Bertrand et de ses albums : une nageuse qui ondule aux côtés d’un orque, des ouvrières travaillant à la chaîne dans une immense usine de confection, une Bolivienne sur l’Altiplano, une Hollandaise à vélo, une Américaine chevauchant une Harley Davidson…

En 1h48 bien compactes, ces femmes évoquent, du berceau au tombeau, l’ensemble des défis de la condition féminine : l’excision, les premières règles, le premier orgasme, le mariage forcé, la maternité, l’amour inconditionnel qu’on nourrit pour son enfant, les violences conjugales, la maladie et le tribut qu’elle exige, le vieillissement…. Quelques témoignages sont poignants et feraient fondre même les cœurs de pierre : ces jeunes femmes capturées et violées par Daesh, cette Indienne défigurée à l’acide… Chacun.e y sera plus ou moins sensible en fonction de son histoire personnelle ; mais il y a fort à parier que certains vous touchent plus que d’autres. Pour moi, ce fut le témoignage de cette veuve française, la petite soixantaine, dont les larmes montent aux yeux quand elle confesse que le désir qu’elle suscitait n’existe plus depuis que l’homme qu’elle aimait est mort (1’19 »).

Mais Woman souffre d’une tare écrasante : sa bien-pensance. Tout y est terriblement politiquement correct. Tout y résonne comme un tract bien huilé de UN Women. Il est bien sûr difficile sinon impossible de ne pas sympathiser, surtout un 8 mars, avec l’image sulpicienne mais aussi résiliente de la femme, fragile et forte à la fois, que glorifie Woman. Mais on est en droit d’attendre d’une œuvre cinématographique autre chose qu’un plaidoyer politique, aussi nécessaire soit-il.

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Joan Didion : Le centre ne tiendra pas ★★☆☆

Née en 1934, Joan Didion est l’une des plus grandes écrivaines contemporaines. Romancière, essayiste, journaliste, scénariste pour Hollywood, elle n’a cessé de comprendre et d’interpréter l’Amérique de son temps.

Le neveu de Joan, Griffin Dunne, un acteur de cinéma qui tourna dans les années quatre-vingts avec Scorsese et Madonna, l’interviewe et revient avec elle sur sa vie. À quatre-vingts ans passés, Joan Didion est méconnaissable. D’une maigreur maladive (elle pèse à peine trente-cinq kilos), elle n’a plus guère que la peau sur les os. Ses gestes sont compulsifs, sa diction parfois hésitante ; mais le feu qui brûle dans ses yeux n’est pas éteint et le regard qu’elle porte sur sa vie n’a rien perdu de son intelligence.

Joan Didion formait, avec son mari John Dunne, lui aussi homme de lettres, un couple fusionnel jusqu’à sa mort brutale d’un arrêt cardiaque en décembre 2003. Le couple était symbiotique. John et Joan travaillaient ensemble sur des projets communs ou des livres séparés. La renommée de l’un ne fut jamais un obstacle à celle de l’autre. Mais on sent néanmoins un déséquilibre (c’est John qui finissait les phrases de Joan) qui ferait tiquer plus féministe que moi.

Le couple avait adopté en 1966 une fille qui décéda deux ans après la mort de son père. Joan Didion fit de ses deux disparitions quasi-simultanées la substance de ses deux livres les plus poignants, L’Année de la pensée magique et Le Bleu de la nuit. Elle y trouve les mots justes et forts pour décrire le deuil. Un must-read pour tous ceux qui ont traversé la même épreuve ou qui appréhendent de la traverser un jour – ce qui fait, tout bien réfléchi, beaucoup de monde.

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Eastern Plays (2009) ★★★☆

Itso et Georgi sont frères. Itso, l’aîné, a quitté l’appartement familial. Il a plongé dans la drogue et suit un traitement à la méthadone pour s’en sortir. Peintre doué, il tue son mal de vivre à force de médicaments et d’alcool. Georgi le cadet vit encore chez son père violent auprès d’une belle-mère vulgaire à laquelle il dénie toute autorité. En mal de transgression, il sèche le lycée et fréquente une bande de néo-nazis qui, un soir, agressent un couple de touristes turcs. Itso s’interpose, secourt les victimes et s’éprend de Isil, leur fille. Trouvera-t-il avec elle la voie de la rédemption ?

Le cinéma bulgare occupe un angle mort dans le paysage culturel européen. On compte sur les doigts d’une main les films qui y ont été réalisés : The Lesson, portrait d’une femme condamnée à rembourser les dettes de son ivrogne de mari, Glory, dénonciation grinçante de la corruption qui gangrène la société bulgare, Taxi Sofia, portrait kaléidoscopique de la classe laborieuse sofiote à travers six conducteurs de taxi et les passagers qu’ils transportent, Je vois rouge, documentaire autobiographique d’une émigrée bulgare sur les compromissions de ses parents pendant le communisme. Des films rares mais forts – j’ai mis trois étoiles à chacun – qui dessinent de cet ex-satellite soviétique une image peu hospitalière.

Kamen Kalev est peut-être le réalisateur bulgare le plus connu. Habitué de la Quinzaine des réalisateurs cannoise – où il présentait en 2009 son premier long Eastern Plays – cet ancien de la Fémis, venu de la pub, a tourné en 2014 Tête baissée avec Melvin Poupaud.

Je découvre Eastern Plays plus de dix ans après sa sortie grâce à Arte qui le met en ligne gratuitement selon une programmation décidément excellente (Emmanuel Mouret, Aki Kaurismäki, Hong Sang Soo….). Ce film n’a pas pris une ride. Il est inspiré de la vie de son acteur principal, Christo Christov, filmé dans l’hôpital où il vient chercher son traitement, avec le psychiatre qui le suit – nettement moins empathique que Frédéric Pierrot dans En thérapie. Il prend un tour bien tragique quand on sait que l’acteur est décédé avant la fin du film. Le chemin de croix qu’il suit vers une improbable rédemption n’en est que plus beau…

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Derrière nos écrans de fumée ★☆☆☆

Derrière nos écrans de fumée (traduction besogneuse de The Social Dilemma) est un réquisitoire à charge contre les réseaux sociaux. Certes, il ne verse pas dans le complotisme : il n’accuse pas les dirigeants de Facebook, Instagram Twitter, YouTube ou Google de nourrir un projet criminel de manipulation universelle. Mais il montre comment la logique purement entrepreneuriale de ces sociétés, leur désir de capter et de retenir une audience toujours plus large, sont lourds de menaces.

La charge semble d’autant plus légitime qu’elle vient d’anciens dirigeants de ces plateformes qui, comme des mafieux italiens tentant d’obtenir une réduction de peines, comparaissent les uns après les autres devant la caméra de Jeff Orlowski. Pour enfoncer le clou, cette succession d’interviews est entrecoupée par une fiction mettant en scène une famille américaine ordinaire dont les enfants souffrent d’une dépendance accrue aux écrans : la cadette perd confiance en elle après avoir reçu une remarque sur son physique, l’aîné se laisse séduire par les thèses complotistes.

Le sujet est grave : exploitation des données personnelles, dépendance aux réseaux sociaux, propagation de la désinformation, haine en ligne…. Il nous concerne tous – qu’il s’agisse de moi qui suis en train d’écrire cette critique pour la poster sur les réseaux sociaux, ou vous qui êtes en train de la lire alors que vous pourriez consacrer ce temps précieux à de vrais échanges avec de vrais gens dans la vraie vie !

Mais ce documentaire a trop de défauts pour convaincre. Son plus cocasse est d’être produit et distribué par Netflix, une plateforme qui utilise elle aussi les algorithmes pour influencer le choix de ses clients. Ses séquences fictionnelles, qui rappellent un mauvais épisode de Black Mirror, sont particulièrement balourdes. Il ne donne pas la parole à la défense, qui aurait pu souligner par exemple les récents efforts déployés pour lutter contre la désinformation. Enfin, et c’est peut-être le défaut le plus rédhibitoire, il ne contient guère d’informations qu’on ne connaissait déjà sur les réseaux sociaux et les addictions qu’ils suscitent.

Basta ! J’ai piscine ! Zut…. elle est fermée.

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