Qui chante là-bas ? (1980) ★★★☆

L’action se déroule en avril 1941, en Yougoslavie, à la veille de l’occupation allemande. Une dizaine de personnes montent dans un bus pour se rendre dans la capitale : un ancien combattant, un chanteur de charme, un couple de jeunes mariés, deux musiciens tziganes, un chasseur, un tuberculeux, un journaliste germanophile…. Le véhicule, en piteux état, propriété de Miško Krstić, conduit par son propre fils, un simple d’esprit, rencontrera sur son chemin bien des obstacles avant d’arriver à destination.

Qui chante là bas ? a été sélectionné dans la section Cannes Classics du Festival de Cannes 2020. À l’occasion de la réouverture des salles, Malavida a la bonne idée de le ressortir dans un circuit de quelques cinémas d’art et d’essai. Ce film yougoslave de 1980 nous rappelle le dynamisme et la créativité du cinéma de ce pays qui, sous Tito, s’enorgueillissait de posséder les meilleurs écoles de dessins animés, qui organisait un grand festival annuel et où le cinéma était une matière enseignée dans le secondaire.

Quand on regarde aujourd’hui Qui chante là bas ? on pense immanquablement à Emir Kusturica. Slobodan Šijan n’est son aîné que de quelques années. Les deux réalisateurs ont le même scénariste, Dušan Kovačević, quand ils tournent Qui chante là bas ? au début des années quatre-vingt et Underground quinze ans plus tard. Les deux oeuvres présentent de nombreuses ressemblances formelles et substantielles. Chez Šijan comme chez Kusturica, la musique, qui emprunte aux rythmes endiablés du folklore tzigane, est une actrice du film à part entière. Les histoires qu’ils racontent sont traversées d’un humour souvent grotesque et très cartoonesque. Le sujet qu’ils traitent est celui de l’impossible vivre-ensemble yougoslave.

Dans Underground, Kusturica évoque l’éclatement de la Yougoslavie. On aurait pu penser, en lisant le résumé de Qui chante là bas ? qu’il y serait au contraire question de la construction d’une identité nationale pour faire front face à l’invasion allemande. Comme Maupassant dans Boule de Suif, comme John Ford dans La Chevauchée fantastique, Šijan convoque dans un lieu clos un échantillon de la population yougoslave. Découvrira-t-il au-delà des conflits qui l’opposent ce qui la réunit ? Saura-t-il dépasser ses clivages pour faire front face à l’ennemi nazi ? C’est ce qu’on aurait volontiers imaginé d’un film tourné en plein titisme. La réponse qu’on découvre à la dernière image est étonnante.

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Tongues Untied (1989) ★☆☆☆

Tongues Untied est un documentaire de cinquante-cinq minutes réalisé pour la télévision en 1989. Le financement public dont il avait bénéficié aux Etats-Unis avait suscité une polémique : les milieux conservateurs américains ont reproché au National Endowment for the Arts de financer une œuvre pornographique.

À le regarder trente ans plus tard, on ne trouve pas que Tongues Untied insulte la décence. Pas de pornographie mais en revanche un pamphlet dont on comprend qu’il ne plaisait pas aux franges les plus conservatrices de l’échiquier politique américain (le candidat Pat Buchanan en fit même en 1992 un argument de campagne pour dénoncer la dépravation des mœurs à Washington).

Réalisé par Marlon Riggs, une figure du black new queer cinema qui mourut cinq ans plus tard du Sida, Tongues Untied est une œuvre militante à l’intersection de deux combats : le combat pour la reconnaissance des droits des homosexuels et celui contre les discriminations faites aux Noirs américains. Ces deux combats ignorent et écrasent paradoxalement les Noirs homosexuels : le militantisme gay est un militantisme blanc qui essentialise le corps noir pour en faire un objet de fantasme tandis que la lutte contre les discriminations raciales emprunte souvent des accents virilistes voire homophobes.

Tongues Untied est un plaidoyer convainquant en faveur de cette cause, qui n’a rien perdu de son actualité. Sa forme l’est moins qui accumule plusieurs saynètes à la va-comme-je-te-pousse : des témoignages face caméra, des chorégraphies, des poèmes déclamés d’Essex Hemphill, de Steve Langley ou d’Alan Miller, des chansons de Nina Simone ou de Roberta Flack, des extraits d’un one-man-show où Eddy Murphy déploie une homophobie rance….

Le résultat est politiquement fort mais pas cinématographiquement éblouissant.

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Mandibules ☆☆☆☆

Amis pour la vie, Jean-Gab (David Marsais) et Manu (Grégoire Ludig) n’ont pas inventé le fil à couper le beurre. Associé à une combine louche – apporter contre 500 euros une mystérieuse mallette à son riche propriétaire – Manu vole une vieille Mercédès dont le coffre  contient… une mouche géante. Sans guère d’hésitation, les deux compères abandonnent leur mission pour dresser la mouche. Ils kidnappent le propriétaire d’un camping car (Bruno Lochet) avant de croiser la route de Cécile (India Hair) qui croit reconnaître dans Manu un ancien amoureux. Cécile habite avec son frère (Romé Elvis) et deux amies (Adèle Exarchopoulos et Coralie Russier) la grande villa de ses parents en bord de mer où elle accueillera quelque temps Jean-Gab, Manu… et leur mouche géante.

Quentin Dupieux creuse dans le cinéma français un sillon bien à lui : celui d’un humour absurde qui divise les spectateurs. La moitié se gondole tandis que l’autre ne rit pas et ne comprend pas l’hilarité de la première moitié de la salle, qui lui semble de plus en plus incompréhensible et exaspérante, ce qui la conduit, dans un cercle vicieux d’une logique implacable, à trouver encore moins plaisant un spectacle qu’elle ne goûtait guère…

Hélas, j’appartiens à la seconde moitié.
Cela ne m’a pas empêché, avec le masochisme qu’on me connaît, de sortir de mon lit pour voir tous les films de Dupieux (lol) : Steak mettait déjà en scène deux amis (Eric & Ramzy) passablement demeurés, Rubber suivait les traces d’un pneu tueur en série (sic), Wrong racontait la disparition d’un chien et l’enquête de son maître pour le retrouver, Au Poste ! (avec déjà Grégoire Ludig) retraçait le quotidien d’un poste de police, Le Daim avait pour héros un Jean Dujardin…. qui se prenait pour un daim.

Replacé dans sa filmographie, Mandibules ne détonne pas. Pire : il n’étonne plus. L’effet de surprise sinon de sidération produit par les premiers films de Quentin Dupieux ne joue plus. On sait par avance à quoi s’attendre…. et on est d’autant plus déçu de ne pas en rire. Le duo vedette du Palmashow ? Deux acteurs vidés de leurs verves par des rôles surjoués et des dialogues sans étincelles. Une mouche géante ? Son apparition, annoncée par le running gag le plus besogneux qui soit (« T’as pas entendu un bruit ? »), est censée être le moment le plus drôle du film… c’est dire… Adèle Exarchopoulos dans le rôle d’une handicapée dysphonique ? Elle m’a fait penser à Zézette, le personnage du Père Noël est une ordure interprétée par Marie-Anne Chazel, la drôlerie en moins.

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Slalom ★★☆☆

Liz (Noée Abita) a quinze ans et une seule passion : le ski alpin. Elle vient d’intégrer la section sport-étude du lycée de Bourg Saint-Maurice. Son entraîneur, Fred (Jérémie Renier), est connu pour son exigence mais aussi pour son efficacité. Il a tôt fait de repérer Liz et de la pousser dans ses retranchements pour qu’elle se dépasse.
Entre la jeune championne et l’entraîneur sadique se noue une relation toxique.

J’ai souvent parlé des Dossiers de l’écran dans mes critiques quotidiennes, au risque de n’éveiller d’écho que parmi les seuls lecteurs âgés de cinquante ans ou plus. Eux seuls se souviennent de cette émission-débat du mardi soir sur France 2, ouverte par un film censé illustrer le thème du jour : Marathon Man sur la chasse aux criminels nazis, La Dérobade sur la prostitution, La Maison du lac sur le troisième âge, etc.

Slalom aurait pu parfaitement introduire un débat sur les violences sexuelles dans le sport. Le sujet est hélas d’une brûlante actualité. Arte lui consacrait l’été dernier un documentaire édifiant. Les faits divers, souvent scabreux se succèdent, dans le patinage artistique, le moto-cross, la natation…

Slalom décrit à la perfection le phénomène d’emprise. Il montre l’ambiguïté structurelle de la relation qui unit une jeune sportive à son entraîneur, ce mélange explosif d’admiration, de soumission, de crainte, d’attraction aussi (le film montre, trop brièvement peut-être cette dimension-là aussi). Loin de sa famille, à un âge difficile, la jeune adolescente ne sait opposer aucune défense à l’adulte qui abuse de sa situation.

Jérémie Renier est comme d’habitude parfait dans un rôle qui aurait pu verser dans la caricature. Il ne s’agit pas d’un pervers sexuel, d’un prédateur, mais d’un homme à l’ego malmené qui transfère sur la jeune championne l’ambition qu’il n’a pas su réaliser pour lui-même.

Le seul défaut de Slalom, qu’on se sent bien mesquin de pointer, est de suivre un peu trop à la lettre ce projet-là. Toutes les étapes de cette emprise sont scrupuleusement consignées, les unes après les autres : l’apprivoisement, la complicité naissante, le basculement, la révolte, la disparition de tous les soutiens possibles (famille, amis…), la prostration… jusqu’au sursaut final et ce mot de trois lettres qui conclut le film en laissant un beau message d’espoir à tous ceux et celles qui pourraient connaître un tel sort.

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L’Étreinte ★★★☆

Margaux (Emmanuelle Béart) remonte de Nice vers Paris en TGV. Elle retrouve sa sœur (Eva Ionesco) à Neauphle-le-Château où elle revient s’installer dans la maison familiale. Elle reprend à l’université des études en littérature allemande et se retrouve au milieu d’une bande de joyeux lurons dont la séparent quelques dizaines d’années. On apprend bientôt que Margaux a perdu son mari six mois plus tôt. L’Etreinte raconte son deuil et sa douloureuse reconstruction.

L’Etreinte est un film paradoxal qu’on pourrait aisément éreinter en trois lignes ou bien essayer de défendre en trois paragraphes.

Le flingage en règle pointerait à raison la maladresse de certaines scènes, quelques incohérences de scénario et pourrait se moquer de son actrice : qui prend la liberté de critiquer Isabelle Huppert doit reconnaître à d’autres le droit de ne pas aimer Emmanuelle Béart.

La défense de ce film, à mon avis sensible et juste, demande plus de temps.

Elle suppose de parler d’Emmanuelle Béart, de sa révélation dès le milieu des années 80, de sa rapide consécration au rang d’icône dans les années 90, de ses rôles très dévêtus dans La Belle Noiseuse, J’embrasse pas, Un cœur en hiver. Elle suppose aussi de parler des ravages de la chirurgie esthétique qui l’ont défigurée attirant sur elle des commentaires éplorés et pas toujours empathiques, et d’une vie privée passablement chaotique.

Le parcours d’Emmanuelle Béart, sa vie cabossée résonnent intimement avec son personnage. Margaux a l’âge de son interprète (née en 1963) : la cinquantaine déjà bien entamée qui, de nos jours, range les femmes dans la catégorie, au choix, des quinquagénaires épanouies, des Milf ou des pré-retraitées. Elle en porte les stigmates : elle en garde paradoxalement l’innocence. Emmanuelle Béart interprète à la perfection cet entredeux indécis : elle est trop vieille pour être de plain pied avec les jeunes étudiants qui l’ont prise sous leurs ailes à la fac ; elle ne l’est pas tout à fait assez pour renoncer aux rêves qui les animent et aux pulsions qui les traversent.

Ludovic Bergery a un défaut. Il construit son scénario à la truelle, voulant par couches successives dresser le portrait chinois de la quinqua en reconstruction en la plaçant dans une succession de situations parfois caricaturales (on se serait volontiers épargné les scènes malaisantes à la piscine et avec les mafieux russes). Mais il a une qualité : il filme Emmanuelle Béart en gros plan. Il filme notamment son visage et ses lèvres dont on a dit combien la chirurgie esthétique (à 27 ans !! mais pourquoi diable une femme aussi belle est-elle allée prendre des risques sous le bistouri d’un chirurgien à 27 ans ?!) l’avait défigurée. Ce corps, d’une sensualité folle, ce visage toujours si beau, qui s’illumine parfois de taches de rousseur adolescentes, Emmanuelle Béart et son réalisateur nous les offrent comme un cadeau. Merci.

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Falling ★★★☆

John (Viggo Mortensen) a la cinquantaine bien entamée. Il vit aujourd’hui en Californie avec son mari et avec leur fille adoptive. Il a été élevé dans les années soixante dans une ferme isolée de l’Etat de New York par un père violent et par une mère soumise. Ses parents se sont séparés ; sa mère est morte ;  mais son père, Willis (Lance Eriksen), est toujours vivant.
Le vieillard, solitaire et aigri, rumine sa misanthropie. Bien qu’il ait souffert de son ingratitude sa vie durant, John prend sur lui de la lui pardonner.

Vous aimez les feel good movie ? N’allez pas voir Falling. C’est un film âpre, dur, dont on ne ressort pas indemne. Est-ce en raison des déchirures familiales qu’il décrit ? ou des patronymes scandinaves de ses deux principaux acteurs ? J’ai pensé au Bergman de Scènes de la vie conjugale et de Cris et chuchotements.

Le film joue sur deux temporalités. La vie contemporaine de John et son père est éclairée par de longs flashbacks qui racontent l’enfance du jeune homme dans cette ferme qu’on dirait intemporelle, noyée dans un hiver qui semble ne jamais devoir s’interrompre.

Falling se prête aisément à une lecture politique. C’est deux Amériques qui s’affrontent : celle de John, californienne et gay friendly vs. celle de Willis, machiste, homophobe, rurale, le doigt sur la gâchette. L’action se déroule en 2009 juste après l’élection d’Obama – dont John arbore fièrement le portrait dans sa cuisine tandis que bien sûr Willis, qui le traite de « nègre », l’a en détestation. Elle pourrait tout aussi bien se dérouler dix ans plus tard et mettre face à face pro- et anti-Trump.

Mais Falling est avant tout un drame familial poignant. Sans se presser, avec un classicisme qui n’est pas sans rappeler la manière de filmer de Clint Eastwood, Viggo Mortensen dont c’est le premier film est allé sonder les recoins les plus sombres de sa propre bibliographie pour raconter cette histoire. Il s’en est expliqué, dans un français impeccable, aux spectateurs du Forum des Images venus le regarder en avant-première l’avant-veille du couvre-feu en octobre 2020. J’avais le privilège d’en être. Merci monsieur Mortensen !

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La Vie de bohème (1992) ★★☆☆

Marcel (André Wilms) est un écrivain français philosophe dont la pièce de théâtre en vingt-et-un tableaux est refusée partout et qui vient d’être expulsé de son appartement. Le locataire qui lui succède est Schaunard (Kari Väänänen), un musicien irlandais, qui interprète sur son piano des compositions sinistres. Les deux hommes se lient d’amitié avec un troisième artiste, Rodolfo (Matti Pellonpää), un peintre albanais sans titre de séjour, qui vit sous la menace d’un arrêté d’expulsion. Les trois hommes et leurs amoureuses, Mimi et Musette, tirent le diable par la queue sans jamais perdre leur proverbial optimisme.

La rétrospective Kaurismäki de Arte s’est terminée au bout de six mois le 30 avril. Elle fut l’occasion de voir ou de revoir quelques uns des films du maître finlandais : Ariel (1988), La Fille aux allumettes (1990), Au loin s’en vont les nuages (1996), L’Homme sans passé (2002)… In extremis j’en ai vu le cinquième opus, adapté du feuilleton de Henry Murger publié au milieu du dix-neuvième siècle et qui inspira cinquante ans plus tard Puccini dans l’un des opéras les plus fameux au monde.

Après avoir vu la « trilogie du prolétariat » (dont Ariel et La Fille aux allumettes constituaient les deux derniers volets), on comprend immédiatement ce qui avait intéressé Kaurismäki dans ces Scènes de la vie de bohème : la description de la vie quotidienne de ces artistes sans le sou qu’unit une chaleureuse fraternité. Comme dans Ariel, comme dans La Fille aux allumettes, Kaurismäki filme dans un noir et blanc intemporel, qui rappelle les années quarante et le cinéma de Marcel Carné ou de Jean Grémillon, des gens de peu. Aucun misérabilisme, aucun sentimentalisme dans son cinéma quasi muet rempli d’un humour pince-sans-rire volontiers absurde ; mais au contraire une immense humanité qui constitue peut-être le fil rouge d’une oeuvre qui s’est déployée durant près de quarante années et qui se continue encore.

Pour autant, j’aurais tendance à placer cette Vie de bohème un chouïa en dessous de ses autres films et notamment d’Ariel ou de La Fille aux allumettes que j’ai tellement aimés. La raison en est en partie sa durée : La Vie de bohème dure cent minutes là où les deux autres, plus ramassés, en comptaient trente de moins. Une autre en est la difficile émigration d’un cinéaste finlandais qui, pour la première fois, filme en France (avant d’y revenir en 2011 pour Le Havre où il retrouvera André Wilms, Jean-Pierre Léaud et Evelyne Didi) avec un mélange assez improbable d’acteurs français et finlandais, ces derniers récitant leur texte en phonétique sans manifestement en comprendre un mot.

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Oxygène ★★☆☆

Une femme (Mélanie Laurent) se réveille dans un caisson médical de cryogénisation. Elle ne se souvient de rien : ni de son nom, ni de son passé, ni des circonstances qui l’ont conduite à cet endroit. Son seul contact avec le monde extérieur est la voix de l’intelligence artificielle (Mathieu Amalric) qui lui transmet bientôt une information alarmante : ses réserves en oxygène baissent dramatiquement lui laissant à peine plus d’une heure à vivre.
Aura-t-elle le temps de résoudre les mystères de son passé pour sauver sa vie ?

Oxygène est un film qui vient de loin. Le scénario, rédigé par Christie LeBlanc dès 2016, avait été remarqué par Hollywood. En 2017, Anne Hathaway était annoncée dans le rôle principal. Bientôt, Noomi Rapace la remplaçait en tête d’affiche. Finalement, le Covid obligea la production à renoncer à un tournage à Hollywood. Alexandre Aja se rapatria dans les studios d’Ivry-sur-Seine – où mon aîné tourne ses clips (petite minute de fierté paternelle) – et confia le rôle principal à Mélanie Laurent.

Oxygène est un survival movie comme Alexandre Aja en a tourné déjà plusieurs : un héros, isolé dans un environnement hostile, doit se battre pour sa vie. Celui-ci ajoute un défi supplémentaire : l’enfermement dans un espace confiné. La référence incontournable est bien sûr Buried, l’histoire dun Américain enterré vivant en Irak. Le film,  sorti dans un anonymat quasi complet en 2010, a acquis lentement sa célébrité grâce à un bouche-à-oreille élogieux. Mais ce sous-genre claustrophobe compte d’autres réalisations remarquables : le coréen Tunnel, le danois Exit

Oxygène s’inscrit honorablement dans cette généalogie. Le défi scénaristique est relevé haut la main : le film dure une heure quarante sans baisse de rythme grâce à une série de rebondissements qui maintiennent la tension tout du long. Pour autant, ce huis clos angoissant, ce suspense bien ficelé, remarquablement servis par l’interprétation de Mélanie Laurent (que seuls des esprits indélicats accuseront de manquer de crédibilité dans le rôle d’un prix Nobel) ne décolle jamais vraiment. Ses enchaînements sont trop bien huilés, ses flash-backs trop systématiques, l’alternance des progrès et des reculs de son héroïne trop répétitive pour réellement susciter l’enthousiasme.

Et qu’on ne vienne pas me dire que Oxygène capture « l’étouffement de sa triste époque, ainsi que son angoisse du lendemain » (Mad Movies). Certes les confinements à répétition furent difficiles à vivre ; mais rien de comparable avec la vie sans oxygène dans un caisson cryogénisé.

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La Dernière Séance (1971) ★★★☆

Dans une petite ville quasiment déserte du nord du Texas, à la frontière de l’Oklahoma, en 1950-1951, La Dernière Séance raconte la dernière année de lycée de trois adolescents : Sonny (Timothy Bottoms) qui s’est trouvé avec Sam (Ben Johnson), le propriétaire du cinéma, un père de substitution, Duane (Jeff Bridges), qui ne rêve que de partir, et Jacy (Cybil Shepherd) qui, sous l’influence d’une mère (Ellen Burstyn) qui veut lui éviter les erreurs qu’elle a faites, se cherche le meilleur parti possible.

La Dernière Séance est un film déconcertant pour qui le voit cinquante ans après sa sortie. Car c’est un film tourné au début des années soixante-dix dont l’action se déroule vingt ans plus tôt. Il est profondément ancré dans une époque, celle des années cinquante, dont il fait revivre l’ambiance, les décors, les costumes. Mais quelques indices – notamment les scènes de nu qui, à sa sortie, firent encore scandale – nous mettent la puce à l’oreille : un tel film n’aurait pas pu être tourné avant 1970.

La Dernière Séance est l’oeuvre d’un jeune réalisateur, cinéphile obsessionnel venu de la critique de cinéma (il regardait environ quatre-cents films par an dont il rédigeait une critique pour chacun !). Bogdanovich nourrissait pour Hawks, Ford et Welles une admiration revendiquée. Son premier film s’inscrit dans cette généalogie. Son héros rappelle le James Dean de La Fureur de vivre. Les événements qu’il vit dans la petite ville de Anarene, sans jamais en franchir les limites, rappellent l’enfermement des personnages de La Poursuite impitoyable de Arthur Penn. Il a lancé la carrière de Jeff Bridges et de Cybil Sheperd – qui était à l’époque la compagne de Peter Bogdanovich.

Le film eut un immense succès. Il reçut huit nominations aux Oscars – mais deux statuettes seulement pour les meilleurs seconds rôles masculin et féminin. L’agrégateur de critique Rotten Tomatoes lui donne une note de 100 %. Son succès est mérité. La Dernière Séance est un film profondément mélancolique qui n’a pas pris une ride.

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Midway ★★☆☆

La dernière superproduction hollywoodienne de Roland Emmerich, le réalisateur testostéroné de Independence Day, Godzilla ou Le Jour d’après, prend pour cadre la Guerre du Pacifique depuis l’agression de Pearl Harbor en décembre 1941 jusqu’à la bataille de Midway en juin 1942. Elle suit le parcours de quelques uns de ses protagonistes : le pilote Dick Best (Ed Skrein), l’officier de renseignement Edwin Layton (Patrick Wilson, sosie de Kevin Costner jeune), l’amiral Nimitz, commandant de la flotte du pacifique (Woody Harrelson, le cheveu blanchi), le vice-amiral Bull Hasley (Dennis Quaid), l’amiral Yamamoto, commandant en chef de la flotte japonaise (Etsushi Toyokawa), etc.

Midway est une superproduction pétaradante qui vise sans s’en cacher les amateurs du genre – et ils sont nombreux – quitte à abandonner les autres sur les bords du chemin. Le résultat n’est pas nécessairement perdant : le film a coûté cent millions de dollars, mais en aura remporté vingt de plus.

Midway était sorti en France fin 2019 précédé d’une réputation calamiteuse. Les mauvais échos que j’en avais entendus m’avaient dissuadé d’aller le voir à l’époque. J’ai voulu en avoir le cœur net. Et j’avoue que j’ai pris à le regarder un plaisir régressif que je n’escomptais pas. Certes Midway n’est pas un chef-d’oeuvre. Il utilise les recettes éprouvées du genre : des scènes d’action ébouriffantes, des jeunes héros charismatiques, l’exaltation malaisante du patriotisme…. Mais il le fait avec suffisamment d’assurance et de brio pour emporter la conviction.

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