Dressé pour tuer ★★☆☆

Julie (Christy McNichol) percute un berger allemand sur une route de Los Angeles. Elle le soigne, le recueille et s’y attache. Mais elle comprend bientôt que l’animal est dangereux, qui a été dressé pour attaquer les hommes noirs.
Avec l’aide de Keys (Paul Winfield), un dresseur afro-américain, Julie va entreprendre la rééducation de son chien.

« C’était un chien gris… » C’est par ces mots que commence Chien blanc, le livre de Romain Gary publié en 1970. Ce roman autobiographique raconte la vie du prix Goncourt aux États-Unis, son récent mariage avec Jean Seberg, ses rencontres dans le L.A. huppé où il croise Marlon Brando et les leaders du NAACP.

L’adaptation qu’en fait Samuel Fuller n’y a pas grand chose à voir, qui a pour héros un berger allemand – cinq furent en fait utilisés pendant le tournage – blanc comme neige. À se demander même si le vieux réalisateur, gloire déchue du Hollywood des années cinquante, a lu le livre de Gary. Il n’en retient qu’une facette : l’histoire de ce chien dressé depuis son plus jeune âge à attaquer les humains à peau noire.

Le film est construit en deux parties. La première, particulièrement niaise, met en scène la jeune Julie et son chien. Aussi mignonne soit-elle, Christy McNichol, qui d’ailleurs ne fit pas carrière, est calamiteuse qui passe son temps à faire des mamours à son chien, lequel retrousse les babines voire saute sauvagement à la gorge de tous les Noirs qu’il croise. Une fois que la donzelle, la larme à l’œil, a compris quel monstre elle a recueilli sous son toit commence la seconde partie : celle de la rééducation. C’est l’occasion des meilleures scènes du film.

Samuel Fuller ne s’embarrasse pas de longs discours. Il donne à voir sans donner à penser. Derrière la rééducation de ce chien assassin, conditionné à attaquer les hommes de couleur, c’est le procès de l’Amérique raciste, sinon celui de la condition humaine, que Gary intentait posant des questions autrement existentielles : le racisme est-il inné ou acquis ? peut-on l’inoculer ? peut-on en guérir ? Pareil questionnement n’est pas dans les habitudes du cinéma coup-de-poing de Samuel Fuller.

On imagine sans surprise un épilogue convenu qui verrait le gros toutou enfin guéri lécher copieusement les joues de Julie tombée entretemps amoureuse de son beau et noir dresseur. Mais à rebours du happy end attendu, Samuel Fuller a la bonne idée de respecter celui de Romain Gary.

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Sunset ☆☆☆☆

En 1913 à Budapest, Irisz Leiter est à la recherche de ses origines. Ses parents sont morts dans l’incendie de leur chapellerie qui, depuis lors, est dirigée par un capitaine d’industrie cynique et sans scrupule, Oszkár Brill.
La jeune Irisz réclame sinon sa part d’héritage, du moins un emploi que M. Brill lui refuse. La raison de son refus se révèle à Irisz progressivement : un vif désaccord a opposé le frère d’Irisz, Kálmán, au repreneur de l’affaire de ses parents. Kálmán a disparu, prenant la tête d’une bande de jeunes révolutionnaires. Irisz part à sa recherche.

On se souvient du précédent film de László Nemes et du choc qu’il avait causé à Cannes en 2015. Le Fils de Saul qui filmait de l’intérieur, à travers les yeux d’un membre d’un Sonderkommando, l’horreur d’Auschwitz. Le Fils de Saul reposait sur un mode opératoire très particulier : des longs plans séquences au plus près de son personnage, une caméra myope, sans focale, incapable de distinguer une image nette à plus d’un mètre, une bande son saturée de bruit et de cris.

Sunset reproduit exactement le même procédé. Comme dans Le Fils de Saul, la caméra ne quitte pas Irisz. Comme dans Le Fils de Saul, les plans-séquences d’une incroyable virtuosité se succèdent, certains dépassant la dizaine de minutes. Comme dans Le Fils de Saul, on voit le monde à travers les yeux myopes d’Irisz : un grand flou et beaucoup de bruit.

Autant ce procédé était pertinent pour Auschwitz, autant il ne l’est guère pour filmer la fin d’une époque, ce flamboyant crépuscule de l’empire austro-hongrois qui allait s’écrouler un an plus tard dans les tranchées de la Première guerre mondiale.

Car, une fois qu’on aura compris que « tout est chaos » (ainsi que l’avait chanté une Mylène Farmer désenchantée), les cent-soixante deux minutes du film sont bien longues. Elles le sont d’autant plus que László Nemes ne nous facilite pas la tâche en nous entraînant dans une histoire rocambolesque et touffue dont on a tôt fait de décrocher. On est vite perdus, comme on l’est par exemple à la lecture des romans de Thomas Pynchon ou de Don DeLillo. Pour certains c’est le signe d’un génie ; pour d’autres d’une fumisterie.

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Fukushima, le couvercle du soleil ★☆☆☆

Le 11 mars 2011, le Japon connaît le plus important séisme de son histoire : un tremblement de terre de magnitude 9 dont l’épicentre se situe à 130 km des côtes nord-est de Honshu, l’île principale de l’archipel nippon. Le séisme et le tsunami qu’il provoque mettent hors service le système de refroidissement de la centrale nucléaire de Fukushima, située sur la côte.
L’évacuation des populations est immédiatement décidée.
Sans système de refroidissement, les cœurs des réacteurs nucléaires vont entrer en fusion.

À mi-chemin entre le documentaire et la fiction, le film de Futoshi Sato raconte la réaction des autorités à cette catastrophe. Il est inspiré du livre du directeur adjoint du cabinet du Premier ministre La Crise nucléaire – Un témoignage depuis la Résidence du Premier Ministre. S’il n’utilise quasiment aucune image d’archives, il fait endosser par des acteurs professionnels le rôle des principaux protagonistes : le Premier ministre Naoto Kan, son directeur de cabinet – qui eut la lourde tâche d’informer la presse -, le directeur de l’Agence de sûreté nucléaire, le PDG de la compagnie d’électricité TEPCO…

La gestion de crise est un formidable matériel dramaturgique. Unité de lieu, unité de temps, unité d’action. Tout est combiné pour entretenir la tension. Les séries l’ont bien compris, de West Wing à House of cards en passant par Borgen ou Occupied. Aussi on s’étonne que le cinéma ne se soit pas plus souvent essayé à décortiquer la décision publique en temps de crise. J’ai beau réfléchir, je ne vois guère que Treize jours (2000) avec Kevin Costner sur la crise des missiles à Cuba en 1962. Pourquoi n’y a -t-il pas de films qui racontent en temps réel le 11 septembre  à la Maison-Blanche ou le 7 janvier (la tuerie de Charlie Hebdo) à l’Élysée ?

Aussi est-ce avec beaucoup de gourmandise que je suis allé voir cette œuvre japonaise confidentielle sortie en mars dans une seule salle parisienne et bien vite disparue des écrans. La raison en devient vite évidente : Fukushima, le couvercle du soleil n’a pas les moyens de ses ambitions. Le scénario choral s’égare entre des personnages trop nombreux alors qu’il aurait dû se concentrer sur l’entourage du Premier ministre. Les scènes d’extérieur sont trop artificielles pour être crédibles. Tout se réduit vite à des réunions où des conseillers exclusivement masculins – les féministes de Politiqu’Elles pourraient à bon droit s’insurger de la sous-représentation des femmes dans les cercles décisionnels japonais – s’égosillent pour prévenir une catastrophe qu’ils sont impuissants à éviter.

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Exfiltrés ★☆☆☆

Assistante sociale en Seine Saint-Denis, Faustine (Jisca Kalvanda) s’est radicalisée à l’insu de son mari au contact de quelques jeunes dont elle a eu la charge, partis combattre avec Daech en Syrie. Prétextant à son époux un séjour balnéaire en Turquie, elle décide de les rejoindre en compagnie de son fils de cinq ans. Mais dès son arrivée à Rakka, la jeune Française déchante vite.
Resté en France, Sylvain (Swann Arlaud), son époux, va faire flèche de tout bois pour la sauver. Grâce à Patrice (Charles Berling), le chirurgien auprès de qui il travaille, il contacte Gabriel (Finnigan Oldfield) qui travaille dans une ONG à la frontière turco-syrienne. Celui-ci va actionner les contacts d’Adnan au sein de l’Armée syrienne libre pour faire libérer Faustine.

Il y a deux façons de filmer la radicalisation. La première, « à l’américaine » prend le parti assumé de l’action, reconstituant (dans les sables marocains) les tentatives d’infiltration de courageux Occidentaux pour démanteler des filières jihadistes. On pense aux films de Paul Greengrass. La seconde, « à la française » est plus psychologique : elle s’intéresse moins aux jihadistes syriens qu’aux effets que leur message produit en France – où leur action se déroule quasi exclusivement. C’est Made in France de Nicolas Boukhrief (dont on se souvient que l’attentat du Bataclan avait conduit à sa déprogrammation), Les Cowboys de Thomas Bidegain (2015), Le ciel attendra de Marie-Castille Mention-Schaar (2016), Mon cher enfant de Mohamed Ben Attia (2018).
Si l’on était pédant, on dirait que cette dichotomie reproduit le débat qui oppose Gilles Kepel et Olivier Roy sur les racines de la radicalisation. Le premier – dont on retrouve les prémisses dans le cinéma « américain » – considère que l’enjeu est politique voire civilisationnel. Le second au contraire considère que la radicalisation est avant tout un processus individuel, une forme de « nihilisme générationnel ».

Le problème de Exfiltrés est de vouloir jouer sur les deux tableaux. Comme un film américain, il raconte une évasion, en direct, à Rakka, avec ses rebondissements et son happy end prévisible. Mais comme d’autres films français avant lui, il s’essaie à une tentative de psychologisation, non pas d’un (Faustine dont on peine à comprendre comment elle a versé dans l’extrémisme) mais de deux (Gabriel dont on ne sait quel fond de culpabilité pousse à aller faire le bien des gens malgré eux) voire de trois personnages (Adnan qui a survécu aux tortures de la police de Assad puis des barbus de Daech avant de réussir à gagner la France).

C’est beaucoup. Et c’est trop si on ne s’en donne pas les moyens. Or Exfiltrés, s’il est filmé non sans maîtrise, n’a pas les moyens de son ambition. Sa mise en scène est trop sage, son tempo trop lent, ses rebondissements trop mous pour éviter que ce film, mal distribué, ne disparaisse des écrans trois semaines à peine après sa sortie.

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Les Moissonneurs ★★☆☆

C’est une famille unie dans une ferme isolée de l’Afrique du sud blanche et dévote. Un père, une mère, un fils, trois filles. Un jour, un nouvel enfant fait son arrivée. Il s’appelle Pieter, il a le même âge que Janno, le fils jusqu’alors unique. Abandonné par ses parents, il a vécu une enfance douloureuse et solitaire.
La cohabitation entre les deux adolescents s’annonce difficile.

Les Moissonneurs nous fait voyager dans un monde exotique : la province sud-africaine du Free State, ses hauts plateaux, ses immenses champs de blé. C’est le bastion des boers, ces colons blancs installés dans ce bout du monde depuis plusieurs siècles. La fin de l’apartheid les a privés de leur pouvoir mais n’a guère modifié leur mode de vie et leur isolement. Le Free State serait dit-on la région du monde comptant le plus grand nombre de pratiquants fervents.

Le premier film de Etienne Kallos restitue l’atmosphère hors du temps de cette communauté. Sans le téléphone portable qu’utilise une seule fois Jan, le père de famille, on se serait cru cinquante ans plus tôt, dans un monde sans ordinateur, sans télévision.

L’arrivée de Pieter met à mal le clan familial. L’adolescent, narco-dépendant, est particulièrement violent. Son irruption provoque le dévoilement de secrets jusque là étouffés. Il révèle au spectateur le pacte sur lequel est construit sa famille d’accueil. Sa relation avec Janno, qui combat des pulsions homosexuelles inavouables, est un mélange complexe de rivalité et d’attirance mutuelle.

Si Les Moissonneurs nous plonge dans une ambiance déroutante, son scénario trop pauvre ne réussit pas à maintenir l’intérêt sur la durée. Dommage…

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Maguy Marin : l’urgence d’agir ★★☆☆

Depuis près de quarante ans, Maguy Marin occupe une place bien à elle dans la danse contemporaine française. Formée à Bruxelles par Maurice Béjart, elle dirige le Centre chorégraphique national de Créteil puis de Lyon.
Son style s’inspire de la Tanztheater de Pina Bausch.
Fille d’immigrés espagnols, elle a sa vie durant pratiqué une forme d’art engagé. Sa danse est le reflet de son époque et le documentaire que lui consacre  son fils Daniel Mambouch, né en 1981, qui a passé son enfance avec sa mère dans les coulisses des théâtres et qui joue désormais dans sa compagnie, est l’occasion de revisiter l’histoire contemporaine.
Il a pour fil directeur May B, une pièce pour dix interprètes grimés d’argile inspirée des textes de Samuel Beckett.

La danse est un art profondément cinématographique. Art visuel, art cinétique, la danse n’est jamais mieux représentée que par l’œil de la caméra. Aussi ne s’étonnera-t-on pas que de nombreux documentaires lui soient consacrés. Avant ou après sa mort, Pina Bausch en a eu son lot : Les Rêves dansants en 2010, Pina de Wim Wenders filmé en 3D en 2011. Le ballet de l’Opéra de Paris a eu aussi les siens : sous l’œil du grand documentariste américain Frederick Wiseman (La Danse, le ballet de l’Opéra de Paris en 2009) ou sous ceux de Thierry Demaizière et Alban Teurlai (Relève en 2017).

Le documentaire de Daniel Mambouch ne révolutionnera pas le genre. Son originalité tient à l’identité de son réalisateur et à son lien avec son sujet. Maguy Marin : l’urgence d’agir montre autant une chorégraphe qu’une femme. Il enchantera les amateurs de danse contemporaine. Il émouvra les fils et les mères.

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La Cacophonie du Donbass ★☆☆☆

La propagande soviétique a longtemps fait du Donbass, une région minière située à l’est de l’Ukraine, une terre de cocagne. Ses travailleurs étaient des demi-dieux prolétariens. Stakhanov, qui en une nuit d’août 1935 abattit la tâche normale de sept de ses collègues, en devint le mythique porte-drapeau. Ils étaient les héros du film La Symphonie du Donbass réalisé en 1930 par Dziga Vertov.

Mais derrière le mythe stakhanoviste, la réalité était tout autre.
Le réalisateur ukrainien Igor Minaïev montre l’envers du décor. Il documente les terribles conditions de vie qui prévalaient dans cette région qui bascula en 2013 dans la guerre civile.

Son court documentaire (une heure et deux minutes seulement) traite deux sujets en un. Le premier est sans doute le plus intéressant : il s’agit de montrer comment la propagande soviétique a fait du Donbass une vitrine du communisme. Les images d’archives dénichées par le réalisateur sont édifiantes. La réalité était bien plus triste, marquée par la pauvreté, l’alcoolisme, les accidents de travail.

Le second est plus actuel. Le documentaire raconte la guerre civile de 2013-2014 qui ensanglanta la région. Dans un long témoignage, une femme, la cinquantaine, raconte comment, suspectée de sympathies pro-ukrainiennes, elle a été violentée par les milices pro-russes et conspuée par une foule ivre de haine.
La même scène figure dans la fiction de Sergueï Loznitsa Donbass sortie l’automne dernier. On y voyait une douzaine de moments clés de la guerre, tous aussi traumatisants les uns que les autres. La charge était lourde, parfois pachydermique, qui dénonçait la violence des séparatistes. Mais le résultat était autrement convaincant que cette Cacophonie du Donbass, qui cherche, contre toute logique, à identifier une généalogie entre la mystification soviétique et la guerre civile contemporaine.

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Depuis Médiapart ★★☆☆

La documentariste Naruna Kaplan de Macedo a été embedded pendant un an dans la rédaction de Médiapart. Des centaines d’heures de rush qu’elle y a tournées, elle en a gardé avec sa monteuse cent minutes principalement consacrées à la campagne présidentielle de 2017 et à la victoire inattendue d’Emmanuel Macron.

Naruna Kaplan de Macedo partait avec un lourd handicap. Plusieurs documentaires ont filmé la vie quotidienne d’une rédaction : Numéro zéro de Raymond Depardon sur le lancement du Matin de Paris (1977), À la Une du New York Times (2011), Les Gens du Monde (2014), Contre-Pouvoirs de Malek Bensmaïl dans la rédaction du journal algérien El Watan (2016)… En choisissant de le faire à la veille de l’élection présidentielle, elle courait par ailleurs le risque de raconter une histoire que d’autres médias plus immédiats auraient déjà racontée avant elle : la victoire surprise de Fillon à la primaire de la droite, la défection de Hollande, la défaite de Manuel Valls à la primaire de la gauche, la décapilotade de Fillon, le ralliement de Bayrou, etc.

Naruna Kaplan de Macedo évite cet écueil. Sa caméra ne sort quasiment jamais de l’espace clos de la rédaction. Elle filme – ce que le cinéma réussit rarement – des gens au travail, en conférence de rédaction, seuls devant leur ordinateur, au bout de leur téléphone… On voit les journalistes se remettre en cause : « pourquoi n’a-t-on pas vu venir le Brexit, la victoire de Trump et demain peut-être celle de Marine Le Pen ? »

La rédaction de Médiapart avait un positionnement intéressant dans cette campagne. Marquée à gauche, elle ne pouvait qu’appréhender la victoire annoncée d’Alain Juppé. Sa défaite aux primaires de la droite ne changeait guère la donne : Fillon allait l’emporter. Mais rien n’allait se passer comme prévu. Tout en s’efforçant de conserver son objectivité, la rédaction s’insurge contre Marine Le Pen et contre le fait qu’on considère sa qualification au second tour comme un événement normal. Elle s’enflamme pour Mélenchon et se déchire, le soir du premier tour, sur son refus ambigu de donner des consignes de vote pour le second. Elle se montre très suspicieuse à l’égard du nouveau président et de la Macronmania qu’il suscite.

Une dimension manque : Médiapart a révolutionné le journalisme en renonçant au papier. Or, rien n’est dit de cette révolution et de la conséquence qu’elle a sur le métier de journaliste.

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Mais vous êtes fous ★★★☆

Roman (Pio Marmaï) est dentiste à Paris. Il forme avec Camille (Céline Sallette) et leurs deux filles une famille unie. Mais Roman cache un lourd secret : il est cocaïnomane. Un jour, lorsque sa fille cadette prise de convulsion est hospitalisée, des analyses révèlent la présence de cocaïne dans ses urines. Le résultat des tests capillaires ne lui permet plus de se dérober.
Roman est suspecté d’avoir voulu empoisonner sa fille. Camille, si elle ne veut pas être accusée de complicité et privée du droit de visite à ses filles, confiées par l’aide sociale à l’enfance à leurs grands-parents, se voit contrainte de se séparer de lui.

S’il n’était pas inspiré d’une histoire vraie, le scénario de Mais vous êtes fous pourrait sembler tiré par les cheveux. Comment un homme peut-il cacher à sa femme sa consommation quotidienne de cocaïne ? Comment les rencontres avec son dealer, les sorties d’argent, les sautes d’humeur peuvent-elles passer si longtemps inaperçues ? Comment ensuite la cocaïne absorbée par un père peut-elle se retrouver dans les urines de sa fille ? Comment enfin, l’hôpital ayant signalé les faits à la police, ledit père peut-il se trouver sous le coup d’une accusation d’homicide volontaire ?

Mais ce film n’est pas un polar. Comme l’annonce son affiche, il interroge le couple, sa capacité à surmonter les épreuves les plus rudes. Il n’y a guère de suspense : passé un premier instant d’incompréhension et de colère, Camille est solidaire de Roman qui, de son côté, se soigne de son addiction avec une détermination qui force l’admiration. Au milieu du film, on craint que Mais vous êtes fous ne cède à la facilité d’un scénario écrit d’avance. Mais, son épilogue, aussi surprenant que logique, le sauve de la facilité.

Mais vous êtes fous a un autre atout : son interprétation. À commencer par ses deux héros : Pio Marmaï et Céline Sallette dans deux rôles très physiques sont absolument justes. On reconnaît parmi les seconds rôles Carole Franck – dont on n’imaginait pas qu’elle ait déjà l’âge d’incarner une grand-mère – et Valérie Donzelli – qu’on ne voit plus guère devant les caméras depuis sa rupture avec Jérémie Elkaïm.

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D’Agata – Limite(s) ★★☆☆

Originaire de Marseille, Antoine d’Agata est un des photographes les plus radicaux et les plus célèbres de sa génération. Franck Landron le suit dans ses voyages, en France et en Thaïlande, et interroge une œuvre qui repousse les limites.

L’œil kamikaze : tel était le beau titre du portrait que Libération avait consacré à Antoine d’Agata en 2016. Titre qui renvoie à l’œil gauche qu’il a perdu dans une rixe à vingt ans (qu’un témoin visuel évoque dans le documentaire de Landron), mais aussi bien sûr à son métier de photographe et surtout à sa façon immersive de l’exercer. Si D’Agata filme la guerre, la prostitution, la drogue, il s’y immerge corps et âme. Sans fard, sans retenue, il baise des prostituées, se dope à la coke et à l’héroïne.

Le documentaire de Franck Landron en rend compte. Il ne se borne pas à nous montrer les photos de D’Agata, tel ce nu veiné d’une femme d’une maigreur maladive au sexe glabre ou ces corps entrelacés dans mille et une positions érotiques. Il nous montre D’Agata lui-même qui sniffe et se shoote.

Le résultat est dérangeant. Comment ne le serait-il pas ? Mais Landron ne verse jamais dans la complaisance. Comme il le reconnaît lui-même dans ses commentaires en voix off, il cherche à comprendre une œuvre créatrice et auto-destructrice. Créatrice car auto-destructrice.

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