Heureux comme Lazzaro ★★★☆

Lazzaro est un benêt. Il vit parmi les siens, des paysans pauvres qui exploitent un champ de tabac pour le compte d’une aristocrate, la marquise Alfonsina De Luna, qui, avec le concours de son contremaître, les maintient dans un état anachronique de servitude. Lazzaro se rapproche du fils de la marquise en pleine rupture de ban et l’aide à se cacher dans la montagne en faisant croire à une prise d’otage doublée d’une demande de rançon.
Mais Lazzaro fait une chute mortelle. La demande de rançon a attiré l’attention des Carabiniers qui libèrent les paysans de leurs jougs et les escortent en ville. Les années passent. Miraculeusement, Lazzaro se réveille. Il n’a pas vieilli d’un jour. Il marche jusqu’à la ville et y retrouve ses amis.

Heureux comme Lazzaro est le troisième film de Alice Rohrwacher. Ses deux premiers étaient remarquables. Corpo Celeste (2011) racontait l’histoire d’une petite fille en Calabre à la veille de sa première communion. Les Merveilles (2014) campait une famille de joyeux marginaux vivant de la culture du miel dans les montagnes de l’Ombrie.

Dans sa première partie, Heureux comme Lazzaro rappelle les drames pastoraux de Ermanno Olmi (L’Arbre aux sabots) ou des frères Taviani (Padre, padrone). L’action se déroule hors du temps (sommes-nous au début du vingtième siècle ou à sa fin ?). La vie de la communauté est rythmée par les travaux des champs. La terre est dure à l’homme. Lazzaro est un simple qui oppose un sourire inaltérable et une gentillesse sans fon à la méchanceté du monde.

Et brutalement, basculant dans le réalisme fantastique, Heureux comme Lazzaro bifurque. Son héros meurt pour renaître à lui-même plusieurs années plus tard. Il n’a pas pris une ride. Mais le monde autour de lui a changé. Ses proches ont quitté la campagne après que les pratiques d’un autre âge de la marquise De Luna ont été démasquées. Pour autant, entassés dans des abris de fortune au bord des rails, bruyants et pollués, ils ne vivent guère mieux.

La parabole prend vite son sens. On comprend qu’il s’agit de dénoncer le sort des opprimés, hier à la campagne, aujourd’hui à la ville. La fable pourrait être lourdement démonstrative. Elle réussit à ne pas l’être. Le mérite en revient aux acteurs, notamment à Alba Rohrwacher, la propre sœur de la réalisatrice, qui jouait déjà dans Les Merveilles, qui interprète ici le rôle d’Antonia, la gamine de la première partie devenue une belle adulte dans la seconde.

Heureux comme Lazzaro, ses deux films en un, pourront laisser le spectateur sur le bord du chemin ou le séduire par son subtil équilibre entre poésie et politique.

La bande-annonce

Premières solitudes ★☆☆☆

Claire Simon devait tourner un court métrage avec des élèves de première, option cinéma, d’un lycée du Val-de-Marne. Avant de commencer ce travail, la réalisatrice les a filmés face caméra leur demandant de parler de la solitude. Leurs réponses l’a étonnée : au lieu de parler de leurs premières solitudes, les jeunes lui ont parlé de leurs parents, de leurs difficultés à communiquer avec eux.
La réalisatrice a eu l’idée d’en faire un long métrage.

J’aurais adoré aimer ce documentaire qui a priori présentait tous les ingrédients dont sont faits les films qui me touchent. Sa réalisatrice d’abord, dont on connaît depuis plus de vingt ans l’œuvre sensible, entre documentaires (Récréations sur une cour de maternelle, Le Concours sur la sélection à l’entrée à la Fémis) et fictions (Ça brûle, Gare du nord). Son sujet ensuite : ces jeunes lycéens à l’orée de leur vie, pleins d’enthousiasme et d’appréhension, de courage et de maladresse. Et enfin les critiques élogieuses qu’on lit depuis une semaine, saluant « un film exceptionnel de justesse, de sincérité, de pudeur et de profondeur » (Le Figaro), un documentaire « tour à tour drôle, malicieux, troublant et poignant » (Première).

Hélas, mille fois hélas, la sauce ne prend pas. Le documentaire est constitué d’une dizaine de saynètes où les jeunes sont filmés par deux ou trois dans leurs lieux familiers : les salles de cours, les terrains de sport, le bus… Le procédé frappe par son artificialité. Les dialogues sonnent faux, manquent d’authenticité. Il devient vite répétitif faute de ligne directrice. Les lycéens parlent de leurs parents, des couples souvent bancals :  un père muré dans son silence que son fils, un grand malabar, ne peut pas évoquer sans pleurer, une mère qui regarde des films sur sa console pendant que sa fille dîne seule. Et ils parlent d’amour avec une candeur désarmante – loin de l’image inquiétante d’ados sevrés de vidéos X.

Sur le même canevas, David André avait filmé en 2013 un bijou Chante ton bac d’abord qui suivait des lycéens de Boulogne-sur-mer durant l’année précédant leur bac. Au contraire Premières solitudes s’étire trop sagement, trop gentiment, trop mièvrement, sans jamais susciter l’empathie ni même l’intérêt.

La bande-annonce

Overlord ★☆☆☆

À la veille du Débarquement, un groupe de soldats américains est envoyé en France pour y saboter une antenne allemande de transmission. Après un parachutage chaotique, ils trouvent refuge dans un petit village. Son église fortifiée a été transformée en hôpital par les Nazis qui s’y livrent à de mystérieuses expériences.

Dans sa première partie, Overlord a des airs de Band of Brothers. On y voit un peloton de soldats américains débarquer en Normandie sous le feu ennemi et tenter tant bien que mal de s’y cacher et d’y mener à bien sa mission. Rien qu’on ait déjà vu mille fois, filmé avec autrement de talent dans par exemple Il faut sauver le soldat Ryan, Inglorious Bastards, Fury ou Monuments Men. Rien non plus d’indigent car J.J. Abrams, qui ne signe pas la réalisation mais contrôle la production, n’a pas lésiné sur les moyens pour filmer, comme si on y était, le parachutage en temps réel d’une unité aéroportée de Marines pris sous le feu de la DCA allemande.

Et dans la seconde partie, le film bascule dans l’horreur sinon dans l’épouvante. Là encore, il revisite des scénarios déjà existants – quoique plus oubliables que les films de guerre précédemment cités. Dans War of the Dead (2011), Marko Mäkilaakso imaginait que les nazis avaient mis au point en 1941 un virus qui permettrait de transformer les hommes en créatures immortelles assoiffées de sang humain. Le scénario était déjà le même dans Outpost (2008) de Steve Barker. Des séries B sinon Z tombées dans un oubli mérité.
Dans Overlord, les méchants nazis utilisent des malheureux villageois français pour tester sur eux un élixir diabolique leur donnant l’immortalité et une force surhumaine.

Le film n’épouvantera pas grand’monde et n’intéressera personne sinon quelques ados boutonneux fan de comics. Il est révélateur de la place qu’occupent dans notre imaginaire les Nazis. Avec leurs uniformes fétichisés, leur idéologie démente, leur violence froide, leur discipline de fer, ils continuent soixante-dix ans après leur défaite à personnifier le mal absolu.

À signaler dans le rôle du méchant très méchant Pilou Asbæk (Borgen, Game of Thrones) toujours excellent et la révélation d’une jeune actrice française dont on reparlera : Mathilde Ollivier.

La bande-annonce

Millenium : Ce qui ne me tue pas ★☆☆☆

Lisbeth Salander est de retour. La cyberpunk est recrutée pour remettre la main sur un logiciel permettant de contrôler l’accès aux sites de lancement d’armes nucléaires. Mais elle n’est pas la seule sur le coup : le NSA est de la partie ainsi qu’un mystérieux gang de mercenaires.
L’enquête oblige Lisbeth à se confronter à son passé : un père toxique et une sœur aussi blonde qu’elle est brune.

On sait que Stieg Larsson avait écrit une trilogie publiée après sa mort en 2004 et devenue populaire dans le monde entier. Ses ayants-droits ont confié à David Lagercrantz le soin d’en écrire la suite. Un quatrième tome est sorti en 2015. Publié sous le titre suédois Det som inte dödar oss (littéralement « Ce qui ne me tue pas »), bizarrement traduit en anglais The Girl in the Spider’s Web, le roman traduit en trente-huit langues connut un succès mondial que ne parvint pas à altérer les procès en paternité des fans les plus irréductibles de Stieg Larsson.

L’Urugayen Fede Alvarez, qui s’est fait une réputation en signant quelques films d’horreur pour adolescents boutonneux, a été recruté pour en signer l’adaptation. Il peine à faire oublier les quatre films précédents : les trois suédois directement inspirés de la trilogie avec Noomi Rapace dans le rôle de Lisbeth Salander et le film de David Fincher (inspiré du premier roman) avec Rooney Mara. Sa seule qualité : Claire Foy dans le rôle principal qui est décidément l’actrice de l’année’ avec sa prestation dans The Crown puis dans les films de Steve Soderbergh (Paranoïa) et Damien Chazelle (First Man).

Cette version de Millenium louche ostensiblement vers James Bond depuis son générique qui reproduit les tocs et les tics des productions signées Albert R. Broccoli (j’adore ce nom !). Comme dans James Bond, le héros/l’héroïne est indestructible et vient à bout, par son intelligence et par sa force, des plus redoutables méchants au terme de combats épiques filmés dans des décors à couper le souffle. Comme dans James Bond – et comme dans Mission Impossible ou Jason Bourne – on multiplie les gadgets électroniques et on voit défiler entre les bras du personnage principal quelques sylphides donzelles dénudées. Car Lisbeth Salander est une héroïne de son temps : femme, bisexuelle, punk, maîtrisant comme une seconde peau les arcanes du www.

Mais l’intérêt de cette superproduction hollywoodienne tournée sur les bords enneigés de la Baltique s’arrête là. Si on ne s’ennuie pas une seconde, on oubliera sitôt sorti de la salle, ce divertissement sans profondeur. Et on redoute par avance la sortie du suivant, tiré du tome 5, qu’on ira voir si et seulement si Claire Foy accepte d’y jouer.

La bande-annonce

Un amour impossible ★★☆☆

Rachel (Virginie Effira) vient de coiffer la Sainte Catherine à Châteauroux à la fin des années cinquante. Elle rencontre Philippe (Niels Schneider), en tombe amoureuse, en attend bientôt un enfant. Mais Philippe ne veut ni l’épouser ni même reconnaître la petite Chantal.
Les années passent. Rachel élève seule sa fille mais est attachée à garder le contact avec son père qui s’est entre-temps marié. Chantal a une adolescence difficile, étouffe auprès de sa mère, fantasme un père d’autant plus merveilleux qu’il reste lointain.

Il est difficile d’aller voir le film de Catherine Corsini sans a priori. Qu’on ait lu ou pas le livre de Christine Angot qui en est l’adaptation, on n’est pas insensible à la romancière devenue célèbre grâce à sa participation à l’émission de télévision On n’est pas couché. Selon les cas, on admire son intelligence, ses froides colères ou on prend en grippe son intransigeance, ses obnubilations.

Autre préjugé : le livre lui-même publié en 2015, en lice pour les prix littéraires mais couronné par défaut seulement par le Prix Décembre. Un livre à la belle écriture. Plus classique moins provocateur que les précédents ouvrages de cette romancière de l’autofiction. Le film semble s’inscrire dans cette veine comme en attesterait sa bande-annonce : reconstitution impeccable de la province des années soixante, personnages romantiques à souhait parfaitement éclairés, costumés, maquillés, grande fresque s’étalant sur plusieurs décennies…

Et le film commence. Comme on l’espérait, il est porté par la grâce de ses acteurs. Viriginie Effira dans son virginal chemisier blanc est belle comme le jour. Niels Schneider avec ses cigarettes fumées à la chaîne, son sourire carnassier et ses bonnes manières est la séduction faite homme.

Mais, bientôt, du charme naît un malaise. Les deux personnages, aussi parfaitement interprétés soient-ils, sont trop manichéens. Virginie Effira incarne l’innocence prise au piège, la femme à la vie gâchée, la mère aveugle aux violences sournoises subies par sa fille. Niels Schneider est plus caricatural encore. Chacun de ses sourires cauteleux annonce la prochaine banderille qu’il plantera dans le cœur saignant de Rachel. Chacune de ses réparties est une escalade dans l’abjection. L’amant irresponsable se transformera bientôt en père pédophile. N’en jetez plus ; la coupe est pleine.

Et puis il y a une dernière demie-heure en forme d’épilogue. Chantal est désormais adulte ; Rachel est au crépuscule de sa vie. On craignait le pire en imaginant la radieuse Virginie Effira éhontément grimée pour jouer une septuagénaire. Au contraire, Un amour impossible atteint in extremis une justesse, une ambiguïté qui lui avaient jusqu’alors manqué.

Et boum ! Patatras ! Un face à face inutilement bavard entre la mère et la fille vient clore ce film qui venait juste de trouver son point d’équilibre. Tout est dit, expliqué, surligné. Pire : l’histoire individuelle de Rachel et Chantal devient le procès à charge intenté à une société paternaliste et capitaliste. Alors qu’on allait saluer la conversion de Christine Angot, on la retrouve sous son pire visage : péremptoire, vindicative, horripilante.

La bande-annonce

 

En liberté ! ★☆☆☆

Le capitaine de police Jean Santi (Vincent Elbaz) vient de mourir. Ses collègues, qui lui érigent une statue, et sa veuve Yvonne (Adèle Haenel) qui raconte à son fils ses faits d’armes glorieux pleurent le disparu. Mais la vérité est moins belle : Santi était un ripou. Yvonne est dévastée par cette révélation. Elle va tenter de racheter les fautes de son mari en portant assistance à Antoine (Pio Marmai) qu’il avait fait injustement incarcérer.

Avec son neuvième long métrage, Pierre Salvadori poursuit une œuvre entamée il y a un quart de siècle avec une comédie décalée et attachante réalisée avec trois acteurs trop tôt disparus : Jean Rochefort, Marie Trintignant et Guillaume Depardieu. Cible émouvante (1993) contenait déjà les ingrédients qui font l’originalité de En liberté ! : un sujet original, des personnages aussi drôles que dépressifs, des situations loufoques…

L’équilibre est délicat à trouver entre la comédie grasse et le drame sentimental. Pierre Salvadori y est parvenu quasiment à chaque coup, notamment dans … comme elle respire (1999), sans doute la meilleure prestation de Marie Trintignant dans le rôle d’une mythomane loufoque.

L’affiche de En liberté ! qui annonce fièrement « la comédie de l’année » voudrait nous faire croire que la recette fonctionne toujours. Une moitié de la salle s’y retrouvera qui rira aux éclats des gags décalés dans lesquels un scénario ébouriffant entraîne des acteurs tous parfaits au premier rang desquels Adèle Haenel bien sûr mais sans oublier Damien Bonnard qui la dévore avec des yeux de merlan frit.

Mais une autre ne marchera pas, qui aura déjà vu les meilleurs moments du film dans sa bande annonce et qui ne se ralliera jamais vraiment à une histoire trop tirée par les cheveux pour rester crédible. Hélas c’est à cette seconde moitié là que j’appartiens.

La bande-annonce

Les Chatouilles ★★★☆

Odette est une ravissante petite fille chérie par ses parents. Elle aime dessiner et rêve de devenir ballerine. Mais tout n’est pas rose dans l’enfance d’Odette aux prises avec un ami proche de ses parents, Gilbert, un pédophile.
Odette est devenue adulte. Elle entreprend une psychanalyse. Par la parole, elle met des mots sur ses maux. Par la danse, elle tente d’exorciser son traumatisme.

Andréa Bescond a été violée enfant par un ami de la famille. Danseuse professionnelle, elle a monté à Avignon un seule-en-scène (traduction désormais autorisée de one woman show) cathartique inspirée de son expérience traumatisante. C’est ce spectacle qu’elle porte à l’écran. Pour ce faire, elle s’est entourée de vedettes : Karin Viard dans le rôle de la mère, mélange terrifiant d’aveuglement irresponsable et de conformisme petit-bourgeois, Clovis Cornillac dans celui du père, bloc de rage impuissante, Pierre Deladonchamps dans celui du prédateur sexuel, qui présente tous les gages de la respectabilité, Carole Franck en thérapeute motivée.

Le risque était grand que Les Chatouilles se transforme en film à thèse sur la pédophilie. La façon dont le film a été vendu aux médias le laissait craindre. Mais Andréa Bescond et son coréalisateur Éric Metayer parviennent à éviter cet écueil. Ils y réussissent grâce au dispositif scénaristique sur lequel était construit le seul-en-scène : des chassés croisés  souvent comiques parfois surréalistes entre l’Odette adulte en cure psychanalytique et l’Odette enfant sidérée par son tourmenteur.

Le résultat réussit miraculeusement à trouver le juste équilibre entre exhibitionnisme autobiographique, tirelarmisme racoleur et plaidoyer vengeur. Une réussite.

La bande-annonce

Ouaga Girls ★☆☆☆

À Ouagadougou, au Centre féminin d’Initiation et d’Apprentissage aux Métiers (CFIAM), Bintou, Chantal et Dina s’initient à la profession de mécanicienne automobile. Theresa Traoré Dahlberg les a suivies durant leur (trans)formation.

Burkinabée par son père, suédoise par sa mère, la documentariste interroge la place des femmes au Burkina Faso en filmant une promotion d’une demie douzaine de jeunes filles qui se forment à un métier a priori masculin : la réparation automobile.

Sorti le 7 mars, la veille de la Journée internationale des femmes, Ouaga Girls raconte les difficultés de ces jeunes femmes à se trouver une place dans une société patriarcale. L’une aimerait chanter, l’autre a eu un enfant trop jeune. Chacune s’interroge sur son avenir.

Ouaga Girls n’est pas seulement un film féministe dont les héroïnes auraient pu indifféremment vivre dans n’importe quel pays d’Afrique à la situation interchangeable. C’est un film tourné en 2015 dans un pays en plein changement : le Burkina Faso qui, l’année d’avant avait renversé son président, et s’apprêtait, à l’occasion des élections présidentielles et législatives de novembre 2015 à embrasser un nouvel avenir constitutionnel. Le sujet n’est jamais traité de front. Mais il est l’arrière plan permanent (une émission de radio entendue chez le coiffeur, une affiche électorale entr’aperçue tandis qu’on suit une jeune fille en mobylette…) de Ouaga Girls.

Ce documentaire pudique a les défauts de ses qualités : les jeunes filles qu’il suit sont si timides, si effacées qu’on peine à s’attacher à elles. Dommage…

La bande-annonce

Le Pornographe ★★☆☆

Dans le Japon des années soixante en plein décollage économique, Monsieur Ogata tourne des films pornographiques qu’il revend sous le manteau. Il vit avec Haru, une veuve convaincue que son mari décédé s’est réincarné dans une carpe qu’elle a installée dans un immense aquarium au milieu de son salon. Haru a deux enfants : une fille Keiko, dont Ogata est secrètement amoureux et un fils, Kochi, qui file du mauvais coton.

Le Pornographe était inédit en France. C’est une œuvre de jeunesse de Shohei Imamura, qui n’était pas encore le réalisateur japonais révéré, titulaire de deux Palmes d’Or : La Ballade de Narayama (1983) et L’Anguille (1997).

Il s’agit d’une adaptation d’un roman de Akiyuki Nosaka publié trois ans plus tôt seulement, qui avait suscité le scandale. Scandale en raison de son héros, un être sans scrupule exerçant une profession en marge de la loi, vivant de la lubricité des acheteurs de ses films. Mais scandale aussi par le portrait en creux que Nosaka fait du Japon des années soixante, qui a profité de l’occupation américaine et de la guerre de Corée pour s’enrichir au risque d’y perdre son âme.

C’est cette seconde dimension que creuse Imamura. À la différence du roman, Ogata y est décrit comme un brave bougre, exerçant un métier comme un autre, sincèrement amoureux de Haru et combattant l’attirance qu’il nourrit pour sa belle-fille. Imamura est volontiers rousseauiste : son héros n’est pas corrompu ; c’est la société qui l’est, dont le film dénonce non sans humour les dérives qu’encourage l’aisance matérielle retrouvée après les années de privation de la guerre.

Le réalisateur reste très pudique, ne montre aucune nudité – à supposer que la morale et la censure de l’époque le lui eurent permis. Sa caméra filme à distance, à travers une fenêtre, un aquarium, pour maintenir une pudeur par rapport à ses personnages. Son cinéma, qui décrit les bas-fonds d’Osaka reste très naturaliste.

Le titre du film, sa jaquette racoleuse prêtent à confusion. Le Pornographe n’est pas un film érotique qui raconte la vie d’un érotomane. Comme son sous-titre, Introduction à l’anthropologie, le laisse entendre, il s’agit plutôt d’un film aux limites du documentaire, dans la veine de L’Histoire du Japon d’après-guerre racontée par une hôtesse de bar (1970), qu’il faut prendre pour ce qu’il est : une critique sociale non dépourvue d’humour d’une société en quête de boussole.

La bande-annonce

Suspiria ★☆☆☆

Susie Bannion (Dakota Johnson) a été élevée dans une famille Amish en Ohio. Elle la quitte pour Berlin où elle doit intégrer une prestigieuse école de danse. Sous la férule de madame Blanc (Tilda Swinton), les ballerines sont soumises à une discipline de fer. Certaines d’entre elles n’y résistent pas et disparaissent mystérieusement, telles Patricia (Chloë Grace Moretz) qui a trouvé refuge chez le docteur Klemperer.

C’est peu dire que le nouveau film de Luca Guadagnino était attendu avec impatience. Sa présentation à la Mostra de Venise a fait l’événement. Tout était réuni pour susciter l’envie. Le remake du film culte de Dario Argento. Une brochette d’artistes parmi les plus trendy du moment. Derrière la caméra le réalisateur de Call me by your name.

Le résultat ne laissera pas indifférent. Sorti lessivé de la salle après plus de deux heures trente, on criera au génie ou à l’imposture. On sera époustouflé par le culot d’une mise en scène qui s’autorise toutes les outrances, filme le Berlin gris des années soixante-dix, leste un film d’horreur de références à la Shoah et à la Fraction Armée Rouge, abandonne la linéarité du récit pour la fulgurance de quelques scènes de danse d’une beauté magnétique.

Ou bien on décrochera vite d’un film trop long, presqu’obèse, dont on ne comprend rien et, pire, dont on aura renoncé à y comprendre quelque chose, copie sans imagination du film démodé de Dario Argento dont on se demande quel écho il suscite quarante ans après sa sortie, surenchère de sang et de corps dénudés filmés avec complaisance, culminant dans un gigantesque sabbat de sorcières plus risible que véritablement impressionnant.

La bande-annonce