Ballroom Dancing (1992) ★★☆☆

Scott Hastings (Paul Mercurio) est un danseur de salon qui, depuis son enfance, poussé par une mère tyrannique, elle-même professeure de danse et ancienne professionnelle, rêve de remporter le plus prestigieux concours : le Pan-Pacific. Mais, le carcan étriqué des règles de la discipline l’étouffe. Il brûle de le faire éclater avec des chorégraphies inédites. Effrayée par tant d’audace, sa partenaire le quitte. Il faut d’urgence en trouver à Scott une nouvelle. C’est le moment que choisit Fran (Tara Morice), une jeune femme sans grâce cachée derrière d’immenses lunettes difformes, pour lui faire des avances. Son père, immigré espagnol, s’avère être un exceptionnel danseur qui entraîne le couple en vue de la compétition, sans souci du règlement.
Mais alors que le grand jour approche, le passé familial que Scott découvre le place face à un dilemme déchirant : écoutera-t-il les sages conseils de sa mère ou l’appel de l’amour ?

L’Australien Baz Luhrmann est pour moi le réalisateur indépassable de Romeo + Juliet, un des films les plus intelligents et les plus sensibles qui soient, qui a réussi à redonner une seconde vie à la pièce de théâtre la plus célèbre au monde.

Il n’a pas trente ans quand il signe son premier film sur un sujet qu’il connaît bien : la danse de salon que ses parents pratiquaient en semi-professionnels. Il aurait pu lui consacrer un documentaire sur son kitsch assumé, sur son esthétique démodée. Il lui préfère une fiction au scénario à l’eau-de-rose, sauvé par son second degré et son humour en demi-teinte. Ne lui jetons pas la pierre : Dirty Dancing suivait, cinq ans plus tôt, quasiment le même scénario, avec le succès mondial que l’on sait.

Ballroom Dancing ne vaut guère par ses interprètes qui manquent désespérément de charisme. D’ailleurs aucun d’eux ne fera carrière. Mais l’énergie qu’ils déploient dans leurs chorégraphies endiablées les excuse, qui annonce les débordements de Moulin Rouge avec Nicole Kidman et Ewan McGregor neuf ans plus tard.

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A Bigger Splash (1974) ★☆☆☆

En 1974, au faîte de sa gloire, David Hockney fait réaliser par son ami Jack Hazan un film-documentaire où il joue entouré de ses proches. Son fil rouge sera la fin de sa liaison avec son modèle, Peter Schlesinger, et la réalisation (en fait quelques années plus tôt en 1967) de la toile qui l’a rendu célèbre A Bigger Splash.

A sa sortie, A Bigger Splash reçut un accueil enthousiaste. La raison en était triple. La première était la découverte de David Hockney, de son travail, de son intimité. La seconde était le Swinging London qui lançait ses derniers feux avant de somber dans l’hiver du mécontentement. La troisième, la plus importante peut-être, était l’audace des scènes d’amour gay jusqu’alors jamais filmées.

Ces trois motifs ont largement perdu de leur actualité près de cinquante ans plus tard. Certes, l’œuvre de David Hockney reste toujours aussi passionnante ; mais, pour y plonger, je recommande plutôt la remarquable biographie de Catherine Cusset. Il y a belle lurette que Londres ne swingue plus. Quant à l’audace des scènes gay, elle ne choque ni n’émoustille plus personne – sauf peut-être les amateurs de porno gay vintage.

Triplement déçu, on s’ennuie trois fois plus.

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L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune (1973) ★★☆☆

Marco (Marcello Mastroianni) et Irène (Catherine Deneuve) vivent heureux à Paris avec leur fils Lucas. Lui est moniteur d’auto-école ; elle tient un salon de coiffure et rêve de s’agrandir. Mais la santé de Marco lui donne des soucis. Sur les objurgations de sa femme, il finit par consulter. Son généraliste (Micheline Presle), perplexe, le renvoie chez un spécialiste qui rend un verdict sans appel : Marco est enceint.e. de quatre mois.

Au début des années soixante-dix, Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni, chacun au sommet de leur gloire, forment le couple le plus glamour qui soit. Inséparables à la ville comme à l’écran, ils viennent de tourner ensemble sous la direction de Nadine Trintignant et de Marco Ferreri. Ils acceptent la proposition de Jacques Demy – qui vient de diriger Deneuve dans Peau d’âne avec le succès que l’on sait – de tourner l’un de ses scénarios. Même si seuls leurs noms sont à l’affiche, ils s’entourent d’une brochette de seconds rôles épatants : Micheline Presle, Alice Sapritch, Micheline Dax, Maurice Biraud (on reconnaît même Elizabeth Teissier, la future astrologue, dans le rôle de l’assistante courte vêtue du professeur de gynécologie).

Le pitch de L’Événement … est aussi drôle qu’efficace. Deux voies s’ouvraient à Jacques Demy pour l’exploiter. La première, hollywoodienne, tirant sur le thriller ou le film d’espionnage, aurait été de transformer le parturient en enjeu d’une compétition internationale pour le kidnapper et percer les motifs de son état. Le second, plus modeste était d’en faire une comédie où la condition surprenante du héros aurait provoqué autant de quiproquos.

Jacques Demy, par manque de moyen, par tradition française, penche pour le second ; mais il ne tire pas de cette situation pourtant si fertile en rebondissements tout le parti qu’on aurait pu imaginer. La mine déconfite de Marcello Mastroianni apprenant son état provoque le seul rire d’un film dont on pouvait légitimement escompter qu’il en provoque bien d’autres. Plutôt que de verser dans un registre franchement comique – qui n’a au demeurant jamais été le sien – Demy préfère la comédie de mœurs, parsemant l’histoire de cette grossesse de réflexions à front renversé sur la condition féminine et l’égalité des sexes.

Volontiers féministe, L’Événement … réussit paradoxalement à être gentiment démodé et en avance sur son temps.

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The Rapture (1991) ★★☆☆

Sharon (Mimi Rogers), la trentaine, est consciente du néant de son existence. Le jour, elle travaille comme télé-opératrice dans un centre d’appels. La nuit, elle multiplie les expériences échangistes. Sa vie va prendre un tour nouveau quand elle rencontre Dieu et décide de l’accepter.
Elle se marie, a un enfant qu’elle élève dans une foi bigote et attend impatiemment le jour de l’Enlèvement. À son approche, elle décide de se rendre dans le désert avec sa fille.

The Rapture, diffusé en France sous les titres de Dernier Sacrifice ou Une femme envoûtée, est un film profondément américain qui renvoie à une dimension propre à l’évangélisme et absente du catholicisme : l’Enlèvement de l’Église ou le ravissement (en anglais : rapture) est la croyance selon laquelle les fidèles chrétiens seront brusquement enlevés de la terre et emportés hors de ce monde dans leur corps de chair pour rejoindre le Seigneur et les morts ressuscités “dans les airs”.

Le sujet, on s’en souvient, était au cœur de The Leftovers, une des séries les plus fascinantes qui fût. On le retrouve ici, dans ce film du début des années quatre-vingt-dix sans qu’on sache à quel degré il faut le prendre. Est-ce un film profondément religieux ? Ou s’agit-il au contraire d’une critique implacable des excès auxquels une foi fanatique conduit ? Rien ne permet avec certitude de le décider. Les scènes scabreuses de la première demi-heure (le film était interdit aux moins de seize ans en France) excluent qu’on puisse le projeter à des yeux innocents lors d’une séance de catéchisme. Pourtant le film est classé R (Restricted) aux États-Unis, une classification étonnamment laxiste de la part de la MPAA qu’on a connue plus bégueule.

L’héroïne est interprétée par Mimi Rogers, une actrice aujourd’hui oubliée qui connut son heure de gloire à la fin des années quatre-vingts, à l’époque où elle était mariée avec Tom Cruise. Son personnage est profondément ambigu. Est-elle une Marie-Madeleine en quête de sainteté ? ou une pécheresse condamnée par l’accumulation de ses vices à se voir refuser une impossible rédemption ?

Le risque est grand que les questions théologiques que soulèvent The Rapture et la façon dont le film y répond ne semblent passablement incompréhensibles sinon franchement grotesques à un auditoire européen laïcisé. Mais, si on accepte de passer par dessus ces obstacles, l’expérience peut être étonnante.

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Alexandre le bienheureux (1968) ★★☆☆

Alexandre (Philippe Noiret) est un Hercule qui ne rêve qu’à paresser. Mais sa femme, « la Grande » (Françoise Brion), est sans cesse sur son dos pour s’assurer qu’il exécute la liste impressionnante de corvées qu’elle lui assigne chaque matin. Quand elle meurt brutalement, Alexandre se sent enfin libre de faire ce qu’il veut : dormir, aller à la pêche, jouer au billard, avec pour seul compagnon le fox-terrier qui s’est attaché à ses pas. Sa désinvolture scandalise les habitants de son petit village du Perche. Mais elle séduit Agathe (Marlène Jobert), une pimpante jeune femme qui vient d’être embauchée dans l’épicerie du coin et qui partage ses valeurs.

Alexandre le bienheureux est auréolé d’une réputation un peu excessive. C’est loin d’être un chef d’œuvre. Ce n’en a pas d’ailleurs la prétention. Mais c’est un hymne à la paresse joyeusement anarchiste qui a donné à Philippe Noiret son premier grand rôle de cinéma et qui a lancé la carrière de Pierre Richard – que Yves Robert, qui en avait décelé le talent comique, allait faire exploser quatre ans plus tard dans Le Grand Blond – et de Marlène Jobert. On y retrouve d’ailleurs dans les seconds rôles une panoplie d’acteurs aujourd’hui décédés qui ont fait les grandes heures du cinéma populaire français : Jean Carmet, Paul Le Person, Tsilla Chelton, Jean Saudray (le nom de Jean Saudray ne vous dit rien ? prenez quelques secondes pour chercher sa photo : vous le reconnaîtrez au premier regard).

La trame d’Alexandre le Bienheureux est étique. Elle relève plus de la nouvelle ou du conte que du roman proprement dit. On se demande d’ailleurs comment Yves Robert a pu en tirer un film d’une heure et quarante minutes. Son secret : prendre son temps, ainsi que le professe son héros, pour raconter une histoire en trois volets. Dans le premier, filmé sur un mode cartoonesque, on y voit le malheureux Alexandre trimer sang et eau sous la férule d’une épouse tyrannique. Le deuxième, avec notamment cette scène où on voit Alexandre prendre son petit-déjeuner au lit avec un ingénieux dispositif, est le plus célèbre qui le voit rompre avec les conventions sociales et clamer son droit à la paresse. Le troisième, qui raconte le flirt entre Alexandre et Agathe jusqu’à son terme logique, est le plus hédoniste. Sa conclusion, joyeusement misogyne – si tant est qu’on puisse associer cet adjectif et cet adverbe aujourd’hui – m’a surpris. Aurait-elle supporté les foudres du politiquement correct aujourd’hui ?

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Cape et Poignard (1946) ★★☆☆

Pendant la Seconde Guerre mondiale, un atomiste (Gary Cooper) est recruté par les services secrets américains pour se rendre en Europe. En Suisse, il rencontre une scientifique hongroise que la Gestapo avait forcé à travailler sur un projet de bombe atomique. Sur ses conseils, il se rend en Italie pour libérer le professeur Polda des griffes de la Gestapo. Il y sera aidé par la résistance italienne et par la belle Gina (Lili Palmer) avec laquelle se nouera une relation passionnée.

Fritz Lang est à la mode. Après avoir traversé quelques décennies de purgatoire, ses films connaissent un regain d’intérêt. Il n’est pas de semaine où il ne soit pas programmé à Paris. Il y a bien sûr les chefs d’œuvre expressionnistes de la première période allemande : MabuseMetropolis, M le maudit... Il y a aussi, les grands films noirs des années 50 : Le démon s’éveille la nuit, La Femme au gardénia, L’Invraisemblabe Vérité….

Réfugié aux Etats-Unis dans les années trente, il a tourné pendant la guerre une série de films d’espionnage anti-nazis : Chasse à l’hommeLes bourreaux meurent aussi, écrit avec Bertolt Brecht, Espions sur la Tamise. Cape et Poignard est le dernier, sorti un an après la fin des combats, ce qui le rendait déjà démodé. Il est construit autour d’une question qui pouvait légitimement inquiéter les Etats-Unis en 1945, mais qui était brutalement sortie de l’actualité un an plus tard : l’Allemagne nazie réussira-t-elle à se doter de l’arme atomique ?
On sait aujourd’hui que ces inquiétudes étaient infondées. Alors même que l’Allemagne disposait des savants capables de concevoir cette arme – même si nombre d’entre eux avaient déjà quitté l’Europe et allaient être enrôlés aux États-Unis dans le Projet Manhattan – le Reich a reculé devant l’ampleur des sacrifices que sa production industrielle aurait nécessités préférant tout miser sur les V1 et les V2.

Cape et Poignard – dont le titre peut laisser escompter un film de cape et d’épée qui se déroulerait sous le règne de Louis XIV alors qu’il s’agit en fait d’une des devises des services secrets américains – trouve honnêtement sa place dans cette filmographie. Il vaut surtout par l’interprétation de Gary Cooper, dont aucune aventure, même les plus rocambolesques, ne vient altérer le charme et la parfaite élégance.
Le scénario, en revanche, est tiré par les cheveux, filmé successivement dans une Suisse et une Italie de carton-pâte. Il souffre, à son milieu, d’une énorme ventre mou et s’enlise dans une bluette sans relief entre ses deux personnages principaux.
Fritz Lang voulait ajouter à son film une dernière partie qui se serait déroulée en Allemagne même. Mais les studios l’en ont empêché.

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Sombre (1998) ★★☆☆

Jean (Marc Barbé) sillonne les routes de France à bord de sa vieille Citroën. Il assassine les femmes qu’il rencontre après de brèves étreintes. Il rencontre Claire (Elina Löwensohn) et Christine qu’il manque d’assassiner après une baignade nocturne. Auprès d’elles il accèdera enfin à une forme de douceur.

Sombre est un film culte déjà vieux d’un quart de siècle. Je ne l’avais jamais vu. L’occasion m’en a enfin été donnée par une projection-débat aux Trois Luxembourg en présence de son réalisateur, Philippe Grandrieux.

L’expérience est rude. Sombre est interdit aux moins de seize ans. Comme son titre l’annonce, il est plongé dans une lumière crépusculaire. Quasiment muet, il filme une succession de meurtres : Jean rencontre des femmes, les séduit, les attire dans un coin sombre, les caresse – sans qu’on puisse avec certitude comprendre s’il atteint ou pas l’orgasme – et les étrangle. Aucun policier, aucun gendarme ne vient interrompre cette course meurtrière dont on imagine pourtant qu’elle met en émoi l’opinion publique et les forces de l’ordre.

Le schéma se reproduit à l’identique jusqu’à la rencontre de Claire, au passé aussi opaque que celui de Jean, dont on ne saura rien sinon, au détour d’une confidence de son amie Christine, qu’elle est vierge.
Pourquoi Jean ne tue-t-il pas Claire comme il a tué toutes les femmes qu’il a croisées ? On n’en saura rien non plus. C’est peut-être la magie de l’amour qui touche Jean pour la première fois. Et Sombre est peut-être un film sur l’Amour, l’amour que Claire porte à Jean qui le libèrera de ses instincts meurtriers, l’amour que pour la première fois Jean éprouve auprès de Claire.

Mais quel chemin tortueux aura-t-il fallu emprunter jusqu’à cette conclusion rédemptrice !

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L’Espion qui venait du froid (1965) ★★☆☆

À l’initiative de sa hiérarchie, Leamas (Richard Burton), un agent britannique rappelé de Berlin après la mort d’un de ses agents, feint d’être retiré du service et s’enfonce dans l’alcool et la misère pour laisser penser qu’il pourrait faire défection. Tamponné par les services est-allemands, Leamas est longuement interrogé dans une ferme isolée par Fiedler (Oskar Werner). Le but de Leamas est de faire tomber Mundt, l’un des chefs du contre-espionnage est-allemand. Mais l’irruption imprévue de Nan Perry (Claire Bloom), la bibliothécaire communiste que Leamas avait fréquentée à Londres, risque de compromettre sa tâche.

J’avais lu très jeune L’Espion qui venait du froid dans une vieille édition Folio cornée et me souviens encore de mon engouement à cette lecture. J’y découvrais une intrigue délicieusement compliquée avec des retournements inattendus, où ce qu’on tenait pour vrai à une page se révélait fallacieux à la suivante. À l’époque, ce genre de scénario m’était quasiment étranger et je le découvrais avec l’enthousiasme du néophyte. Je n’avais encore jamais lu John Le Carré dont, pendant les vingt années suivantes, je devins un lecteur fidèle, sans jamais retrouver dans ses livres, sinon peut-être dans Le Tailleur de Panama, le plaisir original pris à la lecture de L’Espion

Je n’avais jamais vu l’adaptation au cinéma du roman de Le Carré. Sa programmation à la Filmothèque du Quartier Latin m’en a enfin donné l’occasion. L’Espion qui venait du froid n’est pas tout à fait un film culte ; mais il n’est pas loin de l’être. Cet anti-James Bond (il est réalisé alors que Sean Connery donne au personnage de Ian Fleming une célébrité mondiale avec les trois premiers films produits par Albert Broccoli en 1962, 1963 et 1964), tourné dans un noir et blanc sinistre, avec un Richard Burton au sommet de son art, fait du métier d’espion un tableau lugubre. Le monologue de Leams y est repris au mot près : What the hell do you think spies are? Moral philosophers measuring everything they do against the word of God or Karl Marx? They’re not. They’re just a bunch of seedy squalid bastards like me, little men, drunkards, queers, henpecked husbands, civil servants playing « Cowboys and Indians » to brighten their rotten little lives.

Je dois avouer une petite déception. Elle est double.
J’avais le souvenir d’une intrigue très sophistiquée. Elle ne l’est en fait pas tant que cela. J’ai l’impression que les scénarios de thriller, notamment américains, sont devenus pour certains tellement sophistiqués, que notre goût de spectateur s’est développé et que ce qui nous apparaissait hier compliqué ne l’est plus.
Second défaut : j’ai trouvé la mise en scène pesante et le temps bien long. C’est d’ailleurs un défaut que j’oserais respectueusement relever contre les romans de John Le Carré : ils sont systématiquement trop longs, trop touffus, trop lents, préférant à l’action la peinture des tourments d’une âme humaine dont on a compris qu’elle est noire et faillible.

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De sang-froid (1967) ★★★☆

En 1959, deux jeunes prisonniers en liberté conditionnelle assassinent de sang-froid un paisible fermier du Kansas, sa femme et ses deux enfants. Le quadruple meurtre défraie la chronique et glace l’Amérique. Six ans plus tard, après une longue procédure, les deux meurtriers sont exécutés.
De ce fait divers, Truman Capote fit dès 1966 un roman qui créa un genre voué à une riche postérité : l’enquête journalistique où s’entrelacent la narration des faits et celle de la façon dont le romancier-journaliste les découvre.
L’année suivante, Richard Brooks en fit un film.

Il est récemment repassé au Grand Action à Paris dans le cadre du festival organisé à l’occasion des soixante-dix ans de la revue Positif. Le débat qui l’a suivi a été l’occasion de replacer ce film dans l’oeuvre foisonnante de Richard Brooks et dans le cinéma de l’époque.

Ce qui frappe quand on regarde De sang-froid cinquante ans plus tard, c’est sa modernité. Son premier tiers est construit en plans alternés de l’errance des deux taulards sur les routes du Midwest et de la vie sans histoire de la paisible famille qu’ils vont sauvagement assassiner. Les deux fils du récit se renouent par le son : c’est la même sirène de locomotive qu’on entend derrière la voiture des deux meurtriers tapie dans l’obscurité d’un sous-bois et lorsque Nancy Clutter éteint sa lampe de chevet, sa prière faite.
Il est filmé dans un noir et blanc intemporel à une époque où la Technicolor avait tout envahi.
La musique de Quincy Jones y est omniprésente et d’une étonnante complexité. On pense aux notes de jazz de Miles Davis pour Ascenseur pour l’échafaud (filmé près de dix ans plus tôt).

J’ai lu sous la plume de Pierre Murat dans Télérama que De sang-froid n’était « rien qu’un plaidoyer extrêmement généreux contre la peine de mort ». La critique est un peu courte. Elle est surtout bien sévère. Certes, la scène de l’exécution des deux assassins est glaçante. Mais elle ne constitue pas le cœur du film. Ce cœur, c’est la scène du quadruple homicide. On le suit minute après minute, en en connaissant par avance le funeste dénouement, en se demandant comment diable ce banal cambriolage a pu déraper dans un si effroyable massacre. C’était la question que s’était posée Truman Capote, sur laquelle il avait buté. Richard Brooks tente de mettre la réponse en image. Je vous la laisse la (re)découvrir

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Le Désert rouge (1964) ★☆☆☆

Giuliana (Monica Vitti) est malheureuse. Elle est mariée à Ugo, un ingénieur qui travaille dans une immense zone industrielle littorale de l’Italie du nord. Elle est la mère d’un petit garçon prénommé Valerio. Elle fait la rencontre de Corrado Zeller (Richard Harris), un collègue de son mari venu dans la région pour recruter des ouvriers afin de partir travailler en Patagonie. Giuliana l’accompagne dans ses démarches, lui confie que l’accident de voiture dont elle a été victime était en fait une tentative de suicide, finit par se donner à lui dans une ultime tentative de retrouver goût à la vie… et se retrouve à la fin du film au même point qu’au début.

Avant Le Désert Rouge, Michelangelo Antonioni vient de signer trois films d’anthologie : L’Avventura (1960, prix du Jury à Cannes), La Nuit (1961, Ours d’or à Berlin), L’Eclipse (1962, prix spécial du jury à Cannes). Monica Vitti y tenait déjà le rôle principal comme elle interprète celui du Désert rouge, Lion d’or à Venise. Elle y est méconnaissable sur son affiche (j’avais longtemps cru qu’il s’agissait de Marlène Jobert en voyant défiler le générique de Carlotta dont je parviens enfin, après une bonne vingtaine d’années, à identifier toutes les références). Avec « ses yeux de lit défait », elle joue encore le rôle d’une femme perdue et angoissée

C’est le premier film en couleurs d’Antonioni qui délaisse les noirs et blancs austères et somptueux qui constituaient jusqu’alors sa marque de fabrique. La légende veut qu’il ait fait repeindre des arbres en blanc, une rue en gris, des pans de murs entiers en rouge ou en bleu pour obtenir la palette de couleurs qu’il souhaitait.
Écologiste avant l’heure, il s’y montre d’une rare prescience en filmant une terre nue, polluée, rongée par les rejets industriels.

Il est de bon ton de tenir Antonioni comme un immense réalisateur et de considérer ses films comme des chefs d’oeuvre. C’est peut-être vrai. Antonioni est le cinéaste de la modernité, de la solitude, de l’incommunicabilité, du désarroi qui ronge les classes sociales enrichies par les Trente Glorieuses, de la difficulté des rapports homme-femme.
Mais Antonioni est aussi le cinéaste revendiqué de l’ennui (comme Moravia qui en fit le titre d’un livre pas ennuyeux du tout). Le problème avec Antonioni est que son cinéma distille sciemment l’ennui. J’ai conscience du sacrilège que je commets en avouant m’être considérablement rasé devant le Désert rouge, comme je m’étais déjà rasé devant L’Avventura, La Nuit ou L’Eclipse. La lecture de l’immense Jacques Lourcelles m’a désinhibé dont le Dictionnaire du cinéma n’a pas de mots assez durs pour Antonioni : « componction », « dialogues de photos-romans », « gravité solennelle », « glaciation de l’impuissance »…

Monica Vitti a beau être « belle comme un papillon de jour, mystérieuse comme un papillon de nuit », sa beauté hiératique qui s’agite nerveusement en talons mi-hauts sur les rives boueuses du delta du Pô finit par lasser. Et la succession de longs plans fixes, aussi léchés soient-ils, a eu sur moi pour effet final de me plonger dans une somnolence que seul le générique de fin, après deux heures bien sonnées, a réussi à interrompre.

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