Les Lèvres rouges (1971) ★☆☆☆

Valérie et Stefan viennent de se marier. Sur le chemin de l’Angleterre où Stefan va présenter à sa famille sa jeune épouse, le couple s’arrête à Ostende dans un immense palace désert. Ils y sont rejoints par la mystérieuse comtesse Báthory (Delphine Seyrig) qu’accompagne son assistante Ilona.

Les Lèvres rouges est un film d’épouvante qui revisite le mythe de la comtesse Báthory, cette célèbre criminelle hongroise qui, à la fin du XVIème siècle, dans son château de Slovaquie, aurait sacrifié de jeunes vierges pour se baigner dans leur sang et gagner ainsi une éternelle jeunesse.

Le mythe a la dent dure – si on ose dire – qui a inspiré une dizaine de films, le dernier en date, La Comtesse, réalisé en 2009 par Julie Delpy.

En 1971, le jeune réalisateur belge Harry Kümel, victime de son temps, signe un film à cheval entre l’épouvante et le porno chic. Emmanuelle n’est pas loin, le giallo à l’italienne de Mario Bava et Dario Argento non plus. Les lumières se tamisent, les corps se dénudent, le faux sang gicle.

Peu importe que les trois acteurs (un Américain, une Canadienne et une Allemande) qui entourent Delphine Seyrig jouent comme des quiches (l’actrice Andrea Rau entretenant une ressemblance troublante avec… Mireille Mathieu), on n’a d’yeux que pour elle qui hypnotise le spectateur avec sa voix ensorcelante et ses toilettes glamour.
À quarante ans, elle était à l’époque en pleine gloire, après avoir tourné avec Resnais, Buñuel, Duras, Truffaut, Demy et Losey. Les années quatre-vingt lui furent fatales et elle mourut dans un semi-oubli en 1990, à cinquante-huit ans à peine d’un cancer du poumon.

La bande-annonce

La Passante du Sans-Souci (1982) ★☆☆☆

Max Baumstein (Michel Piccoli), le président unanimement respecté d’une ONG humanitaire, assassine de sang froid l’ambassadeur du Paraguay en France auquel il demandait la libération d’une prisonnière politique. Comparaissant en cour d’assises, il explique les motifs de son crime. Cinquante ans plus tôt, dans la France des années trente, le jeune Max, dont le père avait été tué par les S.A. à Berlin, était élevé par Elsa Wiener (Romy Schneider), exilée loin de son mari emprisonné à Berlin.

La Passante du Sans-Souci, tourné au début des années quatre-vingts, est l’adaptation d’un roman de Jospeh Kessel de 1936. S’éloignant du roman, son réalisateur le construit autour d’un flashback, mettant en scène un Max Baumstein vieilli qui venge un passé qui ne passe pas. La mise en abyme est renforcée par l’interprétation par Romy Schneider des deux rôles d’Elsa Wiener et de Lina Baumstein, l’épouse de Max, comme si le héros avait entendu retrouver chez son épouse les traits de la femme qui l’avait élevé.

Il est sacrilège de dire du mal de La Passante du Sans-Souci. Car son sujet est de ceux qui inhibent la critique. Car c’est le dernier film de Romy Schneider, qui meurt six semaines après sa sortie. Car Michel Piccoli, la cinquantaine bien entamée, l’élégance toute giscardienne, y a une classe folle.

Pour autant, force est de constater que La Passante du Sans-Souci a terriblement vieilli. Tout y est compassé, défraîchi, depuis son affiche, qui reprend les mêmes standards que ceux de Sissi impératrice jusqu’aux revues de cabaret dirigées par Jacques Martin (sic) en passant par les reconstitutions en carton-pâte du Paris des années folles. Était-ce la marque de fabrique des films de ces années là ? Sans doute. Mais qu’on y songe : Jean Reno, qui y fait tout jeunot une courte apparition, interprétait la même année le premier rôle du Dernier combat, le premier film autrement plus audacieux d’un jeune réalisateur nommé Luc Besson.

La bande-annonce

Les Noces rouges (1973) ★★☆☆

La femme de Pierre Maury (Michel Piccoli) se consume dans la neurasthénie. Le mari de Lucienne Delamare (Stéphane Audran) est un député-maire d’une petite ville de province, imbu de lui-même quoiqu’impuissant. Pierre et Lucienne sont devenus amants et connaissent ensemble les extases que leur mariage décevant ne leur procure plus.

Claude Chabrol s’inspire d’un fait réel survenu quelques années plus tôt dans la Creuse pour peindre un portrait au vitriol de la vie de province au début des années soixante-dix. Sa trame dramatique – un double adultère qui se solde par un double homicide – laisse affleurer le comique anarchique qui traverse toute l’oeuvre de Chabrol. On rit autant qu’on frémit au spectacle des Noces rouges dont on dirait volontiers, s’il n’avait pas été tourné vingt cinq ans plus tôt, qu’il emprunte à Fargo son humour noir.

Le réalisateur de La Femme infidèle, du Boucher et des Biches s’en donne à cœur joie pour moquer la fatuité des notables de province et pour exalter l’explosion sensuelle qu’elle ne parvient pas à réfréner. Claude Piéplu incarne jusqu’à la caricature la première. Stéphane Audran, l’épouse de Chabrol à la ville, a rarement été aussi sexy pour donner corps à la seconde, loin de l’image de froideur qui lui est souvent associée.

Entre les deux, Michel Piccoli peine à trouver sa place. Il est trop élégant et trop intelligent pour incarner un bourgeois ridicule. Il manque de la sensualité qui rendrait explosive le couple qu’il forme avec Stéphane Audran. D’ailleurs on ne le reverra jamais dans les films de Chabrol qui lui préfère Michel Bouquet ou Jean Yanne.

Un extrait

Le Cheik blanc (1952) ★★☆☆

Ivan Cavalli (Leopoldo Trieste) vient d’épouser Wanda (Brunella Bovo). Il vient à Rome présenter sa jeune épouse à sa famille. Tandis qu’Ivan est obnubilé par le bon déroulement de leur séjour, Wanda a la tête ailleurs : elle a un rendez-vous avec Fernando Rivoli (Alberto Sordi), le héros du roman-photo « Le cheik blanc ». Alors qu’Ivan s’évertue à cacher à sa famille la trahison de son épouse, Wanda rejoindra le bel acteur qui s’avèrera n’être qu’un vulgaire dragueur.

Le Cheik blanc (Lo sceicco bianco), également connu en France sous le titre Courrier du cœur, est le premier film signé du seul Federico Fellini. Le jeune journaliste, né sur les bords de la côte adriatique, est venu à Rome travailler auprès des premiers réalisateurs néo-réalistes : Rossellini, Germi, Lattuada… C’est auprès d’eux qu’il puisera les thèmes de ses premières oeuvres : La Strada (1954), Les Nuits de Cabiria (1957) qui mettent en scène le petit peuple italien, misérable et courageux.

Mais, comme le montre Le Cheik blanc, tourné dès 1952, Fellini s’écarte déjà du néo-réalisme. Le sujet, qu’on imaginerait volontiers emprunté à une nouvelle de Maupassant, est ancré dans la réalité contemporaine de l’Italie d’après-guerre (dont on voit en arrière-plan quelques images) ; mais il est plus léger que misérabiliste : les illusions perdues de Wanda face à la veulerie de Rivoli n’ont rien de tragique (sa vaine tentative de suicide fait plus sourire que pleurer) et les pitreries de son mari pour cacher ses déboires à sa famille tire le film vers la comédie façon Les Vitelloni.

Surtout, son traitement porte en lui déjà toutes les marques du baroque félinien. On y voit notamment une figure familière à la quasi-totalité des films du maestro : la troupe carnavalesque d’acteurs de théâtre et de cinéma, costumés et maquillés, filmés en plein tournage dans un chaos bruyant de cris et d’interpellations. On y croise dans un rôle secondaire, celui d’une prostituée du nom de Cabiria, Giulietta Masina, l’épouse à la ville de Fellini et son héroïne à venir dans La Strada et dans Les Nuits de Cabiria. Et on y entend pour la première fois la musique de Nino Rotta, début d’une collaboration qui durera jusqu’à la mort du musicien.

La bande-annonce

Le Crime du père Amaro (2002) ★★☆☆

À peine sorti du séminaire, un jeune prêtre (Gael Garcia Bernal) prend son premier ministère dans une petite ville mexicaine. Protégé par son évêque, il est placé sous la coupe du père Benito, un vieux prêtre expérimenté. Amaro découvre bientôt que Benito vit maritalement avec une paroissienne et qu’il utilise l’argent des narco-trafiquants pour construire un hôpital. Mais lui-même n’est pas irréprochable qui tombe  sous le charme de la jeune Amelia. Pendant ce temps, un troisième prêtre, le père Natalio, acquis à la Théologie de la libération, mène une vie frugale dans les montagnes avec les paysans, qui l’expose aux critiques de sa hiérarchie.

Le Crime du père Amaro est l’adaptation d’un roman écrit à la fin du XIXème siècle par le grand romancier portugais Eça de Queirós. Carlos Carrera a choisi d’en transposer le sujet à l’époque contemporaine. Bien lui en a pris ; car les enjeux du roman sont intemporels.

Sans jamais sombrer dans le manichéisme, il présente trois hommes d’Église qui, chacun à leur façon, répondent aux dilemmes auxquels la vie les a confrontés. En prêtre-guerillero, Natalio est le personnage le plus pur, et aussi le moins fouillé. Amaro est censé être le personnage central de l’histoire. C’est avec lui que le film commence et c’est avec lui qu’il se termine une fois conclue la poignante histoire d’amour avec Amelia (la jeune Ana Claudia Talancon, belle comme le jour, à laquelle on aurait volontiers promis une splendide carrière mais qui hélas n’a pas confirmé ces promesses).

Pourtant, c’est le père Benito qui est le personnage le plus intéressant. Sa richesse vient de son ambiguïté. Il n’est pas un saint comme le père Natalio tout entier dévoué à ses pauvres ouailles ; mais il n’est pas non plus un salaud comme s’avère l’être tout bien considéré le père Amaro, ivre d’égoïsme et d’ambition. C’est un homme tout simplement qui voudrait faire le bien (assister une veuve éplorée, construire un hôpital…) mais doit pécher pour y parvenir.

Désormais disponible sur Netflix, le film est sorti en 2003. Il a été accueilli par une moisson de récompenses aux Ariel, les Oscars mexicains. Il est passé inaperçu en France. Son classicisme intemporel le met pourtant à l’abri des années qui passent.

La bande-annonce

Une femme dont on parle (1954) ★★☆☆

Une veuve dirige à Kyoto un okiya, une maison de plaisirs. Sa fille, partie vivre à Tokyo, est obligée d’en revenir après un chagrin d’amour. Un conflit de génération oppose les deux femmes qui tomberont sans le savoir amoureuses d’un même homme, le jeune médecin de l’okiya.

Kenki Mizoguchi est surtout connu pour ses films historiques : Les Contes de la lune vague après la pluie, L’Intendant Sansho, Les Amants crucifiés… Mais une partie de sa prolifique filmographie a pour cadre le Japon contemporain.

Il a souvent filmé les geishas. Elles sont pour lui le symbole intemporel de la condition féminine. Mais elles sont en même temps les actrices d’un Japon qui change.

Cette ambiguïté est à l’oeuvre dans Une femme dont on parle qui met face à face une mère et sa fille. Abandonnée à elle même à la mort de son mari, la mère a dû se résigner à diriger un établissement pour survivre et éduquer sa famille. La fille réprouve cette profession qu’elle juge dégradante. Les deux femmes, obligées de cohabiter, feront le constat de leur désaccord et découvriront le moyen de les dépasser.

Un extrait

Le Diabolique Docteur Mabuse (1960) ★☆☆☆

Un journaliste est tué dans un taxi à Berlin. L’inspecteur Kras (Gert Fröbe) mène l’enquête grâce aux indications, pas toujours très claires, de Cornelius, un voyant aveugle. Ses indications le mènent à l’hôtel Luxor que les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale avaient truffé de caméras. S’y trouvent un riche industriel américain, une femme dépressive poursuivie par son mari jaloux et un soi-disant agent d’assurances au comportement louche.

Longtemps exilé aux États-Unis, où il a tourné quelques uns de ses plus grands films, Fritz Lang est revenu en Allemagne de l’Ouest en 1956 pour y signer un diptyque exotique : Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou. Puis il ressuscite une dernière fois le personnage de Mabuse, créé dans les années vingt par un écrivain luxembourgeois et qu’il avait déjà porté à l’écran deux fois : Docteur Mabuse le joueur (1922) et Le Testament du Docteur Mabuse (1933).

Le docteur Mabuse est une figure du Mal qui traverse le siècle. Dans les années vingt, Fritz Lang dénonce à travers elle la spéculation boursière et les faiblesse structurelles de la République de Weimar. En 1933, au moment de l’ascension de Hitler au pouvoir, il décrivait les dangers de la manipulation des masses. En 1960, en ressuscitant Mabuse, il veut montrer que l’Allemagne prospère est toujours hantée par ses vieux démons, tapis dans l’ombre. Les moyens que Mabuse utilise pour mener à bien ses visées sont étonnamment modernes : un réseau ultra-sophistiqué de caméras qui lui permettent de contrôler les allées et venues de tous les occupants d’un hôtel. On pense au Panopticon de Jeremy Bentham, à Foucault et à 1984.

Le titre original, Die 1000 Augen des Dr. Mabuse, est à ce titre autrement plus efficace que sa pâle traduction française. Les distributeurs anglo-saxons ont démontré plus de lucidité en optant pour The Thousand Eyes of Dr. Mabuse.

La mise en scène de Lang est assez plate. Le temps de l’expressionisme est loin. Citant la scène d’introduction, un meurtre froidement exécuté, les aficionados parleront d’épure. Les plus blasés critiqueront dans le reste du film la piètre qualité du jeu des acteurs, les mouvements de caméra pas toujours très utiles et la lenteur du scénario jusqu’au dénouement final.

Le Diabolique Docteur Mabuse fut accueilli fraîchement par la critique. Il fut le dernier film de Fritz Lang qui s’éteignit à Beverly Hills seize ans plus tard.

La bande-annonce

La Planète sauvage (1973) ★★☆☆

Par leur intelligence et leur capacité de méditation, une population de géants pacifiques, les Draags, domine la planète Ygam. Ils en ont relégué les minuscules Oms, réduisant quelques uns au statut d’animal de compagnie, pourchassant les autres dans les franges les plus reculées de la planète.
À la mort de sa mère, un bébé om est recueilli par une famille draag. Il s’en enfuit à l’adolescence avec un serre-tête qui lui fournit les clés de la connaissance et rejoint une tribu om. Fort de leurs nouveaux savoirs, les Oms résistent à la campagne de « désomisation » menée par les Draags et réussissent à construire une fusée pour se réfugier sur la Planète sauvage, un satellite de Ygam.

La Planète sauvage fait figure d’OVNI dans le monde de la BD. Réalisé entre 1968 et 1973 à partir des dessins de Roland Topor dans un studio d’animation tchèque, ce dessin animé français de science fiction s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux adultes. Loin des pyrotechnies à la Flash Gordon, il délivre un message pacifique qui résonne avec l’air du temps peace and love et flirte avec le surréalisme.

La Planète sauvage a vieilli. Même si les pastels de Roland Topor sont soyeux, l’animation en cut-out (chaque élément du dessin est découpé et assemblé image après image) donne aux personnages une rigidité hiératique. La musique psychédélique supporte mal l’épreuve du temps. Pour autant, le message du film – auquel on peut trouver un sous-texte politique au lendemain de l’écrasement du printemps de Prague par les chars soviétiques – n’a pas pris une ride. Récompense rare pour un dessin animé, il a obtenu le prix spécial du jury au Festival de Cannes en 1973.

La bande-annonce

Happy Sweden (2008) ★★★☆

Un père de famille se blesse gravement à l’oeil en tirant un feu d’artifice pour ses invités à son anniversaire. Un chauffeur de bus arrête son véhicule en exigeant que l’auteur d’une incivilité se dénonce. Deux préados écervelées se photographient dans des poses lascives. Une bandes d’amis d’enfance désinhibés par l’alcool se laissent aller à des attouchements homosexuels. Une professeur d’école fait la leçon à ses collègues.

Le réalisateur suédois Ruben Östlund a obtenu la Palme d’or à Cannes en 2017 pour The Square. Mais deux de ses précédents films y avaient déjà été projetés : Snow Therapy en 2014 et Happy Sweden en 2008. Le plus ancien des deux est d’une facture étonnante. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un film à sketches où cinq courtes historiettes sont successivement racontées. Le montage en est plus complexe, qui entrelace ces cinq récits, sans pour autant qu’existe entre eux aucun lien narratif.

Mais ce montage très sophistiqué n’est pas la moindre originalité du film. Ce qui frappe dans Happy Sweden, c’est le sens du cadre et l’immobilité de la caméra qui raconte en longs plans fixes des situations apparemment anodines. L’action se déroule parfois dans le champ, parfois hors du champ comme dans cette scène en gros plan de la maîtresse d’école qui reproche à ses deux collègues dont on ne voit pas le visage de discuter entre eux sans lui adresser un regard.

Comme dans The Square, comme dans Snow Therapy, Ruben Östlund signe une étude comportementale. Ici il s’intéresse à l’influence du groupe sur l’individu qu’il illustre par une des premières scènes du film : une élève interrogée au tableau préfère faire la réponse que lui soufflent ses camarades plutôt que celle que la raison lui inspire.

On a souvent comparé Ruben Östlund aux autres grands cinéastes nordiques : Aki Kaurismäki dont il aurait partagé l’humour froid, Roy Andersson pour sa mise en scène glacée. Mais c’est avec Michael Haneke que selon moi la proximité est la plus grande. Comme le maître autrichien bi-palmé, Ruben Östlund sait distiller le malaise. On peut trouver l’expérience déplaisante – et j’avoue avec un certain remords avoir fait la fine bouche à The Square dont, le recul aidant, je dois admettre les qualités. Mais on peut aussi y prendre un plaisir masochiste.

La bande-annonce

Le Mur (1983) ★★☆☆

Après Yol, Palme d’or à Cannes en 1982 et avant de mourir d’un cancer de l’estomac, Yilmaz Güney consacre son dernier film aux prisons turques. Exilé en France, il reconstitue de toutes pièces à Pont-Saint-Maxence, dans l’Oise, un pénitencier divisé en quatre secteurs : deux secteurs pour les hommes, un pour les femmes et un dernier pour les enfants.

Le résultat est particulièrement poignant, à mi-chemin du documentaire et de la fiction. Certes, on savait depuis Midnight Express que les conditions d’incarcération en Turquie n’étaient pas tendres. Mais, tournant le dos à l’esthétisme kitsch d’Alan Parker – qui, malgré ses pachydermiques défauts, m’avait ému aux larmes quand je l’avais vu à sa sortie – Yilmaz Güney opte pour un parti pris naturaliste. On est tout aussi loin du tire-larmisme de 7. Koğuştaki Mucize, le film sorti sur Netflix, succès mondial du début du confinement, qui lui aussi se déroulait derrière les murs d’une prison turque.

Le Mur ne fait pas dans la dentelle. La violence est montrée sans euphémisation sous son jour le plus cru. Rien ou presque (les scènes de pédophilie sont seulement suggérées) ne nous est épargné de la violence la plus crasse qui est infligée aux jeunes prisonniers.

Yilmaz Güney parle d’expérience. Ce sympathisant communiste, opposant de longue date aux régimes militaires qui se sont succédés en Turquie, a connu toutes les geôles d’Anatolie. C’est en prison qu’il a écrit Yol, son chef d’oeuvre. C’est de prison qu’il réussit à s’échapper pour trouver l’exil en France où il finira ses jours après avoir été déchu de la nationalité turque.

En signant Le Mur, il réalise autant un film qu’il signe un acte politique de dénonciation. La charge est lourde. Elle est parfois caricaturale dans la description de matons sadiques torturant des enfants innocents. On n’a plus guère l’habitude de nos jours de voir un tel militantisme se déployer avec un tel manichéisme. Mais le résultat n’en reste pas moins terriblement efficace.

La bande-annonce