Outrage (1950) ★★★☆

Ann Walton (Mala Powers) est une jeune employée de bureau qui vit encore chez ses parents avant d’épouser son fiancé. Mais le viol dont elle est victime va avoir raison de son équilibre psychologique. Ne supportant pas la sollicitude de ses proches, elle prend soudainement la fuite. Sur le chemin de la Californie, elle est recueillie par un pasteur qui va lui redonner confiance en elle-même.

Hollywood dans les années quarante était un microcosme terriblement machiste. Ida Lupino, qui y avait acquis une certaine renommée pour ses rôles de femme fatale, y monta avec son mari une société de production et y signa plusieurs films à petit budget. Outrage, sorti en 1950, était son troisième et reste à ce jour le plus connu.

Il y est question, même si le mot n’est jamais prononcé (car la censure ne l’aurait pas permis), d’un viol et de ses répercussions. Le film, d’une inhabituelle brièveté (une heure et quinze minutes seulement) compte deux parties nettement séparées. La première se déroule dans la ville natale, innommée, d’Ann Walton. On la suit d’abord dans l’insouciance de ses activités quotidiennes. Puis, c’est la scène du viol, filmée de nuit, sans bien sûr ne rien montrer de l’acte lui-même mais en le laissant deviner avec les jeux d’ombres et de lumières qu’Hollywood affectionnait à l’époque. Et, dans un troisième temps, c’est l’impossible convalescence.

La seconde partie du film se déroule dans un cadre tout autre. Ann s’est enfuie de chez elle et a trouvé refuge dans une immense exploitation agricole qui produit et commerce des oranges. Aux perspectives urbaines et nocturnes de la première partie ont succédé les immenses espaces agrestes et ensoleillés de la seconde. On comprend à ce changement de décor que la guérison d’Ann est en bonne voie.

[Spoiler] Le film connaît un dernier rebondissement lorsque Ann agresse, lors d’une fête campagnarde, l’homme qui tentait de flirter avec elle, le laissant entre la vie et la mort. Le procès qui se déroule alors interroge la responsabilité pénale de la femme violée, qui revit sans cesse son agression et qui en combat le souvenir par le déploiement d’une violence sans retenue. Grâce au plaidoyer vibrant du pasteur qui la défend, le juge accepte de ne pas mettre Ann en prison mais de l’enjoindre à se soigner. À l’occasion du procès, le cas du violeur – qui vient d’être opportunément arrêté et s’avère avoir de lourds antécédents criminels – est lui aussi évoqué et les protagonistes s’accordent à considérer qu’il devrait lui aussi être soigné plutôt qu’incarcéré.

Pépite oubliée de l’âge d’or hollywoodien, Outrage de Ida Lupino louche du côté du film à thèse sacrifiant la crédibilité de son récit sur l’autel d’une cause d’une étonnante modernité pour un film de cette époque : la prise de conscience du traumatisme causé par une agression sexuelle.

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Cette sacrée vérité (1937) ★★★☆

Jerry et Lucy Warriner sont jeunes, beaux, follement riches. Ils mènent chacun de leur côté une vie très libre qui les conduit à se décider de se séparer. Le juge qui prononce leur divorce leur laisse toutefois quatre-vingt-dix jours pour se rétracter. Jerry et Lucy profitent de ce délai pour nouer des intrigues romantiques… et pour saboter celles de leur conjoint.

Cette sacrée vérité (1937) est peut-être le film le plus emblématique d’un genre qui marqua l’âge d’or de Hollywood : la comédie du remariage. Le principe en était simple, autant que loufoque : un couple marié se sépare puis se retrouve. À la vérité, il s’agissait moins pour les studios hollywoodiens de parler de remariage que d’adultère, dont l’évocation était censurée par le code Hays. Sur cette base là, Hollywood réalisa des chefs d’œuvre d’humour et de légèreté : L’impossible Monsieur Bébé, Indiscrétions, La Dame du vendredi, Madame porte la culotte où l’on retrouve métronomiquement Katharine Hepburn, Cary Grant, James Stewart, Spencer Tracy.

Cette sacrée vérité coche toutes les cases de la comédie du remariage parfaitement huilée. Le tandem Cary Grant/Irene Dunne s’y montre d’une réjouissante complicité – au risque de miner un scénario qui repose, au départ, sur leur séparation. Les seconds rôles sont hilarants, les situations loufoques à souhait se succèdent à un rythme fou. Les dialogues surtout sont d’une ébouriffante malice, la traduction ne parvenant pas toujours à en retranscrire le sel.

Le seul défaut de Cette sacrée vérité est paradoxalement sa perfection. Tout y est si huilé, si drôle, si remarquablement enchaîné qu’on finit presque par s’y ennuyer.

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L’Étrangleur de Boston (1968) ★★☆☆

Dans les années soixante, la panique gagne Boston où sévit un tueur en série. Ses cibles : des femmes de tout âge, qu’il doit probablement séduire puisqu’aucune infraction n’est relevée à leur domicile, qu’il étrangle et qu’il viole post-mortem. Un bureau spécial est créé à la police et John Bottomly (Henry Fonda) s’en voit confier la tête.
Mais les crimes continuent.
Enfin un suspect est arrêté. Il s’agit d’Albert de Salvo (Tony Curtis), un honnête père de famille, mordu à la main par sa dernière victime. Aucune preuve matérielle ne l’accuse. Mais Bottomly se fait fort de lui arracher des aveux.

L’Étrangleur de Boston est inspiré de faits réels. Il raconte sur un mode quasi-documentaire les crimes commis entre 1962 et 1964 dans la capitale du Massachusetts, la patiente enquête policière, ses tâtonnements et enfin l’arrestation du principal suspect.

L’Étrangleur de Boston compte deux parties distinctes d’une forme bien différente. La première montre en même temps les crimes commis – sans bien sûr jamais révéler le visage du meurtrier – et les efforts de la police pour appréhender le criminel. Richard Fleischer utilise pour ce faire la technique du split screen qui était à l’époque à la mode (L’Affaire Thomas Crown sort la même année). L’action se resserre dans la seconde partie sur le face-à-face étouffant entre Bottomly et Salvo. Au montage très éclaté de la première partie du film succèdent de longs plans-séquence puis des plans fixes de plus en plus rapprochés sur le visage de Salvo.

On comprend alors l’enjeu du film. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un film policier dont l’objet serait d’enquêter sur des crimes et d’en découvrir l’auteur. Il s’agit plutôt d’un film psychanalytique, comme Hollywood aimait en faire depuis les années quarante, sur un psychopathe nous invitant à plonger dans son esprit malade.

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India Song (1975) ☆☆☆☆

Anne-Marie Stretter (Delphine Seyrig) est morte et enterrée aux Indes. Elle était l’épouse de l’ambassadeur de France. Un soir, lors d’une réception, le vice-consul de France à Lahore, sous le coup d’une mutation disciplinaire, lui avait crié son amour.

En 1966, Marguerite Duras avait écrit un roman, Le Vice-Consul. En 1972, elle en avait signé l’adaptation pour le théâtre sous le titre d’India Song. La pièce était jouée à la radio en 1974 et devenait en 1975 un film. La mort de Michael Lonsdale est l’occasion de sa reprise dans quelques salles d’art et d’essai juste avant le reconfinement.

India Song est filmé selon un protocole bien particulier qui est, dit la légende, non pas le produit d’un choix délibéré mais de l’inexpérience de Marguerite Duras qui, le premier jour du tournage, voulait enregistrer en même temps la musique et les dialogues. Elle sacrifia les seconds à la première. Si bien que India Song offre l’image déconcertante de longs plans-séquence (le film de deux heures n’en compte que soixante-quatorze) désynchronisés : la voix off des acteurs ou des narratrices – au nombre desquelles on reconnaît celle de Marguerite Duras elle-même – est désynchronisée des images.

Comme les œuvres de Robbe-Grillet, comme celles de Resnais avant qu’il prenne un tournant plus léger, India Song est un film qui provoque soit la fascination, soit l’exaspération. Certes la musique omniprésente de Carlos d’Alessio est hypnotisante. Mais le ton languissant des voix off, la lenteur des longs travelings, les poses artificieuses des acteurs, les voiles de mystère qui entourent une histoire qui, tout bien considéré, se réduit à peau de chagrin, m’ont plus exaspéré que fasciné. C’est le signe décidément que je ne suis ni l’esthète ni l’intellectuel que je prétends être.

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Kung-Fu Master (1988) ★★★☆

Séparée de son conjoint, Mary-Jane (Jane Birkin), la quarantaine, élève seule deux filles, la petite Lou (Lou Doillon) et Lucy (Charlotte Gainsbourg), une collégienne timide. À l’occasion de la boum organisée pour l’anniversaire de Lucy, Mary-Jane fait la connaissance de Julien (Matthieu Demy), un camarade de classe de Lucy. Le garçonnet l’émeut. Elle éprouve pour lui des sentiments troubles.

Kung-Fu Master est sorti en salles en mars 1988. À l’époque, je passais mon bac, commençais à aller au cinéma et avais reçu un abonnement à Première comme cadeau d’anniversaire. J’avais remarqué ce film-là mais n’avais pas réussi à le voir, faute qu’il fût diffusé sur les écrans de ma lointaine province. La liste de ces films-à-voir est longue de The Kitchen Toto à Pola X en passant par Les Rebelles du dieu Néon, Ariel, Nénette et Boni, Slacker, Le Festin nu, Garçon d’honneur ou Devarim. Mais je ne désespère pas, un jour, de finir par les voir d’une façon ou d’une autre.

Agnès Varda avait tourné un documentaire sur Jane Birkin, Jane B. par Agnès V., au cours duquel l’actrice lui confessait avoir écrit l’ébauche d’un scénario. Ni une ni deux, la réalisatrice décidait de le mettre en scène. Le résultat arrivait sur les écrans six mois plus tard avec un petit film, modeste et mineur, tourné en famille, avec les enfants des uns et des autres, chez les uns et chez les autres (une partie de l’action se déroule à Londres, chez les parents de Jane Birkin).

Aussi mineur soit-il, Kung-Fu Master est un film profondément touchant.
Son sujet pourrait mettre mal à l’aise : il y est tout de même question de la relation amoureuse d’une quadragénaire avec un collégien. On tremble d’ailleurs à l’idée des difficultés que la bien-pensance contemporaine opposerait peut-être aujourd’hui à sa réalisation.

Mais le malaise que le sujet inspire est miraculeusement évacué. Évacué par les ellipses d’un scénario qui laisse planer un doute sur la nature de la relation qui unit Mary-Jane à Martin. Évacué par la douceur de Jane Birkin, dont les sourires et les sentiments pour le jeune Martin n’ont rien de sale. Évacué enfin par l’identité du jeune acteur interprétant Martin, Mathieu Demy, le fils d’Agnès Varda, dont on n’imagine pas un instant qu’elle lui aurait fait jouer un rôle malsain.

Kung-Fu Master est un bijou que j’ai bien fait de ne pas avoir vu à sa sortie. Je n’aurais éprouvé aucune nostalgie à revoir le Paris des années 80, ses vieilles Renault 5, sa mode hideuse (ah ! ces choucroutes !). Je n’aurais pas été ému par le visage poupin de la jeune Charlotte, à peine sortie de l’enfance – pourtant déjà auréolée deux ans plus tôt par le César du meilleur espoir féminin pour L’Effrontée. Je n’aurais pas compris la tendresse du regard que Agnès Varda porte sur ces jeunes adolescents, ni le trouble qu’ils inspirent au personnage joué par Jane Birkin.

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Au-dessous du volcan (1984) ★★★☆

L’action d’Au-dessous du volcan respecte l’unité de temps et de lieu. Elle se déroule le 2 novembre 1938, le Jour des morts, à Cuernavaca au Mexique. Elle a pour héros un consul britannique dont l’alcoolisme pathologique a causé la perte de sa charge. Geoffrey Firmin (Albert Finney) a sombré dans la boisson parce que sa femme Yvonne (Jacqueline Bisset) l’a quitté, parce qu’aussi il a vécu durant la Première guerre mondiale un traumatisme jamais cicatrisé.

J’avais lu le roman de Malcom Lowry. Je ne l’avais pas aimé. J’avais vu il y a dix ans l’adaptation qu’en avait faite Guy Cassiers au Théâtre de la ville. Je ne l’avais pas aimé non plus. Logiquement, je n’aurais pas dû aimer le film de John Huston – que je suis pourtant allé voir, mû par je ne sais quel masochisme teinté d’encyclopédisme. Divine surprise ! je l’ai aimé !

Pour  deux raisons.

La première est la brièveté du film. En moins de deux heures, John Huston – dont c’est l’antépénultième film avant L’Honneur des Prizzi et Gens de Dublin – condense un roman de près de quatre cents pages qui m’avait semblé interminable. Les divagations d’un ivrogne sont un matériau romanesque difficile à manier. Le risque est qu’elles deviennent vite répétitives et lassantes.

Ce risque est évité grâce à l’incroyable prestation de Albert Finney. C’est la seconde qualité du film à mes yeux. L’immense acteur shakespearien est magistral dans le rôle du consul éthylique. Sa démarche vacillante, son smoking sale forment une des images inoubliables du cinéma d’Hollywood. L’Oscar du meilleur acteur lui a échappé de peu. Il fut décerné cette année là à F. Murray Abraham pour son rôle dans Amadeus.

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La Possibilité d’une île (2007) ☆☆☆☆

Daniel1 (Benoît Magimel) est le fils d’un gourou d’une secte minable proche du charlatanisme. À la mort de son père, il décide de partir à Lanzarote pour pénétrer une autre secte lancée dans un projet prométhéen de clonage de l’espèce humaine.
Plusieurs siècles plus tard, le monde ravagé par une succession de guerres et d’épidémies, Daniel25 vit seul dans une grotte et lit le journal de son lointain ancêtre avant de partir à la recherche d’éventuels survivants au milieu des ruines.

Comme The Fountain que j’ai chroniqué hier, La Possibilité d’une île fait partie de ces films à la réputation sulfureuse dont j’avais raté la sortie dans les années 2000. Le confinement – soyons positif – est l’occasion d’une séance de rattrapage.

Si The Fountain divisa le public et la critique, La Possibilité d’une île reçut un accueil unanime et sans appel : de l’avis général, c’était un film prétentieux et raté.

Force est d’admettre que le public et la critique avaient raison.

La Possibilité d’une île fut pourtant un roman réussi. Pas le meilleur de Houellebecq dont l’œuvre maîtresse aura été Les Particules élémentaires, le plus magistral, le plus audacieux, le plus novateur. Pas mon préféré non plus, Extension du domaine de la lutte restant celui par lequel j’ai découvert Houellebecq au milieu des années 90 et avec lequel il m’a définitivement conquis (une adaptation cinématographique méconnue et pourtant très réussie en fut tirée en 1999 avec José Garcia et Philippe Harel). Pas celui que couronna le Goncourt non plus, cette distinction étant finalement attribué à La Carte et le Territoire en 2010. Pas celui enfin qui causa le plus de polémiques, Soumission, dont la sortie en janvier 2015, on s’en souvient, coïncida avec l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo.

La Possibilité d’une île est un roman touffu de près de cinq cent pages qui brasse quelques uns des thèmes de prédilection de Houellebecq : la déshumanisation de nos sociétés contemporaines dont les moindres aspects, y compris l’amour et le sexe, s’inscrivent inexorablement dans des logiques marchandes, les possibilités infinies ouvertes par la science et par la biologie, un pessimisme radical sur l’avenir de l’humanité…

Mais un roman réussi peut donner lieu à un film raté – la réciproque étant en revanche plus rare. Surtout quand on a la mauvaise idée d’en confier la réalisation à son auteur qui n’a manifestement pas la moindre expérience de la caméra. Houellebecq a le défaut des novices. Il tourne des plans splendides, sans la moindre idée de leur agencement. Du coup, son film, qui saute du coq à l’âne, manque cruellement de rythme. Ses meilleures scènes sont les moins spectaculaires, lorsqu’il dénonce les tares de nos sociétés contemporaines, avec une ironie grinçante façon Kervern-Delépine. En revanche, dès qu’il verse dans la S-F, le résultat est si calamiteux qu’il en devient drôle. Le malheureux Benoît Magimel semble vite aussi perdu que nous.

La seule qualité de ce film est son étonnante brièveté : quatre-vingt cinq minutes à peine alors que le roman laissait augurer une durée nettement plus languide. Comme si, à mi-parcours, l’écrivain s’était lassé de son nouveau joujou à six millions d’euros et avait laissé tomber la caméra.

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The Fountain (2006) ★★★☆

Au XVIème siècle, un conquistador part aux Amériques à la recherche de la Fontaine de jouvence.
De nos jours, un cancérologue cherche frénétiquement un remède au cancer qui va emporter sa femme.
Au XXVIème siècle, un sage lévite, près d’un arbre qu’il espère ramener à la vie, dans une bulle qui navigue dans l’espace, hanté par le souvenir de la femme qu’il a aimée.

Auréolé du succès de ses deux premiers films, Pi et Requiem of a Dream, le réalisateur Darren Aronofsky a mis plus de six ans à tourner The Fountain, son œuvre la plus ambitieuse. Brad Pitt et Kate Blanchett auraient dû en interpréter les rôles principaux. Ils furent remplacés en cours de production par Hugh Jackman et par Rachel Weisz qui, à l’époque, partageait la vie du réalisateur (elle partage désormais celle de Daniel Craig… soupirs). Le budget de quatre vingt dix millions de dollars fut raboté des deux tiers. Et le film fut finalement un échec commercial cinglant.

Depuis sa sortie en 2006, The Fountain est devenu un film-culte. Pour les uns, c’est un salmigondis métaphysique prétentieux noyé dans une esthétique tape-à-l’œil. Pour les autres, c’est une magistrale réflexion sur la mort sublimée par des images et une musique renversantes.

C’est avec cette somme d’a priori que j’ai enfin découvert un film que mon expatriation au Sénégal m’avait empêché de voir à sa sortie. Je craignais que le sens ne m’en échappe. Crainte injuste : si le film joue à saute-moutons entre ses trois temporalités, son scénario très fluide se laisse toujours parfaitement comprendre. Je craignais plus encore sa fatuité. Là encore, ma méfiance était infondée. Certes The Fountain se prend au sérieux au risque de parfois verser dans l’emphase. Certes il se coltine un sujet qui pèse des tonnes au risque là encore de sembler sentencieux. Mais il le fait dans un style si extraordinaire que, sans crier comme certains au chef d’œuvre, on se dit finalement que The Fountain méritait d’être vu.

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Dernier Caprice (1961) ★★★☆

M. Kohayagawa dirige une petite brasserie à Osaka, menacée par la concurrence. Il a eu trois enfants. Son fils est mort laissant une veuve, Akiko, qui hésite à se remarier. Sa fille aînée, Fumiko, est mariée à Hisao, qui travaille dans la brasserie de son beau-père et s’inquiète de son devenir. Sa cadette, Noriko, est secrètement amoureuse d’un ancien collègue et refuse les partis qu’on lui propose.
L’âge de M. Kohayagawa et sa santé déclinante laissent augurer sa fin prochaine. Mais avant de mourir, le vieil homme veut s’autoriser un « dernier caprice » : retrouver Madame Sasaki, une ancienne maîtresse avec qui il a eu jadis un enfant illégitime.

Dernier Caprice – aussi connu sous son titre plus littéral L’Automne de la famille Kohayagawa – est l’un des tout derniers films de Ozu. Son sujet testamentaire résonne avec le destin du grand réalisateur qui est sur le point de clôturer son œuvre avec Le Goût du saké. La mort rode ; mais cette perspective n’a rien de lugubre. Comme toujours chez Ozu, ses personnages se montrent d’une infinie délicatesse.

Le plus emblématique est Akiko, la belle-fille de Kohayagawa, interprétée par Setsuko Hara, qui refuse de se remarier. Le personnage fait écho à la relation secrète qui unissait le réalisateur et son interprète fétiche : elle arrêta sa carrière à la mort d’Ozu et vécut retirée, refusant la moindre interview pendant plus de cinquante ans.

Autour d’elle on retrouve, dans des rôles mineurs, les acteurs dont Ozu s’est entouré dans tous ses films : Chishu Ryu, Haruko Sugimura. On y retrouve sa manière de filmer, si reconnaissable : de longs plans fixes soigneusement cadrés tournés à ras du tatami, des champs-contrechamps filmés dans l’axe donnant presque l’impression que les protagonistes s’adressent à la caméra. Et surtout on y retrouve la légèreté et la tendresse dont sont emprunts chacun de ses films.

Je revois très rarement les films que j’ai déjà vus. Pourquoi le ferais-je ? Soit je les ai aimés et je risque de moins les aimer en les revoyant. Soit je ne les ai pas aimés et pourquoi les aimerais-je à leur seconde vision ? Mais néanmoins, l’âge aidant, quand la fin approchera, je consacrerai les six mois de répit que m’offrira mon cancer fulgurant à revoir les films d’Ozu. Je n’imagine guère de baume plus efficace aux chagrins de la vie.

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Taking lives, destins violés (2004) ★☆☆☆

La police de Montréal traque sans succès un tueur en série. Elle fait appel à un agent spécial du FBI, Illeana Scott (Angelina Jolie), qui retrouve la trace de la mère de l’assassin (Gena Rowlands) et en établit le profil : depuis près de vingt ans, il tue ses victimes pour en subtiliser l’identité. Pour l’aider dans son enquête, Scott peut s’appuyer sur le témoin d’un crime (Ethan Hawke).

Quand elle tourne Taking Lives en 2004, l’actrice Angelina Jolie n’a pas trente ans mais est déjà au sommet de sa gloire. Son second rôle dans Une vie volée en 1999 lui avait valu un Golden Globe et un Oscar. Le triomphe de Lara Croft en 2001 et de sa suite en 2003 a fait d’elle une star planétaire. Ce succès est-il usurpé ? Angelina Jolie n’est peut-être pas une immense actrice – même si, comme Marilyn, elle suit à la lettre les préceptes de l’Actor’s Studio – mais elle est tellement agréable à regarder qu’on lui excuse ses fautes de carre.

Réalisé par D.J. Caruso, dont le premier film, Salton Sea, venait d’être remarqué, Taking Lives s’inscrit dans la filiation de Seven. Les tueurs en série étaient à l’époque à la mode. Angelina Jolie elle-même avait d’ailleurs joué quelques années plus tôt dans un film en tous points semblables, Bone Collector.

Taking Lives se déroule au Canada, soi-disant à Montréal, même si on voit en arrière-plan la silhouette du Château Frontenac de Québec. La raison en est sans doute que les tournages y sont moins chers que sur le sol américain. Du coup, y sont rassemblés quelques acteurs français. Il est assez cocasse de voir Tchéky Karyo, Jean-Hugues Anglade et Olivier Martinez discuter ensemble dans un mauvais anglais. On reconnaît aussi, dans des rôles minuscules Paul Dano (qu’allait révéler deux ans plus tard Little Miss Sunshine) et Marie-Josée Croze (qui avait pourtant déjà obtenu l’année précédente le prix d’interprétation féminine à Cannes pour Les Invasions barbares).

Taking Lives ne révolutionne pas le cinéma, mais se regarde sans déplaisir en dépit d’un épilogue passablement grotesque.

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