Pépé le Moko (1937) ★★☆☆

La police est aux trousses de Pépé le Moko (Jean Gabin). Reclus dans l’inextricable entrelacs des rues de la casbah d’Alger, protégé par ses lieutenants, il y est inexpugnable. La police ne pourra l’arrêter qu’en l’en faisant sortir. Quand l’inspecteur Slimane découvre que Pépé s’est entiché d’une belle parisienne de passage, Gaby Gould (Mireille Balin, qui fut à la ville la maîtresse de Gabin), il pense avoir trouvé le moyen de l’attirer hors de la casbah et de l’appréhender.

Pépé le Moko est un film mythique. Deux ans plus tôt, avec La Bandera du même Julien Duvivier, Gabin était devenu une star. Dirigé par Jean Renoir ou Marcel Carné, spécialisé dans les rôles de dur au cœur tendre, il allait enchaîner les films d’anthologie – La Grande Illusion, Le Quai des brumes, La Bête humaine, Le jour se lève – avant que la Seconde guerre mondiale et son engagement dans les Forces françaises libres n’interrompent temporairement sa carrière.

Mais Pépé le Moko ne vaut pas seulement par son interprète principal. C’est aussi un film emblématique du « cinéma colonial », un genre à part entière qui fit florès dans les années trente et qui donnait à voir aux spectateurs métropolitains une France coloniale fantasmée et manichéenne avec son lot de beaux légionnaires, de fiers chefs de guerre et de vénéneuses moukères.

Pépé le Moko ne s’embarrasse pas d’authenticité qui a été entièrement tourné en studio. Adaptant un médiocre polar, Julien Duvivier n’y fait pas oeuvre d’anthropologue. Si le film est marquant, c’est moins par ce qu’il montre de la vie en Algérie française dans les années trente que par son atmosphère de film noir : héros désenchanté à la virilité blessée, rédemption impossible, destin tragique…

Plus de quatre vingt ans ont passé et Pépé le Moko a bien vieilli. Le racisme inconscient qu’il charrie met aujourd’hui mal à l’aise. Certes les dialogues de Henri Jeanson sont brillants ; mais le jeu outré des seconds couteaux ne passe plus. Et les langueurs du scénario font trouver le temps bien long.

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Lifeboat (1944) ★★★☆

Neuf rescapés trouvent refuge sur un canot de sauvetage après le torpillage d’un navire américain par un sous-marin allemand au milieu de l’Atlantique. Parmi eux un Allemand parfaitement anglophone : est-il un rescapé du navire ou le commandant du sous-marin ?

Lifeboat est tourné en 1943, alors que les États-Unis, après bien des hésitations, viennent d’entrer en guerre. Pour la Fox qui en commande le scénario à John Steinbeck, il doit s’agir d’une œuvre patriotique au sens univoque : les rescapés du naufrage, dont la diversité symbolise la richesse de la nation américaine, se coalisent pour faire face à la menace commune.

Mais Alfred Hitchcock, dont la notoriété est désormais bien assise à Hollywood grâce aux succès de Cinquième colonne et de L’Ombre d’un doute, ne l’entend pas de cette oreille. Lifeboat sera plus subtil que la Fox l’aurait voulu – et que le public, qui lui réserva un accueil froid, était prêt à l’accepter. Il ne s’agit pas d’opposer bloc à bloc la noble efficacité du peuple américain à la brutale sauvagerie du sous-marinier allemand. Le trait est moins manichéen, même si la morale du film ne laisse finalement pas de doute. D’un côté, l’unité des huit Américains, traversés, comme souvent chez Hitchcock par des tensions de classes, ne va pas de soi. De l’autre, l’Allemand ne se réduit pas à une caricature : la décision qu’il prend à l’insu de ses coéquipiers s’avère finalement la plus efficace pour leur sauver la vie.

Le dispositif de Lifeboat est resté célèbre : un huis clos au grand air. La caméra ne quitte jamais le bateau. Hitch adorait ce genre de défi : tourner tout un film en un unique plan-séquence comme dans La Corde, condamner son héros à l’immobilité comme dans Fenêtre sur cour. Très vite pourtant, les contraintes du dispositif s’oublient grâce aux rebondissements du scénario.

On sait que Hitchcock effectue un cameo dans chacun de ses films. Ici, la gageure semblait impossible à relever : comment le réalisateur pourrait-il apparaître dans ce huis clos ? Une solution ingénieuse fut trouvée : on voit la photo de Hitchcock dans un journal que l’un des rescapés feuillette. La légende raconte même que la publicité pour un régime amaigrissant qu’illustrait cette photo avait suscité des demandes d’informations.

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Tempête à Washington (1962) ★★☆☆

Le Président des États-Unis, sentant sa fin prochaine, inquiet de la politique que suivra après sa mort son vice-président, décide de remplacer son Secrétaire d’État par Robert Leffingwell (Henry Fonda). Mais son choix doit être approuvé par le Sénat. Sa nomination se heurte à l’opposition vindicative du vieux sénateur Seabright Cooley (Charles Laughton) qui reproche à Leffingwell ses sympathies pro-communistes.

Réalisé en 1962, adapté d’un prix Pulitzer, tourné dans les locaux même du Sénat avec une pléiade de stars qui pour certaines avaient été visées dix ans plus tôt par le maccarthysme, Tempête à Washington est un monument un peu indigeste dédié à la démocratie américaine, une sorte de manuel de droit constitutionnel illustré. Son titre original, Advise and Consent, renvoie d’ailleurs directement au pouvoir du Sénat d’approuver les nominations présidentielles, telles celles du ministre des affaires étrangères dont il est ici question.

Il est l’oeuvre d’Otto Preminger, un juif austro-hongoris réfugié aux États-Unis en 1935 qui signa quelques uns des films les plus marquants de l’âge d’or d’Hollywood : Laura (1945) avec Gene Tierney qu’on retrouve dans un petit rôle dans Tempête à Washington, Rivière sans retour (1955) avec Marilyn Monroe et Robert Mitchum, L’Homme au bras d’or (1955) avec Frank Sinatra, Autopsie d’un meurtre (1959) avec James Stewart, Exodus (1960) avec Paul Newman… Dans Tempête à Washington, il confie son tout dernier rôle à Charles Laughton, immense acteur et réalisateur d’un film unique, La Nuit du chasseur, qui éclipse largement Henry Fonda qu’on voit à peine et qui occupe pourtant la tête d’affiche.

Trop fidèle au livre dont il était inspiré, épais de huit-cents pages, Tempête à Washington dure plus de deux heures. S’il multiplie les rebondissements, parfois à la limite de la crédibilité (cellule communiste clandestine, liaison homosexuelle cachée…), il ne le fait pas au rythme auquel les films et les séries contemporaines nous ont désormais habitués. On pourra trouver le temps un peu long. N’en reste pas moins le témoignage magistral d’une certaine époque du cinéma hollywoodien et de la démocratie américaine in progress.

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Beau-père (1980) ★★★☆

Rémi (Patrick Dewaere), la quarantaine, est un pianiste d’hôtel dépressif sans talent. Il vit en couple avec Martine (Nicole Garcia) et sa fille Marion (Ariel Besse), une adolescente un peu rebelle. Quand Martine meurt accidentellement, quand Charly (Maurice Ronet), le père de Marion, refuse d’en assurer la garde, c’est à Rémi qu’il incombe de prendre l’adolescente sous sa coupe. Mais la situation devient bientôt intenable pour lui quand la jeune fille se déclare follement amoureuse de lui et se jette à son cou.

J’avais vu Beau-père à la télévision dans les années quatre-vingts et en ai gardé un souvenir très vif. Je l’ai revu trente ans plus tard, en octobre dernier, au Champo, à l’occasion d’un hommage rendu à Patrick Dewaere dont c’était l’un des derniers films. Beau-père lui valut sa dernière nomination au César du meilleur acteur, une récompense pour laquelle il fut cinq fois nominé, quasiment cinq années de suite, en 1977, 1978, 1980, 1981 et 1982, mais qu’il n’obtint jamais.

L’affiche de Beau-père, qui fit scandale, annonce la couleur. Son thème est sulfureux : l’inceste (même si Rémi et Marion ne partagent pas le même sang), la pédophilie (Marion a quatorze ans). Nul doute que ce genre de films-là serait impossible à tourner de nos jours.

Mais pourtant, si son thème est provocateur, Beau-père n’a rien de salace. D’ailleurs Bertrand Blier se serait opposé au choix de l’affiche par son distributeur, lui en préférant une plus sage qui ne dénudait pas le buste d’Ariel Besse. C’est au contraire un film pudique qui raconte avec une grande tendresse une histoire d’amour interdit. Tout y est un peu triste, depuis le deuil de Martine qui laisse Rémi et Marion épleurés, jusqu’à cette banlieue parisienne sans charme filmée sous un ciel maussade. Il n’est pas jusqu’à l’échappée belle à Courchevel où les deux amants se connaîtront enfin qui ne soit pas cafardeuse.

Tout part comme toujours chez Blier d’un texte très écrit. Le miracle est que les acteurs ne sont jamais artificiels en le récitant. Patrick Dewaere est au sommet de son art. Il faut le voir dans la première scène, face caméra, en smoking, derrière son piano, s’ennuyant cent sous l’heure dans un thé dansant. On reconnaît Nicole Garcia dans un rôle trop bref, et Nathalie Baye, toutes deux éclatantes de jeunesse. La jeune Marion est jouée par Ariel Besse. Ce fut pour elle un coup d’éclat sans lendemain. Le rôle avait été proposé, dit-on, à Sophie Marceau, qui venait de se révéler avec La Boum et qui connut ensuite le succès que l’on sait…

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Sogni d’Oro (1980) ★☆☆☆

Michele Apicella, double autobiographique de Nanni Moretti, fait la tournée promotionnelle de son dernier film et tourne le suivant, une adaptation de la vie de Sigmund Freud. Un conflit l’oppose à un jeune réalisateur dont son producteur a décidé de financer sa comédie musicale sur mai 68. Apicella décide de le défier dans un débat télévisé.

Sogni d’oro (1981) n’est pas le premier film de Nanni Moretti mais son troisième après Je suis un anarchiste en 1976 et Ecce Bombo en 1978. Mais c’est celui grâce auquel il accède à la notoriété, en Italie et à l’étranger, grâce notamment au prix spécial du jury que lui délivre la Mostra de Venise.

Nanni Moretti n’a pas encore trente ans ; mais il a déjà trouvé sa voie. Sur le fond comme sur la forme, tout son cinéma est déjà inscrit dans Sogni d’oro qui connaîtra ensuite d’innombrables déclinaisons : Bianca, Journal intime, Aprile, Mia Madre…. La forme : la chronique autobiographique volontiers ironique voire satirique. Le fond : questionnements intimes, réflexions artistiques, interrogations politiques.

Regarder aujourd’hui Sogni d’oro, grâce à Arte TV qui diffuse une rétrospective de son oeuvre, c’est effectuer un bond en arrière de presque quarante ans et explorer la généalogie du cinéma de Moretti. Le film est construit de bric et de broc qui enchaîne, sans toujours se soucier de les relier les unes ou autres, des scènes plus ou moins convaincantes. Nanni Moretti est de chaque plan : avec sa mère, derrière la caméra, devant son public qui lui reproche son élitisme. On aperçoit Laura Morante pour la première fois, qui deviendra son actrice fétiche.

Sogni d’oro a mal vieilli. Les thèmes qu’il brasse (la crise du cinéma d’auteur, la médiocrité de la télévision, la faillite du gauchisme…) semblent bien datés. On lui préfèrera les films de la maturité et au premier chef La Chambre du fils.

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Senna (2010) ★★☆☆

Ayrton Senna (1960, 1994) fut l’un des plus grands pilotes professionnels. Sa rivalité fratricide avec Alain Prost (les deux pilotes couraient pour la même écurie) constitua l’une des pages les plus célèbres de l’histoire de la Formule 1. Sacré trois fois champion du monde sur MacLaren en 1988, 1990 et 1991, il trouve la mort durant le Grand Prix de San Marin à Imola sous les yeux des spectateurs du monde entier.
À partir d’images d’archives, le documentariste britannique Asif Kapadia revient sur la vie du célèbre pilote.

Je n’avais pas vu Senna à sa sortie dans les salles en 2011. Je profite du confinement pour le faire. Car depuis lors, j’avais été enthousiasmé par les deux documentaires réalisés par Asif Kapadia : la première en 2015 sur Amy Winehouse qui m’avait arraché des sanglots et la seconde en 2019 sur Diego Maradona.

Pourtant rien ne m’ennuie plus que la Formule 1. Les Grands Prix à la télévision, le ronronnement monotone des moteurs et les tours de circuit hypnotiques des bolides me plongeaient dans une profonde léthargie. Rien n’est plus impressionnant que de voir – et d’entendre – les bolides quand on est sur la piste (j’ai grandi à vingt kilomètres du Circuit du Castellet) ; mais rien ne me semble plus ennuyeux que de les regarder derrière un petit écran.

Ceci dit, la vie d’Ayrton Senna a des airs de tragédie grecque. Et Asif Kapadia sait instiller de la tension dramatique dans sa narration.

Il ne nous dit pas grand chose de la vie privée du pilote. On comprend qu’il est issu de la classe moyenne brésilienne, qu’il a été choyé par ses parents qui l’ont toujours encouragé et soutenu. Le documentaire ne nous dira rien de ses amours, pas plus qu’il ne nous révèlera d’éventuels démons intérieurs que Senna aurait su dompter ou au contraire qui l’auraient entraîné dans l’abîme. On est loin des profils auto-destructeurs de Amy Winehouse ou de Diego Maradona.

Pour autant Senna reste captivant. Captivant par le duel titanesque qu’il raconte avec Alain Prost. Tout opposait les deux hommes : le Français, froid, calculateur, méticuleux, le Brésilien, obsédé par la victoire et aveuglé par une foi envahissante qui l’a peut-être conduit à sous-estimer les risques. Leur duel s’est conclu deux fois à Suzuka en 1989 et 1990 par deux accrochages polémiques. Captivant parce qu’on en sait l’issue tragique et qu’on en vit chaque étape comme un pas vers une conclusion inévitable.

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Les Tuche (2011) ☆☆☆☆

Les Tuche sont prolos depuis plusieurs générations. Cela n’empêche pas Jeff Tuche (Jean-Paul Rouve), sa femme Cathy (Isabelle Nanty) et leurs trois enfants de former une famille heureuse et unie.
Tout change lorsque les Tuche gagnent à l’Euroloterie. Les voici soudainement multi-millionaires. C’est l’occasion pour eux de vivre leur rêve : s’installer à Monaco. Chacun des membres de la famille s’y acclimate non sans mal.

Avec le confinement, je redécouvre ma télévision. J’y suis en direct, comme des millions de Français, les allocutions présidentielles. Je me réjouis de la décision de Canal + de diffuser en clair. Et, pour permettre un sevrage en douceur depuis la fermeture des salles, je regarde des films. Le pire y côtoie le meilleur. Hier soir, c’était Tempête à Washington de Otto Preminger. Avant-hier, Les Tuche. Le premier était diffusé sur Arte, le second sur TF1. Sans commentaires….

Je n’avais pas vu Les Tuche au cinéma. Ni sa suite. Ni la suite de sa suite. La série a connu un immense succès public : Les Tuche ont attiré 1.5 millions de spectateurs, Les Tuche 2 4,4, Les Tuche 3 5,5… Un succès croissant qui rend inéluctable la réalisation d’une suite de la suite de la suite dont la sortie est prévue le 9 décembre 2020 si le monde d’ici là ne s’est pas arrêté de tourner.

Avant de mourir, je voulais comprendre les clés d’un pareil engouement. Signe qu’il est l’heure pour moi de quitter la scène, je n’y ai rien compris. Du début à la fin, j’ai trouvé le film affligeant. Son scénario paresseux tangente le niveau du 3901ème épisode de Plus belle la vie. Ses acteurs en roue libre étalent un cabotinage insupportable, à commencer par Jean-Paul Rouve affublé de tous les accessoires du parfait beauf : jogging, banane, coupe mulet… Et plus grave, on ne rit jamais, ni des personnages, ni des situations.

Détail piquant : le film n’a pas obtenu l’autorisation de tournage des autorités monégasques et a été réalisé à… Sanary-sur-Mer. Je ne sais pas s’il s’agit d’une circonstance atténuante ou aggravante.

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La Beauté des choses (1995) ★☆☆☆

À Malmö, en 1943, Stig est lycéen. Il étouffe dans sa famille et jalouse son frère aîné qui a quitté le foyer. Une nouvelle professeure, la petite trentaine, vient d’arriver de Stockholm. Un jeu de séduction commence entre Stig et Viola qui deviennent bientôt amants. Leur relation se déroule au vu et au su de Kjell, le mari de Viola, un représentant de commerce, mélomane et alcoolique.

La Beauté des choses est le dernier film de Bo Widerberg, un réalisateur suédois mort en 1997 dont la réputation a été éclipsée par la renommée envahissante de son compatriote Ingmar Bergman. Il avait beau avoir remporté le Grand Prix du jury à Berlin et avoir été nommé aux Oscars du meilleur film étranger, il était resté inédit en France et n’est sorti dans les salles que mercredi dernier.

Le titre original, Lust och fägring stor, se traduit difficilement. Je remercie mon ami Johan Frisell de m’y avoir aidé. Il est tiré d’un psaume récité au début de l’été dans les collèges. Le titre français ne veut pas dire grand chose ; le titre anglais (All Things Fair) non plus.

Son thème est sulfureux (le film, fort sage, a été pourtant autorisé à tous les publics par le CNC quand bien même Allociné et l’Officiel affichent à tort une interdiction aux moins de douze ans) : les relations entre un jeune homme et une « milf ». Le thème n’est pourtant pas nouveau : Le Diable au corps, Le Blé en herbe, Le Lauréat , Mourir d’aimer (inspiré de faits réels que Georges Pompidou résuma dans une formule qui fit date), sans parler du Souffle au cœur qui y ajoutait une dimension incestueuse.
On aura noté que l’ensemble des livres et des films mentionnés ci-dessus mettaient en scène un jeune garçon et une femme plus âgée. La question de la pédophilie et du consentement ne s’y posait pas. Pas encore.

Stig est sans l’ombre d’un doute mineur. Pourtant, il n’y a aucun parfum de scandale dans la relation qu’il noue avec Viola. Consentants, ils le sont l’un et l’autre. Le plus érotique du film est peut-être son affiche qui, hélas, ne correspond à aucune des images que l’on voit dans le film.

Sa première partie est la plus intéressante où les deux protagonistes se rencontrent, se frôlent, se séduisent. Le premier baiser est échangé dans une scène que la bande-annonce dévoile. La suite est hélas plus fade. Le trio déroutant qui se crée avec le mari, dont le consentement à l’adultère dont il est victime doit autant à son éthylisme qu’à sa largesse d’esprit, n’est guère crédible. Le film se termine par une scène que je n’ai pas comprise. Qui voudra me l’expliquer en mp en sera remercié !

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Dernier Amour ★★☆☆

Artiste désargenté, Picchio (Ugo Tognazzi) échoue dans une maison de retraite dirigée d’une main de fer par un ancien militaire. Ses gags hilarants ont tôt fait d’y semer la zizanie. Picchio y fait la connaissance de Renata (Ornella Mutti), une femme de chambre. Quand le retraité touche un magot qui lui permet de quitter son mouroir, il fuit à Rome avec la jeune fille.

Les Acacias distribuent une retrospective consacrée à Dino Risi, le prince de la comédie italienne. Servi par d’admirables interprètes comme Vittorio Gassman (avec qui il a touné pas moins de dix-sept films dont l’inoubliable Parfum de femme, son chef d’oeuvre), Alberto Sordi ou Nino Manfredi, Dino Risi s’est fait une spécialité du film à sketchs, un genre qui connaît une récente et surprenante renaissance (Les Nouveaux Sauvages, La Ballade de Buster Scruggs des frères Cohen en exclusivité sur Netflix, Selfie…). Les personnages qu’il y caricature sont autant de spécimens de la société italienne, fanfarons, obsédés sexuels, hypocrites et lâches.

Le cinéma de Dino Risi est caustique. Dernier Amour n’échappe pas à la règle qui ne se moque pas toujours gentiment de ses protagonistes. Picchio est un vieux clown pas toujours drôle auquel Renata ne cèdera pas tant qu’il n’a pas le sou. Renata est une jeune écervelée qui quittera Picchio à la première occasion pour un amant plus jeune ou plus riche. Les autres personnages de la maison de retraite forment une galerie de « monstres » séniles et pathétiques.

Le titre original en italien est Primo amore, un titre plus optimiste et plus ambigu que sa traduction en français. Premier amour de Renata ? ou première aventure amoureuse de Picchio après sa retraite ?

Dernier Amour a vieilli, comme a vieilli toute l’oeuvre de Dino Risi. Le cabotinage de Ugo Tognazzi est insupportable – il allait tourner l’année suivante La Cage aux folles. Ornella Muti est sans doute très jolie ; mais elle joue comme une quiche et on comprend mal – ou alors on comprend trop bien – les motifs pour lesquels son interprétation lui a valu la Grolla d’oro de la meilleure actrice en 1978. Surtout, au-delà de son cynisme doux-amer, Dernier Amour baigne dans une atmosphère innocemment phallocratique démodée, sinon révoltante, quand on la regarde avec les lunettes de #MeToo.

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Black Journal ★★☆☆

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Léa (Shelley Winters) rejoint son mari Rosario dans leur nouvelle demeure dans le Nord de l’Italie. Leurs fils unique Michele est fiancé à Sandra, une jeune professeure de danse.
Sous des dehors bourgeois, Léa cache une profonde instabilité. La cause en est dans la mort de ses douze premiers enfants, décédés à la naissance ou durant leurs premiers mois. Elle a reporté toute son affection sur son fils unique dont elle refuse qu’il la quitte pour se marier ou faire son service militaire.
Sombrant dans la folie, Léa va commettre trois crimes horribles sur trois femmes, trois amies proches, auxquelles elle reproche de ne jamais avoir eu d’enfant. Pour dissimuler ses méfaits, avec l’aide de Tina, une servante sourde et muette, elle démembre les cadavres, les fait bouillir et fabrique du savon à partir de leurs restes.

Black Journal (dont le titre original Gran Bollito « La Grande Bouillie » est plus parlant) est inspiré de faits réels : Leonarda Cianciulli, joliment surnommée la « saponificatrice de Correggio », avait, en 1939 et 1940, tué trois femmes puis les avait coupées en morceaux et transformées en savon. Ce fait divers macabre avait marqué le jeune Mauro Bolognini qui en fit près de quarante ans plus tard un film.

Le réalisateur italien est connu pour ses films des années soixante adaptés de la littérature italienne : Brancati (Le Bel Antonio), Moravia (Ca s’est passé à Rome), Svevo (Quand la chair succombe), et pour sa participation aux films à sketches qui avaient, à l’époque, un succès que plus rien, de nos jours, ne permet de comprendre.
Black Journal était resté inédit en France jusqu’à sa sortie par Les Films du camélia, la société de production de Ronald Chammah, le compagnon d’Isabelle Huppert.

Cette perle oubliée est caractéristique de la production italienne des années soixante-dix, à mi-chemin de Dino Risi pour la chronique mordante de la bourgeoisie italienne et de Dario Argento pour le gore sanguinolent. Participent à la satire trois acteurs masculins travestis (parmi lesquels on reconnaît Max von Sydow qui s’en donne à cœur joie) pour jouer les trois femmes qui mourront sous le couteau de la « saponificatrice ».

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