The Last Movie ★☆☆☆

Une équipe de cinéma tourne un western au Pérou. À la fin du tournage, Kansas (Dennis Hopper), un cascadeur qui s’est lié avec une prostituée, décide de rester dans la région. Un de ses amis vient de se porter acquéreur d’une mine dont il espère extraire de l’or. Kansas fréquente un couple de riches américains.
Pendant ce temps, les Péruviens qui avaient assisté au tournage se mettent en tête de le recommencer.

The Last Movie vaut avant tout pour la légende sulfureuse qui l’entoure. Nous sommes à l’orée des années soixante-dix en pleine époque Peace and Love. Dennis Hopper vient de réaliser Easy Rider chez Columbia Pictures qui a reçu un accueil triomphal. Trop content de le débaucher, Universal Pictures lui signe un chèque en blanc pour tourner son prochain film. Dennis Hopper part le réaliser au Pérou. C’est un prétexte à une longue orgie de drogue, d’alcool et de sexe entre amis : Peter Fonda, son comparse d’Easy Rider, Kris Kristofferson, Michelle Phillips, la chanteuse du groupe rock The Mamas and the Papas qui se marie avec Dennis Hopper pendant le tournage… et en divorce huit jours plus tard !

Le film se ressent de ce joyeux bordel. L’image est granuleuse, la prise de son détestable, les acteurs peinent à retenir les fous rires qui concluent chacune de leurs scènes. Le montage n’arrange rien qui se plaît à déconstruire une histoire dont j’ai tant bien que mal essayé de reconstituer la chronologie dans ma présentation.

On pourrait certes voir dans The Last Movie une œuvre crépusculaire sonnant le glas à la fois du cinéma hollywoodien et de la domination arrogante de l’Amérique sur le monde. Mais ce serait sans doute faire trop d’honneur à une œuvre brouillonne réalisée par de mauvais garnements sous LSD.

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L’une chante, l’autre pas ★★★☆

En 1962, Pauline (Valérie Mairesse) a dix-sept ans et ne supporte pas la morale petit-bourgeois dans laquelle ses parents l’ont éduquée. Elle prépare paresseusement son bachot et consacre son temps libre à la chanson. Elle retrouve par hasard Suzanne (Thérèse Liotard), une ancienne voisine de cinq ans son aînée, qui vit en couple avec Jérôme, un photographe, dont elle a déjà eu deux enfants et dont elle en attend un troisième. Pauline va aider Suzanne à avorter.
Entre les deux femmes se nouera une amitié qui défiera le temps.

Quand Agnès Varda réalise L’une chante, l’autre pas en 1977, le combat pour les droits des femmes fait rage. L’engagement des militantes du Planning familial, des « salopes » du Manifeste des 343 – qu’Agnès Varda avait elle-même signé – et de Gisèle Halimi – qui apparaît dans son propre rôle dans le film – avait déjà porté quelques fruits. Mais beaucoup restait à faire pour ébranler la société française, patriarcale et phallocratique.

C’est dans ce contexte politique bien particulier qu’Agnès Varda sort son film. Elle aurait pu en faire un appareil propagandiste pachydermique comme les années soixante-dix dans leur obsession militante en ont hélas beaucoup produit. Mais L’une chante, l’autre pas réussit au contraire à rester léger. Car loin de s’attacher à faire le tableau d’une époque (elle n’évoque même pas d’un mot Mai 1968 ou la loi Veil), Agnès Varda fait avant tout le portrait de deux femmes.

Le film, qui dure deux heures, leur donne une rare épaisseur, exaltant leurs qualités (l’énergie de Pauline, la douceur de Suzanne) sans rien cacher de leurs défauts (l’irresponsabilité de la première incapable de se fixer, le fatalisme de la seconde prompte à se replier sur elle-même). Aujourd’hui, on aurait réalisé une mini-série de six épisodes les suivant au cours des années comme le fait le film entre le gris Paris de 1962, le Soissonnais où Suzanne retourne après le suicide de Jérôme, la Côte d’Azur où elle s’installe ensuite pour y rencontrer Pierre, l’Iran exotique où Pauline ira se marier avant d’en revenir bien vite…

Il se dégage de ce film au charme suranné, ressorti dans quelques salles parisiennes à une époque où #MeToo et #BalanceTonPorc lui donnent une nouvelle actualité, une tendresse communicative. Certaines critiques lui reprochent sa naïveté. Reconnaissons lui au contraire sa douceur.

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L’Ange ivre ★★★☆

Le docteur Sanada (Takashi Shimura) a installé son cabinet dans un quartier pauvre de Tokyo au bord d’une mare pestilentielle. Il cache derrière une approche revêche un grand cœur. Il soigne tous les malades, même ceux qui ne peuvent le payer. Aussi accepte-t-il de retirer la balle que Matsunaga (Toshiro Mifune) un yakuza patibulaire, a reçue dans la main. À l’occasion de cette consultation, le docteur diagnostique une tuberculose. Il ordonne à son patient de se soigner en évitant l’alcool et les femmes. Mais l’orgueilleux Matsunaga n’en fait qu’à sa tête au risque de s’affaiblir rapidement.
Sa santé déclinant, son autorité dans le quartier où il faisait régner la peur s’affaiblit. D’autant qu’un ancien caïd, récemment libéré de prison, y refait son apparition.

Kurosawa est peut-être le plus grand réalisateur japonais du vingtième siècle, si tant est que ces hit-parades aient un sens. Deux veines coexistent dans son œuvre. La plus connue, la plus tardive aussi, est celle des films de sabre chanbara : Rashomon, Les sept samouraïs, Le Château de l’araignée, Kagemusha, Ran… Le second a pour cadre le Japon contemporain et pour inspiration le cinéma néo-réaliste italien et le film noir américain : Chien enragé, Vivre, Dodes’kadenL’Ange ivre participe clairement de cette seconde veine. C’est le septième film de Kurosawa, le premier dont il a l’entière maîtrise, celui qui le fait accéder à la célébrité, un an avant Rashomon.

L’Ange ivre est construit autour de deux personnages.

Le rôle principal est celui du médecin alcoolique, qui consacre sa vie à soigner la douleur des autres. Le docteur Sanada est un véritable saint laïc, un Juste comme John Ford et Clint Eastwood aiment à les peindre, sans rien cacher de leurs tares. Sa figure se retrouve dans Vivre et dans Barberousse.

Mais la vedette lui est volée par Matsunaga. Le rôle est interprété par Toshiro Mifune dont c’est la première collaboration avec Kurosawa. Ils tourneront ensemble seize films qui sont autant de chefs d’œuvre. Mifune est encore si jeune qu’on peine à reconnaître les traits de l’un des acteurs japonais les plus célèbres du siècle. Mais déjà, il dégage un magnétisme à nul autre pareil. Son rôle était plus réduit au scénario. Mais sa force d’interprétation a convaincu Kurosawa de l’étoffer en cours de tournage. Un duo d’anthologie était né…

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L’Œuf du serpent ★★☆☆

Abel Rosenberg (David Carradine) est un trapéziste américain échoué à Berlin en novembre 1923. La République de Weimar est en plein chaos, minée par l’hyperinflation et le chômage. Abel et son frère Max partagent une chambre insalubre. Le film débute avec le suicide de Max qui se donne la mort d’une balle de pistolet dans la tête.
Abel informe la police ; mais le commissaire Bauer (Gert Fröbe), loin de le réconforter, le soupçonne d’être l’auteur des crimes en série qui frappent alors la capitale. Abel retrouve l’ex-femme de Max, Manuela (Liv Ullman) qui a quitté le cirque pour s’employer dans un cabaret. Ils emménagent bientôt ensemble tandis qu’Abel trouve à s’employer aux archives d’une mystérieuse clinique.

L’Œuf du serpent occupe une place à part dans la filmographie d’Ingmar Bergman. C’est le seul film qu’il ait tourné en anglais, durant son exil de Suède qu’il avait précipitamment quittée pour fraude fiscale. Bergman s’installe à Munich et y tourne L’Œuf du serpent fin 1976, dans les décors utilisés par Fassbinder pour adapter Berlin Alexanderplatz. C’est la seconde originalité du film : pour la première – et la dernière – fois de sa carrière, Bergman se frotte à un sujet politique. Comme dans Cabaret de Bob Fosse, sorti quatre ans plus tôt , il décrit la République de Weimar, ses établissements louches, la misère repoussante du peuple, l’état d’abrutissement qui allait jeter l’Allemagne quelques années plus tard dans les bras de Hitler.

Hélas le scénario de Bergman est bancal – si l’on ose, le rouge au front, adresser au grand maître suédois dont on fête cette année le centenaire de la naissance une critique aussi sacrilège. Car, dans son dernier tiers, le film bascule dans une histoire façon Marathon Man. On se retrouve dans les sous-sols claustrophobes d’une clinique où un savant fou pratique d’inquiétantes expérimentations. Dans sa dénonciation du nazisme, Bergman mélange tout, au risque de l’anachronisme : l’exploitation démagogue de la misère humaine qui ronge l’Allemagne de Weimar et la mise en œuvre d’un projet eugéniste qui conduira notamment à la Shoah. C’est beaucoup. C’est trop.

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Quand une femme monte l’escalier ★★★☆

Keiko n’a guère plus de trente ans. Mais la mort de son mari cinq ans plus tôt et ses responsabilité à la tête d’un bar à hôtesses du centre de Tokyo l’obligent à revêtir un habit trop grand pour elle. Chaque soir, elle doit monter l’escalier étroit qui conduit à son établissement et y faire bonne figure pour attirer une clientèle qui se fait de plus en plus rare.
Pour sortir de son état, elle pourrait épouser l’un de ses clients. Mais elle ne sait auquel faire confiance.

L’œuvre de Mikio Naruse, écrasée par celles de Kurosawa, Ozu et Mizoguchi, est à tort méconnue. Tourné en 1960, Quand une femme monte l’escalier n’était jamais sorti en France avant l’hiver 2016. Il repasse à l’Espace Saint Michel dans le cadre d’un festival consacré au cinéma japonais.

Le film est un bijou. Il suit pas à pas Keiko, lumineusement interprétée par Hideko Takamine. La tenancière de bar doit faire bonne figure à chacun de ses clients, se montrer suffisamment aimable pour les inciter à revenir mais ne pas trop s’engager au risque de se compromettre. Elle doit fidéliser une clientèle qui se lasse vite et qui l’abandonne pour des établissements plus modernes, quand ce ne sont pas ses propres filles qui font défection.

Ces clients s’avèrent humains trop humains. Un riche industriel se révèle d’une rare radinerie, qui refuse de mettre la main au pot lorsque Keiko lui demande un prêt. Un soupirant qui semblait sincère et qui demande Keiko en mariage est en fait marié et père de famille. Keiko aura bien une liaison avec Fusijaki, un banquier, mais il n’osera pas quitter sa femme pour elle. Reste Komatsu, moitié maquereau, moitié homme de main, qui admire Keiko pour son courage mais ne peut l’épouser sauf à compromettre le commerce dont il a la responsabilité.

Quand une femme monte l’escalier raconte le long chemin de croix d’une femme courageuse. Sa dernière scène est un déchirement.

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Printemps tardif / Fin d’automne ★★★★

Depuis le 1er août, dans plusieurs salles d’art et d’essai de Paris et de province, la rétrospective Ozu est l’occasion de voir ou de revoir quelques uns des meilleurs films du maître japonais. Leur accumulation produit le même effet que la lecture trop rapprochée des livres de Patrick Modiano : ils s’accumulent et se perdent dans nos souvenirs formant une masse aux contours indistincts.

Il faut dire que Ozu – comme Modiano – ne nous aide guère. Ses films aux titres interchangeables sans lien avec leur contenu (Printemps tardif, Eté précoce, Fin d’automne…) sont joués avec la même troupe d’acteurs fidèles (Chishū Ryū dans le rôle du père, Setsuko Hara dans celui de la fille, Haruko Sugimura dans celui de la tante…) et explorent indéfiniment les mêmes sujets, comme autant de variations autour d’un même thème.

Avec Voyage à Tokyo, Printemps tardif est souvent présenté comme le chef d’œuvre d’Ozu. À raison. Car tous les éléments du cinéma du maître y sont poussés à un point de perfection jamais égalé.

On a beaucoup parlé de son art de la mise en scène. Chaque plan, filmé à ras de tatami – Ozu s’était fait construire des pieds spéciaux pour pouvoir abaisser sa caméra au ras du sol – est soigneusement construit. Les arrières plans ne sont jamais rectilignes, mais offrent toujours de savantes lignes de fuite. Si les dialogues ne sont jamais ennuyeux, c’est parce que la façon de les filmer est originale : les champs-contrechamps les filment face caméra – alors que l’usage est de décaler la caméra de l’axe du regard des personnages. Assis sur un tatami, les personnages sont filmés de trois quarts dos. Étonnamment, ces postures artificielles donne une miraculeuse impression de naturel.

Voilà pour la forme. Mais c’est le fond du cinéma d’Ozu qui bouleverse. Quoi de plus simple, de plus ténu que le sujet de Printemps tardif ? Un veuf vieillissant et aimant une fille unique qui tarde à se marier moins par manque de prétendants – elle est belle comme le jour – que par attachement à son père. Sublime sacrifice : le père feindra de se remarier pour convaincre sa fille de le quitter pour prendre époux. Le traitement n’est jamais languissant ; l’histoire nous surprend qui emprunte des voies qu’on n’attendait pas.

Un chef d’œuvre… qu’Ozu répètera onze ans plus tard dans Fin d’automne en en modifiant légèrement le sujet. Ce n’est plus d’un veuf qu’il s’agit mais d’une veuve (interprétée cette fois ci par Setsuko Hara qui jouait le rôle de la fille dans Printemps tardif) qui viendra lentement à bout des réticences de sa fille avec la complicité de trois amis de son défunt époux. Le ton est plus léger que dans Printemps tardif, presque bouffon quand Ozu se moque des fausses espérances de l’un des amis qui espèrent épouser la mère. Printemps tardif se concluait par une scène d’anthologie : seul chez lui, sa fille mariée, Chishū Ryū pèle une pomme et sent s’abattre sur lui le poids de la solitude. On attendait Ozu et Setsko Hara au tournant onze ans plus tard. Qu’allaient ils inventer pour surpasser cette scène indépassable, pour lui être fidèle sans la singer ? Le résultat est d’une simplicité désarmante. Du grand art…

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The Intruder ★★★☆

Nous sommes en 1961 au lendemain des lois de déségrégation qui notamment font obligation aux établissement scolaires, jusqu’alors réservés aux seuls Blancs, d’accueillir des élèves noirs. Un bus interurbain entre dans la petite ville de Caxton au Missouri. Un homme, jeune, séduisant, élégant, en descend. Il s’appelle Adam Cramer (William Shatner, le futur capitaine Kirk de Star Trek). Il prend une chambre dans un hôtel.
La raison de sa présence ? Exciter la population locale, massivement hostile à la déségrégation à la désobéissance civile.

The Intruder (également diffusé aux États-Unis sous les titres I Hate your Guts et Shame) était jusqu’à présent inédit en France. Carlotta Films a la bonne idée de le distribuer fût-ce dans un réseau  de salles bien timide. Le film était pourtant connu des cinéphiles auquel le nom de Roger Corman, un réalisateur de séries B, était familier. Il était connu à Hollywood pour la médiocrité de ses réalisations et pour sa rigueur budgétaire. Cette célébrité ambiguë lui inspira un livre : Comment j’ai fait 100 films sans jamais perdre un centime.

The Intruder met en scène un héros comme Hollywood les aimait à l’époque : un maverick solitaire débarquant dans une bourgade où il ne connaît personne. On pense à Spencer Tracy dans Un homme est passé (1955) ou Burt Lancaster dans Elmer Gantry le charlatan (1960). Le héros se révèle ici bien vite pour ce qu’il est : un raciste fanatique, brillant orateur, manipulateur, prêt à tout pour parvenir à ses fins.

Mais The Intruder vaut moins pour son personnage principal que pour l’histoire qu’il raconte. Il traite d’un sujet qui était alors d’une brûlante actualité ; et il le fait non sans courage sur les lieux mêmes de l’action, le Deep South indécrottablement ségrégationniste, que seul le respect de la Loi retient de verser dans la violence. Le tournage dans le Missouri fut d’ailleurs dit-on difficile. Les figurants que Corman avait recrutés s’enflammèrent aux discours du personnage interprété par William Shatner et se retournèrent contre l’équipe du film quand ils comprirent quel était son propos.

Sans doute The Intruder n’est-il pas un chef d’œuvre. Sans doute William Shatner n’est-il pas un grand acteur ni Roger Corman un réalisateur d’exception. Si tel avait été le cas au demeurant, The Intruder ne serait pas resté inédit si longtemps. Pourtant, bien avant Mississippi Burning ou Selma, il dénonce avec une rare efficacité le racisme qui ronge le Sud. Et il le fait dans ce noir et blanc lumineux et avec ses toilettes d’une folle élégance qui donnent au film de l’époque leur grain inimitable. Au point que je mettrais sans doute trois étoiles à une pub pour lave-linge tournée aux États-Unis en 1961.

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La Belle ★☆☆☆

La petite Irma vit seule avec sa mère. L’adorable fillette a trouvé chez les enfants des voisins, en pâmoison devant sa grâce, une cour d’admirateurs conquis. Mais l’arrivée d’un nouveau petit voisin qui refuse de reconnaître sa beauté la plonge dans le désespoir.

Inédit en France, La Belle a été tourné en noir et blanc en 1969 par le réalisateur lituanien Arunas Žebriūnas. Sa sortie – confidentielle – sur quelques écrans parisiens est l’occasion de découvrir qu’existait avant la Chute du Mur, avant Sharunas Bartas et Alanté Kavaïté, un cinéma en Lituanie.

Ce film de soixante-trois minutes est minimaliste. Il ne quitte pas d’une semelle la gracieuse Inga Mickyté – dont on serait bien curieux de savoir ce qu’elle est ensuite devenue. L’inspiration de Arunas Žebriūnas est aisément identifiable : la Nouvelle Vague et Les Quatre cents coups de Truffaut. Pour autant, il ne s’agit pas, comme chez Truffaut de filmer les facéties de l’enfance ou ses révoltes rentrées. Le cinéma de Žebriūnas emprunte plutôt au réalisme poétique, embarquant la gamine dans une quête, un brin poseuse, de l’essence de la beauté qu’elle recherche dans un bouquet d’aurone en fleurs. Le tout sur une musique très référencée qui rappelle l’acoustique de François de Roubaix.

Ce qui frappe aujourd’hui dans ce film tourné un an seulement après le Printemps de Prague est son absence de tout caractère politique – sauf à considérer que l’histoire d’une enfance qui s’ennuie dessine en creux le portrait d’un système qui l’étouffe. Témoignant de ce que le pouvoir soviétique autorisait l’expression des cultures locales, on s’exprime en lituanien tout le long du film et non en russe (mais je n’ai pas réussi à vérifier que les dialogues étaient d’origine ou résulteraient d’une post-synchronisation plus récente). Et La Belle montre Vilnius, le va-et-vient indolent de ses habitants, les berges paisibles de la rivière qui la traverse, comme n’importe quelle ville au monde.

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Bad Lieutenant ★★☆☆

Bad Lieutenant ressort sur les écrans en version restaurée. Le film a plus d’un quart de siècle et n’a pas si bien vieilli. Il a ce grain épais, ces images tremblées, ce son parasité des films des années quatre-vingts avant l’invention du Dolby Digital et de la SteadyCam.

L’action de Bad Lieutenant se déroule à New York, une immense mégalopole encore engluée dans la crise financière des années soixante-dix, sale et mal famée, comme Scorsese l’avait peinte quinze ans plus tôt dans Taxi Driver.

Abel Ferrara, qui n’en est pas à un excès près, charge la barque avec son personnage principal. Son lieutenant de police est le pire des ripoux. Après avoir déposé ses enfants à l’école, il use de ses prérogatives pour violer la loi éhontément. Il relâche deux braqueurs d’une épicerie après avoir détourné leur magot. Il traque des dealers pour détourner leur came. Il fait chanter deux jeunes filles dont les feux de signalisation ne fonctionnent pas pour se masturber devant elles. Cocaïnomane au dernier degré, il est un parieur compulsif qui s’entête à miser l’argent qu’il n’a pas sur l’équipe de baseball de Los Angeles, les Dodgers, qui ne cessent de perdre leurs matchs.

Bad Lieutenant est un film culte. Une légende noire circule à son sujet. Les acteurs auraient filmé sans doublures ni coupes, consommant eux-mêmes les drogues qu’ils injectent ou sniffent. Les addictions de Abel Ferrara et de Harvey Keitel étaient notoires. celles de Zoe Lund, la co-scénariste, aussi – qui en mourut quelques années plus tard.

Bad Lieutenant a pour héros une figure inventée quelques années plus tôt : celle du flic véreux contaminé par un cynisme qui gangrène la société tout entière (Inspecteur Harry, French Connection, Serpico…). Mais il lui offre une rédemption toute dostoïevskienne sur fond de morale judéo-chrétienne. C’est le viol sadique d’une religieuse, filmée non sans complaisance sur fond de musique religieuse, dans une esthétique qui rappelle le giallo italien, qui déclenchera cette prise de conscience.

Mais il est déjà trop tard. Bad Lieutenant se conclut sur un long plan fixe d’une voiture à l’arrêt dans une artère passante. J’avais vu le film à sa sortie en 1993 et cette scène là était restée gravée à jamais dans ma mémoire.

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La Paysanne aux pieds nus ★☆☆☆

En 1943, à Rome, Cesira (Sophia Loren) élève seule sa fille Rosetta en tenant le troquet de son mari défunt. Les bombardements alliés la conduisent à fuir la capitale avec sa fille et à retourner dans sa région d’origine, la Ciociarie. Mais elle ne reconnaît plus son village, envahi par des hordes de réfugiés qui fuient tout à la fois les exactions des Allemands en déroute et l’avancée des troupes alliées encalminées au Mont-Cassin.

La Ciociara (connu egalement sous son calamiteux titre français La Paysanne aux pieds nus) marque les retrouvailles de Sophia Loren et de Vittorio De Sica six ans après L’Or de Naples. L’explosive actrice vient de passer trois ans à Hollywood. Le vieux réalisateur a déjà à son actif Le Voleur de bicyclette, Miracle à Milan et Umberto D. Carlo Ponti, l’influent producteur, veut offrir un rôle marquant à sa femme pour qu’elle revienne en Italie. L’adaptation d’un livre de Moravia, inspiré de faits réels, lui en fournira l’occasion.

Filmé en noir et blanc, La Ciociara ressemble aux films néoréalistes de la fin des années quarante dont il reprend les thèmes et les formes : Rome ville ouverte, Païsa, Riz amer… Il en a à la fois la beauté tragique et le lyrisme démodé.

Le film fut un triomphe pour Sophia Loren qui obtint le Prix d’interprétation féminine à Cannes, l’Oscar de la meilleure actrice (le premier jamais décerné pour un film en langue étrangère), le Donatello – l’équivalent transalpin des Césars – de la meilleure actrice, etc.

Près de soixante ans plus tard, la plastique tout en courbes de Sophia Loren n’a rien perdu de sa générosité mais son jeu exubérant a hélas bien vieilli. De tous les plans, l’actrice monopolise l’attention ne laissant aucune place à ses partenaires, y inclus le malheureux Jean-Paul Belmondo qui n’en peut mais. Son jeu se réduit à deux expressions : rouler des yeux scandalisés quand un homme reluque son décolleté, les étrécir dans un soupir pâmé quand elle se laisse embrasser.

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